THEATRE
« La vie est un rêve, c’est une fable extraordinaire  » Jacques Vincey
Escapade au cœur de l’onirisme baroque
Du 5 au 13 février, la Compagnie Sirènes a embarqué sur les planches du Grand T pour incarner les protagonistes de la pièce La vie est un rêve de Pedro Calderón de la Barca. Le metteur en scène Jacques Vincey s’est emparé de cette œuvre du siècle d’or espagnol en l’imbibant d’une essence contemporaine.
Un tissu narratif sophistiqué
La vie est un rêve, composition florissante de 1636, nous transporte dans un univers où la réalité est entremêlée au songe à tel point qu’il est peu aisé de les distinguer. L’intrigue se déroule dans une Pologne imaginaire où l’on suit divers personnages qui tournoient autour du principal : Sigismond. Ce dernier a été emprisonné dans une tour dès sa naissance par son père, le roi, qui a lu dans les astres que son fils s’emparerait du pouvoir et deviendrait un tyran. Un jour il doit nommer son héritier. Il décide alors de faire l’expérience de délivrer son enfant désormais âgé de vingt ans et de lui décerner la tête du royaume qu’il lui léguera s’il se comporte dignement. Or, Sigismond, qui ne connaît pas le monde, est perturbé par ce revirement de situation et se laisse emporter par son instinct sauvage. On le prive à nouveau de sa liberté puis on le convainc que ce n’était qu’un rêve. Parallèlement à cette histoire centrale, Rosaura veut se venger de son amant volage l’ayant délaissée pour en épouser une autre. La confusion domine tandis qu’elle se déguise en homme, miroir encore une fois de ce topique du simulacre.
Une portée philosophique en toile de fond
L’œuvre est une véritable pépite d’or philosophique. À travers de grandes réflexions métaphysiques sur l’imagination, le public est embrouillé et amené à remettre en cause sa propre vision. « Qu’est-ce que la vie ? Une illusion. Qu’est-ce que la vie ? Une ombre, une fiction ». En l’occurrence, le concret et le chimérique sont en fusion. On retrouve l’allégorie de la caverne platonicienne où des représentations se reflètent sur les murs de la grotte, comment savoir dissocier le fantasmagorique du tangible ? Sigismond nous annonce que la vie entière est mirage. La question de l’énigme de soi est aussi évoquée en filigrane : « Tous, nous rêvons ce que nous sommes, et aucun ne s’en rend compte ». Le motif de l’introspection est sous-jacent, le personnage est en quête de lui-même mais sa personnalité est disparate, tantôt il est captif, lié à des chaînes, tantôt il est puissant et une couronne émaille sa chevelure. Se tisse également un traitement de l’aspect bestial et monstrueux. Les personnages ont tous une part sombre. Mi homme-mi femme, mi bête-mi héros, père indigne et pourtant sensible...
Qu’est-ce que la vie ? Une illusion. Qu’est-ce que la vie ? Une ombre, une fiction
Une mise en scène judicieuse par Jacques Vincey
Jacques Vincey, issu du conservatoire de Grenoble, voue son existence à l’univers théâtral. Sa carrière d’acteur est conséquente tant à l’écran (il a joué pour Alain Chabat dans Didier ou encore dans Jacquou le croquant de Laurent Boutonnat) que sur les planches. En 1995, il fonde la Compagnie Sirènes pour laquelle il a mis en scène diverses pièces : Mademoiselle Julie de Strindberg, La Nuit des Rois de Shakespeare, Jours souterrains d’Arne Lygre, etc. Il puise désormais son inspiration dans l’œuvre de Calderón qui s’avère être en adéquation avec ses ambitions : « Ce n’est sans doute pas un hasard si cette pièce me touche maintenant, parce qu’elle prolonge un chemin qui me mène de spectacle en spectacle et qui tourne toujours autour d’une même question : pourquoi et comment se raconte-t-on des histoires ? » Le décor est volontairement minimaliste, seuls une bougie et du sable pour créer des jeux de lumières, des vitres qui tombent une à une, comme pour souligner l’instabilité permanente et des rideaux pour permettre le camouflage, servent de parure. Pourtant chaque détail est signifiant. En terme de costumes, les gardes portent des masques comme revers du theatrum mundi (« grand théâtre du monde ») cher au baroque.
L'occasion de se fourvoyer dans un univers dual enclin à la réflexion
Le metteur en scène fait le choix de ne pas imbriquer l’aspect foisonnant typique de ce genre. Il semble préférer éviter l’exubérance ornementale au profit de la mise en valeur d’antagonismes. On assiste à l’alliance du statique et du mouvement, le locuteur intervient et se meut tandis que son destinataire demeure figé. Le jeu des parallèles est à son paroxysme entre clarté et ombre, fougue et délicatesse, avalanche de paroles et silence. Ces contrastes soulignent alors à leur manière la dynamique baroque de la pièce basée sur des antithèses. « L’époque baroque est en effet celle qui cherche la vérité dans les plis, dans ce qui est caché : c’est dans ce qu’on ne peut pas voir, ce qui est coincé, serré entre deux certitudes que de nouvelles perspectives apparaissent », éclaire-t-il. En outre, la trame est bercée par une mélodie soporifique propice à la rêverie. C’est dans un espace hermétique que les comédiens clament leurs répliques avec brio. « Une chose importante dans le choix des acteurs, c’était que ce soit des acteurs qui aient une certaine familiarité avec cette langue... J’ai cherché des acteurs qui avaient cette capacité à être lyriques, à être épiques ». Dans la salle l’effet est immédiat : un soupçon de spéculation se lit sur les visages et le rire se fraye une place grâce au personnage à la fois bouffon et burlesque de Clairon incarné avec panache par Philippe Vieux. L’occasion de se fourvoyer dans un univers dual enclin à la réflexion.
Si vous avez manqué la pièce, elle a été mise en ligne par la compagnie en version intégrale. Et pour les férus de littérature le texte complet est disponible sur le site suivant.
Laëtitia Tamic
Crédits photos : Pierre Grosbois
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