
CINEMA
Nicolas Winding Refn pardonne ceux que son film laissera indifférents
Only God forgives
Nicolas Winding Refn était le chouchou jalousement protégé des amateurs de films de genre depuis le premier opus de sa trilogie Pusher en 1996. Le talent du réalisateur danois devient un secret de polichinelle avec le triomphe de Drive, quoiqu’encore éclipsé par son acteur fétiche, Ryan Gosling. Pour son retour derrière la caméra, Nicolas Winding Refn signe avec Only God forgives un film d’esthète brut.
Exit Drive, place au radical et mystique Only God forgives du réalisateur danois Nicolas Winding Refn à l’affiche depuis le 22 mai 2013. On retrouve Julian (Ryan Gosling) à Bangkok où il dirige un club de boxe thaïlandaise servant de couverture à son trafic de drogue. Lorsque son frère aîné, Billy, est assassiné pour avoir sauvagement massacré une jeune prostitué, sa mère (Kristin Scott Thomas) débarque des États-Unis pour rapatrier le corps de son fils préféré. Pleine de la rage et de la vengeance que lui permettent le pouvoir et l’argent, elle exige de Julian la tête des meurtriers. Julian devra alors affronter Chang, un étrange policier à la retraite, adulé par les autres flics.
Lorsque les dialogues disparaissent, le spectateur doit s'impliquer davantage pour suivre
Qui veut la peau de Ryan Gosling ?
Si l’intrigue est épurée, les dialogues aussi. La rareté des dialogues en fait un film lent. Ce mutisme auquel Gosling nous habitue ne facilite pas toujours l’approche, mais il se révèle d’une véritable efficacité. Les dialogues sont des outils tellement évidents pour faire avancer une histoire et apporter des éléments que lorsqu’ils disparaissent, le spectateur doit s’impliquer beaucoup plus pour suivre l’intrigue. C’est l’un des rares points communs avec Drive tant Only God forgives semble construit en opposition par rapport au précédent film de Refn. Le succès public est mauvais pour la créativité et le danois semble vouloir entretenir l’image d’artiste maudit qui le suit depuis l’échec de Fear X en 2003. Quoi de mieux dès lors que de saccager violemment la recette de ce précédent film, ce succès surprise ? Quoi de mieux que de tromper tout le monde avec des bandes annonces allusives et des affiches où Ryan Gosling pose dans son costume de soirée ? Tout ça pour mieux, une fois les spectateurs captifs de la salle, fouler au pied la tronche de la vedette idolâtrée. Le précédent protagoniste était sans peur, sans famille, sans compassion, immortel, celui-ci est piégé dans un œdipe sordide, dans un business crapuleux, vulnérable, impuissant, constamment battu, constamment perdant. Dans la veine des trois Pusher.
Eros maternel V.S mère antihéros
C’est la mère qui humilie le personnage en le renvoyant face à ses peurs et ses faiblesses. Et quelle mère ! Incarnée par Kristin Scott Thomas, Nicolas Refn l’a voulu comme « un mix de Lady Macbeth et de Donatella Versace ». L’actrice l’a traduit par une milf blonde platine et bling-bling, non dénuée de sensualité ni de dignité. Une véritable sorcière qui trône dans la plus haute suite d’un luxueux hôtel de Bangkok. En chef de clan, elle pousse son fils cadet dans le cercle vicieux de la vengeance de son frère. L’engrenage enclenché, la boucherie est assurée.
La divine figure asiatique
En maître-boucher, Chang. Le flic retraité rend la justice par amputation grâce à son katana aiguisé et se révèle très doué pour improviser des instruments de tortures. C’est la figure divine du film, s’il n’est pas le « God » du titre, c’est incontestablement le diable. Sa dextérité rend certaines scènes insoutenables, notamment dans un cabaret, où les yeux (y compris ceux du spectateur) se ferment petit à petit, de différentes manières… C’est d’ailleurs dans un cabaret que l’on retrouve Chang en chanteur de karaoké après ses boucheries. La musique a ce pouvoir purificateur qui lui confère une certaine dimension religieuse. Bangkok est sa complice et complète ce trio sanguinolent. Bangkok prostituée, Bangkok encrassée, mais Bangkok fantasmée par la caméra de Refn.
La fin justifie-t-elle les moyens ?
« La violence est employée comme un moyen et non comme une fin en soi ». C’est ce qui est avancé lorsqu’il s’agit de défendre les réalisateurs de l’ « ultra violence » de Kubrick à Refn. Selon lui, « l’art ne fonctionne que s’il agresse vos sens. Il n’atteint son but que quand il vous transperce, et reste en vous jusqu’à la fin de votre vie. » Est-ce de l’art lorsqu’un pic à glace transperce un être humain d’une oreille à l’autre ? Est-ce-que les yeux des spectateurs qui se ferment à ce moment-là se rouvriront pour entrevoir un message profond ? Ou bien seront-ils aveuglés par des litres d’hémoglobines ? La violence de Refn ne fait pas dans la dentelle. Tantôt suggérée, tantôt dans l’ombre, tantôt en gros plan, elle se fait attendre mais elle surprend par sa brutalité croissante.
Si l'art ne vous pénètre pas, vous êtes de simples consommateurs
Refn propose ici du cinéma, pas du divertissement. L’intérêt que l’on porte à ce film dépend de l’idée que l’on se fait de la fonction de l’art. Si l’art est purement contemplatif, alors l’esthétisme et la maîtrise technique d’ Only God forgives en font une pièce maîtresse. Si l’art a une fonction moralisante et philosophique, alors le spectateur risque de rester sur sa fin. Car si on ne s’attend pas à un happy ending hollywoodien, le spectateur aime avoir des pistes de réflexions lorsqu’il sort hagard de la salle de projection. Mais Nicolas Refn a une autre vision de l’art, qu’il expose à une journaliste américaine lorsqu’elle lui apprend que son film a été hué à Cannes : « L’art est fait pour diviser, car s’il ne divise pas, il ne vous pénètre pas. Et s’il ne vous pénètre pas, vous êtes simplement des consommateurs. »
Thomas Savage
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