
FOCUS
Cimade m’était contée 1/2
Regards croisés sur les migrations. Les chroniques du reportage l’ Étranger en soi continuent sur Fragil. Cette fois-ci, retour en 2011 pour une rencontre avec la CIMADE, en 2 parties. Déjà , la lumière fuit du quartier du Champ de Mars à Nantes. L’ambiance est entre chien et loup, le froid sec et le bitume mouillé : une fin d’après-midi d’hiver. Comme il est 17 heures, c’est la sortie des bureaux. Le quartier commence à lâcher son flot d’automobiles, par vagues encore clairsemées. Comme il est 17 heures, que nous sommes un jeudi, certains vont à pied contre ce courant. Ils ont le même point de chute. Car comme il est 17 heures, que nous sommes un jeudi, devant le 33 rue Fouré, c’est la permanence de la Cimade. Cent-vingt minutes d’aide à tous les migrants.
Pour l’instant, ça patiente de chaque côté de la porte ouverte, c’est déjà un signe de solidarité – dehors ou dedans, tous unis dans le froid de novembre (ndlr : reportage réalisé en novembre 2011). On remonte la file. Christine s’y trouve, debout derrière l’angle d’un coin de table, avec son cahier à spirales barré de lignes et de colonnes.
Pour l’instant, ça patiente de chaque côté de la porte ouverte, c’est déjà un signe de solidarité
Cette bénévole, parmi les 2500 que compte l’association en France, accueille les étrangers venus trouver dans ces bureaux de l’aide pour leurs démarches. En 2010, 113 000 personnes ont eu à faire avec la Cimade. Pour la dizaine qui stationne paisiblement devant elle, Christine prend le nom, le prénom, la situation de la personne. Elle n’hésite pas à se faire épeler l’identité des néo-arrivants.
Surtout, Christine opère la distinction entre d’une part les premières visites, et d’autre part les suivis de dossier. 35 personnes en deux heures, elle n’arrête pas. Outre sa qualité d’accueil, Christine est déjà dans l’échange. Elle complimente sur son français une femme roumaine à la voix douce, plaisante avec un couple venu d’Afrique, dispense de-ci de-là un petit conseil pratique.
Désormais identifié, orienté vers la dizaine de bénévoles qui s’apprêtent à les recevoir en entretien, tout ce petit monde peut patienter. Un petit monde, vraiment, avec une multitudes de nationalités et de langues. Entre deux coups de crayon, Christine glisse en rigolant : « franchement, il n’y a pas besoin d’aller au Festival des Trois Continents : ici, c’est la Tour de Babel pendant deux heures ! ».
Une mission unique depuis 74 ans
Une analogie biblique, certes innocente, qui peut rappeler les origines de la Cimade. L’association française s’est créée sous une impulsion protestante en 1939, au tout début de la seconde guerre mondiale. L’objectif était à l’époque de venir en aide aux populations alsaciennes et lorraines, déplacées dans le Sud de la France par la crainte d’une invasion allemande. Le contexte a changé. La Cimade aussi, mais pas fondamentalement.
Si l’association s’est laïcisée au fil du temps (prenant aujourd’hui un titre oecuménique), elle conserve un même but depuis le départ. « Manifester une solidarité active avec ceux qui souffrent, qui sont opprimés et exploités et d’assurer leur défense, quelles que soient leur nationalité, leur origine, ou leur position politique ou religieuse », telle s’édicte invariablement la mission de la Cimade.
Devant Christine, c’est encore la queue. Ça patiente, encore et toujours. Assis cette fois. Vingt-cinq personnes attendent là, assis sur les fauteuils et canapés qui encerclent la pièce. L’exposition d’une quarantaine de tableaux emplit presque totalement la surface des murs. Plaqués artistiquement sur des textes de lois, des portraits de migrants accompagnés par la Cimade : symboliquement, la population dans ces murs est triplée.
De la quiétude et de la hâte
Manifester une solidarité active avec ceux qui souffrent, qui sont opprimés et exploités et d’assurer leur défense, quelles que soient leur nationalité, leur origine, ou leur position politique ou religieuse
Les étrangers sont presque aussi discrets que leurs alter ego de papier, pas d’éclat de voix, les quelques groupes discutent dans le calme. Une cafetière est posée sur la grande table au centre de la pièce. Remplie depuis longtemps, le café est certainement déjà tiède. Seul un Burkinabé se sert une petite tasse qu’il sirote à petites lampées, serré près de sa fille et sa femme.
Le calme est à peine rompu lorsqu’un usager commence à monter au créneau. « Ça fait une heure que j’attends », s’indigne-t-il mollement auprès de Christine. Elle le rembarre gentiment, lui expliquant que son entretien dépend de la disponibilité de ses bénévoles référents, et qu’il est donc normal que d’autres arrivés avant lui soit déjà reçus. Il retourne s’asseoir, pas vraiment satisfait, mais sans plus de scandale.
Christine raconte que les demandes d’asile concernent environ un tiers des sujets des demandes d’informations. « 92% des demandes d’asiles sont refusées. Et puis il y a un mois pour faire recours : c’est court ». D’où l’empressement de certains à accéder rapidement aux bénévoles de la Cimade, devenus, à force de recevoir des dizaines de cas différents, des vrais experts juridiques.
Un espace d’information
La Cimade œuvre certes sur d’autres terrains : visites en centre de rétention, accueil en de rares centres d’hébergement, partenariats avec certains pays du Sud… Selon le rapport d’activité 2010, ces derniers ont été 113 000 personnes en 2010 à être accompagnées, conseillées ou hébergées au sein de l’association. Tout de même, là où son action touche le plus de monde, c’est dans l’organisation de cette soixantaine de permanences hebdomadaires partout en France. La toile bienveillante est tissée, tirant de Carcassonne à Lille et de Brest à Mulhouse.
Sur son siège de la permanence nantaise, Liliane, Congolaise à peine majeure, vient chercher de l’aide pour son dossier de naturalisation. Faut-il qu’elle aille à son ambassade parisienne pour son extrait d’acte de naissance ? Elle attend sur une chaise à une extrémité de la pièce. C’est la première fois qu’elle vient à la Cimade.
« Je me rends compte qu’il y a beaucoup de gens dans ma situation. Finalement, ça stresse encore plus ! », se confie timidement la lycéenne, en s’arrêtant quelques instants de faire cliqueter le clavier de son portable. Angoissée, donc ? « Disons que pour l’instant, ça va. Les gens sont accueillants, ils savent mettre à l’aise. »
Benjamin Belliot-Niget
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