Elle met en scène La fausse suivante au TNB à Rennes
Nadia Vonderheyden : « Une dose de joie absolue, qui peut aller jusqu’à l’effroi  »
Habituée des spectacles de Jean-François Sivadier, où on l’a vue dans des rôles mémorables, Nadia Vonderheyden est aussi metteur en scène. Après ses propositions sur des textes de Didier-Georges Gabily (2003), Sénèque et Maïakovski (2006), sa mise en scène de La fausse suivante vient d’être présentée au TNB. Elle offre un spectacle extrêmement troublant où, dans une ambiance de carnaval, elle parvient à traquer la vérité des masques. Quand Marivaux annonce Pasolini…
Fragil : Vous venez de reprendre au Théâtre national de Bretagne (TNB) à Rennes votre mise en scène de La fausse suivante créée en janvier 2012 à Chambéry. Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans ce texte de Marivaux ?
Nadia Vonderheyden : Il y a tout d’abord la langue de Marivaux, qui a quelque chose de la rhétorique de La dispute, avec des phrases concises. Ce n’est pas une pièce sur l’intimité amoureuse, mais sur le jeu social du désir, sur les conséquences qu’une rencontre qui fait tout basculer peut avoir sur toute une vie. L’intrusion du chevalier est de l’ordre de ce qui se joue dans Théorème de Pasolini. Comment quelqu’un parvient-il ainsi à troubler et séduire tout le monde ? Un tel bouleversement soulève la question de tout un tissu social qu’il s’agit de recomposer, et de réinventer. Rien ne dit qu’après les derniers mots de la pièce les protagonistes ne vont pas vivre complètement autrement…
Comment présenteriez-vous votre spectacle ?
N.V : Nous avons travaillé sur l’idée du carnaval, qui permet d’emblée un renversement de situation. Il y a deux chansons dans le texte, une configuration de vaudeville, avec musique et danse, ce qui a renforcé ce désir.
Vous interprétez justement Frontin, habituellement joué par un homme. Pourquoi avez-vous choisi ce rôle travesti ?
N.V : Le chevalier est déjà un rôle tenu par une femme. Nous avons élargi la question du travestissement en jouant sur le détournement dès le début du spectacle. Le rôle de Frontin n’est présent qu’au cours d’une scène, mais il est l’instigateur de tout ce qui va suivre dans la pièce, comme s’il faisait une sorte d’expérimentation. Il est donc possible et assez cohérent qu’il soit joué par le metteur en scène.
On vous doit plusieurs mises en scène dont celle de Médée de Sénèque, en 2006. Que représente pour vous cet auteur ?
N.V : Ce qui me fascine chez Sénèque, c’est qu’il a été à la fois le philosophe stoïcien de la mesure et l’auteur de l’inhumanité, de la démesure et de la cruauté les plus absolues au théâtre. Médée est une pièce chorale, qui permet d’amener un groupe sur le plateau. La traduction de Florence Dupont offre des phrases lapidaires. Il y a un point commun entre Médée et La fausse suivante : chez Marivaux, le désir peut aussi être cru et cruel.
Chez Marivaux, le désir peut aussi être cru et cruel
Vous dirigez régulièrement des ateliers et des résidences d’acteurs, notamment au TNB, à la manufacture de Lausanne et à l’ERAC (école régionale d’acteurs) de Cannes. Quels sont les conseils, parmi ceux que vous donnez aux jeunes acteurs, qui vous semblent les plus importants ?
N.V : J’insiste d’abord sur la présence sur le plateau. Je sais que je suis à vue, et je l’assume. Il n’y a pas de rapport de supériorité à imposer aux autres, simplement être là, maintenant. Je travaille sur le corps, sur sa disponibilité. J’ai moi-même fait pas mal de danse. La question de la langue est également essentielle. On doit essayer d’ouvrir les sens au maximum, ne pas clore les choses sur elles mêmes tout en n’oubliant pas que l’acteur se donne comme un outil, au service de l’auteur, en respectant ce qu’il dit, comme s’il lui était mis à disposition.
Vous avez participé à plusieurs spectacles mis en scène par Jean-François Sivadier, depuis Le mariage de Figaro en 2000 jusqu’à La dame de chez Maxim en 2009 et Noli me tangere en 2011. Quels souvenirs gardez-vous de ces spectacles et comment définiriez-vous son travail ?
N-V : On devrait plutôt dire de Noli me tangere à Noli me tangere, puisque je participais à la première version, au TNB, en 1998. J’ai eu une implication très forte dans tous ces spectacles. Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit et moi collaborions en effet à la mise en scène. Jean-François Sivadier sait transmettre une joie immense aux acteurs sur le plateau, une dose de joie absolue, qui peut aller jusqu’à l’effroi ! À chaque spectacle, j’ai eu la possibilité d’inventer et d’expérimenter. Kent du Roi Lear a été une expérience incroyable. J’ai découvert, en jouant Madame Petypon de La dame de chez Maxim, quelque chose de moi que je ne soupçonnais pas posséder à ce point !
L’acteur se donne comme un outil, au service de l’auteur
Pourriez-vous citer un souvenir particulièrement fort sur scène ?
N-V : Sans hésiter, il y a eu un moment emblématique, lorsque je jouais justement Madame Petypon. Sur une entrée en scène, face au public, je me suis dit que c’est là que je voulais être, sur un plateau de théâtre, et pas ailleurs. À ce moment-là, ça m’a éclaté au cerveau !
Quelles sont les rencontres qui vous ont marquée dans votre itinéraire ?
N-V : Il y a eu Didier-Georges Gabily avec qui j’ai participé aux spectacles du groupe T’Chan’G. Et François Tanguy, et le théâtre du Radeau. J’étais alors plus jeune et j’avais l’impression d’entrer dans un rêve impossible. J’ai aussi ressenti de mémorables chocs esthétiques, parmi lesquels il y a eu Le soulier de satin mis en scène par Antoine Vitez, et les spectacles de Matthias Langhoff. Son Roi Lear a été une véritable claque ! Lorsque je découvre des êtres et des univers aussi renversants, je me demande comment je vais pouvoir faire quelque chose après ça. Je ressens quelque chose du même ordre en écoutant Bach, qui me met dans un état très bizarre.
Y a-t-il un auteur que vous rêveriez d’aborder ?
N-V : J’aimerais monter un texte de Botho Strauss. Je serais heureuse aussi de retrouver la tragédie grecque, dont la découverte a été pour moi fondatrice et qui a constitué mon monde pendant 20 ans. Il faudra que j’y retourne. Heiner Muller fait aussi partie des auteurs sur lesquels j’aimerais travailler, mais également Tchekhov, comme metteur en scène, mais aussi comme actrice.
Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
N-V : Je vais travailler sur des récits de Danielle Collobert, disparue en 1978. C’est une écriture particulière, que j’aime énormément. On en fera un jeu à 2 acteurs, avec Julien Flament qui joue Trivelin dans La fausse suivante. Meurtre et Survie pourraient servir de base à ce travail. J’ai aussi un projet avec les élèves de l’ERAC de Cannes, sur des auteurs du Moyen-Orient, pour un spectacle qui sera présenté à Marseille et en région PACA. À Marseille, les représentations auront lieu à La Friche, une ancienne friche industrielle située derrière la gare, et devenue lieu de créations. L’année prochaine, je vais être artiste associée à la MC2 (maison de la culture) de Grenoble. Pour l’instant, je réfléchis à des spectacles…
Le spectacle a été repris cette saison à l’Hippodrome de Douai, les 5 et 6 février 2013 et le sera à l’Espace Malraux, Chambéry, du 19 au 21 février 2013.
Il fera également l’objet d’une nouvelle tournée la saison prochaine.
Propos recueillis par Christophe Gervot
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