
Dossier sur le genre 4/15
La fée féministe : rencontre dans un monde désenchanté
Interview d’actrices du planning familial de Nantes
Impossible d’aborder le thème du genre sans s’intéresser au féminisme. Grâce à Anna Reymondeau du centre Simone de Beauvoir, rencontre avec trois actrices du planning familial de Nantes : Martine Leroy, Carine Birot et Josée Camps-Durand.
Dès le début de l’interview, Martine éprouve le besoin de valider nos connaissances sur le planning familial et de préciser : « Il y a une confusion dans la société entre le planning familial qui est un mouvement militant et les centres de planification, qui sont des dispositifs qui ont été mis en place après. » Elle nous explique également en préambule que leurs fonctions sont plus variées que ce que les gens imaginent communément. Elles englobent « l’accès au droit des femmes, la lutte contre les violences, j’en passe et des meilleures. Pas simplement les jeunes filles qui ont des problèmes et qui arrivent parce qu’elles sont enceintes ou veulent être enceintes ! (…) Notre pratique est le terreau sur lequel nous appuyons nos revendications ; on observe, on recueille la parole des femmes, on analyse les besoins et on les traduit avec notre analyse en terme de revendication politique. »
Fragil :Qu’est-ce qui vous porte dans ce combat ? Comment avez-vous vu évoluer le militantisme féministe ?
Martine : Pour moi, c’est la transformation de la société.
Josée : On est un mouvement d’éducation populaire. On va interroger, questionner : c’est très interactif. Mon militantisme c’est aussi être informé par rapport à l’autre et pouvoir faire des choix de manière consciente. Une logique émancipatrice.
Martine : Entre il y a 30 ans, où, pour avoir des informations on faisait des réunions Tupperware dans des appartements planqués et que c’était illégal, et aujourd’hui, où on arrive à faire des permanences dans des établissements scolaires, c’est-à-dire là où les jeunes ont besoin de cette information, il y a une avancée. Maintenant on aura gagné quand on n’aura même plus besoin d’en parler et que ce sera naturel dans les faits. Pour l’instant ce qui est naturel, ce sont les injustices.
Fragil :Les jeunes ont de plus en plus accès à l’information, pourtant les violences, les abus et l’ignorance perdurent, pourquoi ?
Carine : C’est dur de trier l’information, il y en a tellement !
Josée : Il y a eu des réflexions par rapport à l’information et à l’éducation pour qu’il y ait un sens. Ça ne se déconstruit pas en un jour, il y a une écoute et c’est sur le long terme (…). Quand on intervient dans les lycées et les collèges, j’appelle ça du saupoudrage. Quand on essaie de construire des projets, ça fonctionne, mais ça demande du temps. Du partenariat aussi avec les établissements, qu’ils ne fassent pas appel à nous que pour régler un problème comme c’est souvent le cas. Un exemple par rapport aux jeunes : tant que les adultes n’accepteront pas qu’ils aient une sexualité, comment faire de la prévention ?
Quand on intervient dans les lycées et les collèges, j’appelle ça du saupoudrage
Martine : Sur l’histoire de la formation, si on ne déclenche pas une prise de conscience, ça ne sert à rien. Une jeune fille qui vient en état de choc parce qu’elle est enceinte, à 22 ans, et ce n’était pas du tout ce qui était prévu. Oui, elle a pris un risque et elle est dans cette situation-là. Elle est paniquée parce qu’il va falloir en parler à sa mère, qui va la « tuer », et à son copain, qui veut le garder. Et quand on discute avec elle, elle ne s’est même pas interrogée sur ce qu’elle voulait ! Comment est-ce que l’on arrive à travailler avec une personne, pour qu’elle se réapproprie le fait que c’est de sa vie dont il s’agit ? Que c’est elle qui a les clés pour résoudre le problème, qu’elle fera un choix et il lui appartiendra ? Si elle l’assume, les autres l’assumeront de toute façon.
Anna : À la question de l’individu et du collectif, la transmission ne se fera jamais mieux que d’humain à humain, par la parole, l’écoute. C’est un travail de fourmi.
la transmission ne se fera jamais mieux que d’humain à humain, par la parole, l’écoute. C’est un travail de fourmi
Martine : L’éducation sexuelle : on a une loi (certes récente, 2001) qui régule l’éducation sexuelle de l’école au lycée, c’est-à-dire à tous les niveaux d’âge, trois séances (…) C’est comme diraient nos opposants, la croix et la bannière pour mettre ça en place, parce qu’avec cette politique-là il n’y a pas eu un accompagnement.
Fragil : Que pensez-vous des Femen par exemple qui font beaucoup parler d’elles ?
Anna : Les mouvements militants féministes et homos ont toujours eu cette capacité à la subversion. On agit sur les mentalités par l’humour, pour montrer le ridicule de la situation dans laquelle on est. Si on devait tous coller à la famille sur les pots de Nutella, qu’est-ce qu’on s’ennuierait ! Rien de nouveau sous le soleil avec les Femen, montrer ses seins c’est comme apporter de la subversion dans tout ça.
On agit sur les mentalités par l’humour, pour montrer le ridicule de la situation dans laquelle on est
Martine : Le féminisme est lié à une expérience sociale et à une expérience de vie. C’est-à-dire que moi quand j’ai commencé à entrer dans un mouvement féministe et à me battre, c’était à propos de la contraception et l’avortement. Les générations qui sont venues en 80 c’étaient pour les violences, c’est toujours lié à une expérience de génération et à la place qui lui est faite. Et aujourd’hui je pense que pour les jeunes féministes il y a eu tout un temps où on était un peu considérées comme des radoteuses (...), on s’est battues pour des acquis, ces acquis sont menacés : attention vigilance ! Les jeunes qui naissent avec la contraception, avec l’avortement, n’envisagent pas une seule seconde que c’est quelque chose qu’elles ne pourraient pas avoir.
Elles sont nées avec, c’est maintenant, les générations qui regardent la crise, la précarité (car maintenant pour les jeunes c’est structurel la précarité), le manque d’accès aux soins, plein de choses comme ça, se remettent à militer sur la contraception et l’avortement (...) Ma génération, les années 70, nous nous sommes battues (...) pour la reconnaissance des violences faites aux femmes et pour la loi qui a fait que le viol était un crime parce qu’avant ça ne l’était pas, pour avoir un travail, un salaire égal, voilà. On s’est battues pour ça et on a gagné des choses (…) Le mouvement féministe s’est construit, avec des groupes de conscience (...), si on pense collectivement on est beaucoup plus intelligents déjà…
Les jeunes qui naissent avec la contraception, avec l’avortement, n’envisagent pas une seule seconde que c’est quelque chose qu’elles ne pourraient pas avoir
Fragil : Nous avons lu sur certains supports féministes que c’était à l’ homme de se rendre compte de sa domination. Doit-il débrouiller seul ? Où en sommes-nous entre les deux sexes ?
Anna : Ce n’est pas le dominant qui va dire lui-même : " Salut, enlevez-moi tous les pouvoirs ! ". C’est normal que le militantisme soit porté plus par les personnes qui sont opprimées que par la personne qui est dans une situation où en gros tout va bien ! (…) Les deux groupes désignés hommes et femmes sont contraints. On est tous sur une scène de théâtre contrainte. Tous les matins on pioche dans les placards et on met un déguisement (…) Ces contraintes-là se répercutent différemment sur les personnes et les questions des violences qu’elles soient physiques, économiques ou psychologiques sont à la défaveur des femmes.
On est tous sur une scène de théâtre contrainte. Tous les matins on pioche dans les placards et on met un déguisement
Martine : Les femmes ont fait un gros boulot, elles étaient dans le camp des dominées (…) On n’a pas bougé sur l’égalité hommes/femmes, médiatiquement dans les discours on affiche beaucoup une égalité (...), mais concrètement dans les rapports entre homme et femme, il n’y a pas d’égalité.
Carine : On fait souvent des animations d’éducation à la sexualité dans certains collèges nantais. Par exemple les jeunes femmes nous disent encore qu’elles ne peuvent pas avoir de relations sexuelles avant le mariage ; quand on leur pose la question des garçons ce n’est pas tout à fait pareil ! (…) Il n’y a pas la même liberté, pas les mêmes droits, pas la même sexualité (…) Des femmes sont venues ici pour des certificats de virginité.
Il n’y a pas la même liberté, pas les mêmes droits, pas la même sexualité
Martine : Encore aujourd’hui, quand on parle de la sexualité, une femme qui a plein de partenaires est une salope (sic). Ce n’est absolument pas reconnu qu’une femme ait une sexualité étiquetée comme débridée, alors qu’un garçon c’est normal, c’est même une performance ! (…) Tout ça c’est construit. (...) Peut être qu’on peut réfléchir ensemble. Les garçons, quand ils ont une prise de conscience par le sport, la politique, la religion, ils sont capables de se mettre en groupe et de réfléchir ! Ça commence dès l’enfance.
Carine : Il y a des individus qui ne se retrouvent pas dans ce modèle des hommes et qui souffrent aussi, sont oppressés par ce système patriarcal.
Fragil : Que pensez-vous du rôle des médias dans l’image de la femme, notamment via les publicités de femmes dénudées ? Les jeunes ne semblent plus choquées par toutes ces pubs, est-ce une nouvelle tendance ?
Carine : Le marché se nourrit de tout ça, du patriarcat, c’est du pain béni et tout s’imbrique, va ensemble.
Martine : C’est la femme-objet. (...) Il y avait eu une action où on avait mis le corps des hommes, on avait inversé les pubs, ça choquait !
Il y avait eu une action où on avait mis le corps des hommes, on avait inversé les pubs, ça choquait
Fragil : Avez-vous l’impression que le féminisme est menacé par tous les reculs et la prédominance de la croyance religieuse dans certains pays ?
Martine : Le droit des femmes est menacé, le féminisme, non !
Anna : C’est très politique en fait, les droits des femmes et le religieux je les mettrais ensemble. Le féminisme n’a pas gagné, car il est toujours rebuté de partout, il dérange parce qu’il interroge tout, c’est tout. C’est une question de valeurs au sein de la société : qu’est-ce qui est important dans cette société, est-ce que c’est la compétition, est-ce que c’est la hiérarchisation ? Parce qu’être féministe c’est aussi changer le travail, c’est tout changer, c’est tout interroger. La domination elle est partout, Foucault, les rapports de pouvoir vous les trouvez partout, et quand vous couchez avec quelqu’un, il y a aussi des rapports de pouvoir, donc le sujet est vaste… Le féministe n’a pas gagné là-dessus, car c’est un objet politique extrêmement dérangeant (…) Les politiques publiques qui essaient de faire de l’égalité peuvent être extrêmement nocives parce que, parfois, cela va créer des femmes et des hommes comme les autres. Je n’ai pas envie d’avoir 50% des chefs d’entreprise foufoune et 50% des chefs d’entreprise quéquette (sic) !
Martine : Comptez le nombre d’hommes et de femmes qui dirigent un pays !
Le féminisme (…) dérange parce qu’il interroge tout, parce que ce ne sont pas juste des questions de cul, de santé et d’égalité de salaire
L’interview qui aura duré plus d’une heure s’achève. Les quatre femmes rayonnent d’une énergie exclusive, complice, nourrie sans doute des combats de longue haleine qui les rapprochent et d’une méfiance spontanée envers les médias. Nous avons tout du long senti ce rapport de force qu’elles dénoncent pourtant et contre lequel elles se battent, une volonté farouche de s’approprier une parole que nous leur laissions pourtant bien volontiers. Pas si facile de déposer les armes dans cette guerre perpétuelle, injuste et pernicieuse qui est leur quotidien. Pas si facile pour nous dans la bienveillance, de demeurer adversaires.
Interview réalisée par Agnès Foissac et Romain David
Crédit photos : Romain David
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