FESTIVALS D’ÉTÉ
Les escales : expédition chimérique autour du globe
Les 2 et 3 aoà »t à Saint-Nazaire
À l’occasion de cette 22ème édition remarquable, Patrick Bulting, le directeur du festival les Escales depuis 1995, tire sa révérence. Ces deux jours consacrés à la rencontre des richesses musicales du monde a offert un périple sensoriel à 35000 spectateurs. Cette année, c’est la ville de Tucson située en Arizona qui était mise à l’honneur dans un décor mêlant cactus et squelettes.
MARIACHI “LUZ DE LUNA”
Le festival est inauguré sur les notes joviales de ces talentueux mariachis, vainqueurs du Tucson Area Music Award à plus de dix reprises, qui déambulaient sur le site afin d’ambiancer les premiers venus. Vêtus de leur costume traditionnel, ils sillonnaient le bord de mer, violons, guitarron, trompettes et vihuela en mains. Ils feront d’autres représentations au Cactus Club, aménagé par les soins du scénographe Jean-Marc Bernard. La frénésie mexicaine pimente exquisement la soirée.
JUAN CARMONA
La fête se poursuit sur la prestation enivrante de ce guitariste français surnommé el gitano francés. Le soleil s’invite sur la scène à travers des musiques d’où émane la vitalité andalouse. Claquements de main (palmas) et nous voilà téléportés vers l’Espagne. Une démonstration de flamenco par un bailaor vient donner de l’éclat et incarner encore davantage le tempo latino. Le public ressent les vibrations de cette vague hispanique avec béatitude, une dame me glisse à l’oreille « ça donne envie d’aller sur scène avec eux ! ».
AMPARO SANCHEZ
L’ex associée de Manu Chao lancée dans sa carrière solo, invoque les tonalités folk, blues. Elle éprouve de l’intérêt pour le groupe Calexico avec lequel elle a travaillé pour son premier album Tucson-Habana. Son clip Turista Accidental est tourné dans la ville justement gratifiée pour ces deux jours. Son timbre espagnol fougueux enflamme à travers ses lèvres pourprées. Elle a su faire frémir par l’intensité de ses réalisations.
ça donne envie d'aller sur scène avec eux !
Le chanteur israélien à l’allure singulière alliant la coupe iroquoise et les bretelles vient partager son univers atypique. D’emblée sa voix androgyne qu’il associe lui-même à celle d’ « un chat écorché » transperce. Des cordes vocales puissantes, stridentes, poignantes qui laissent difficilement indifférent. Ce jeune prodige considéré comme la révélation de l’année possède une véritable présence scénique et sait comment captiver son public. Entre deux chants, il compare l’amour à des plaques tectoniques qui se séparent, après avoir avoué s’être plongé dans la musique suite à une rupture douloureuse. Le tube Reckoning Song était sans conteste le plus attendu, pour autant, sa polyvalence générique ( pop, folk, rock, blues ) a su séduire. Sa variation aux résonances orientales de 613 shades of sad éjecte vers d’autres contrées. Il est en véritable symbiose avec son public auquel il propose de défier les lois de la gravitation. Tout le monde adhère au jeu et sautille.
GABRIEL SULLIVAN
Il représente la scène Tucson en pleine émergence. Sa tessiture grave et rocailleuse lui vaut d’être repéré et de figurer parmi les artistes prometteurs de la région. Le jeune homme en impose entouré des musiciens nantais les French Cumbia Ambassadors. Il incorpore une essence mexicaine. Un condensé harmonique qui prête à rêver de paysages ensablés dignes des Westerns.
Un condensé harmonique qui prête à rêver de paysages ensablés dignes des Westerns
GORAN BREGOVIC
Avec une carrière impressionnante, ce grand compositeur déjà présent aux escales en 2004, n’a pas manqué de faire un retour triomphal. Il est populaire en partie grâce aux BO des films d’Emir kusturica et notamment d’Arizona dream, par conséquent un lien subtil avec le thème de Tucson s’avère inexorable. Il consacre son album Champagne for Gypsies à la culture gitane dont il défend les droits avec vaillance. Il considère que maints musiciens s’en inspirent et souhaite donc remercier ces initiateurs. Sur scène, il exhale une certaine prestance entouré de son orchestre. Le drapeau serbe est hissé dans le public. Les rythmes entrainants de la musique de l’est ont conquis. Cet authentique folklore balkanique a enchanté et fait danser la foule.
EARTH, WIND AND FIRE
Les paillettes et la magie des années 60-70 débarquent avec ces douze musiciens hors pair. Le groupe phare qui subsiste depuis 1969 a transporté les spectateurs, tous âges confondus, dans son funk. Énergie débordante, claquements de doigts et déhanchés émoustillés, le tout en totale osmose avec le public qui se laisse charmer par le groove de September à Fantasy. Ils prononcent un mot français : « Intouchables ». Une allusion assez escomptée au film événement dans lequel le groupe est remis au goût du jour par Omar Sy.
SHIBUSA SHIRAZU ORCHESTRA
Le collectif japonais assure une mise en scène imparable. Trente personnes se meuvent aux sons d’un jazz/funk fastueux. Une théâtralité originale vient se fondre dans le décor et accompagner la musique. On peut cerner une échelle, des formes de saltimbanques... Les couleurs fluo de la parure de la chanteuse viennent irradier face à la pénombre nocturne. L’excentricité et le tonus sont au rendez-vous de cette représentation hors-norme qui en met plein les yeux, de quoi tenir éveillés les festivaliers.
Un brassage de nationalités pour reconstituer la musique d'Amérique latine d'antan
CHICHA LIBRE
Un brassage de nationalités : un vénézuélien, un mexicain, deux américains et deux français venus de New-York pour reconstituer la musique d’Amérique latine d’antan. Le nom en dit long : le groupe explose dans le registre de la chicha. De la pop psychédélique péruvienne datant des années 60. Ils font des arrangements pour réhabiliter le genre. Un Electravox wah-wah, (accordéon électronique rétro) est joué par l’un des musiciens. Dans cette incantation, nous sommes comme ensorcelés par les touches vintages de ce salmigondis novateur. Gabriel Sullivan qui apprécie leur talent les a même rejoint pour deux morceaux.
MULATU ASTATKE
Mulatu Astatke démarre la deuxième journée avec son jazz venu tout droit d’Ethiopie. Une délicieuse union des instruments traditionnels et du vibraphone qu’il manipule avec des baguettes roses. Le fondateur de l’éthio-jazz entraine aussi dans le rythme des percussions de ses congas. Il est accompagné par ses musiciens step ahead. Ensemble ils insufflent une bonne humeur contagieuse.
OXMO PUCCINO
D’office une voix off d’hôtesse d’accueil annonce l’entrée de ce phénomène : un voyage dans sa sphère est programmé. La scène est nébuleuse, il y fait son apparition et instaure une complicité avec le public. Ses textes lyriques ont révolutionné le rap, il a su agrémenter ce genre musical de paroles raffinées. Celui que l’on appelle le « black Jaques Brel » recueille la complaisance d’un grand nombre de fans, un beau cadeau pour célébrer son 39ème anniversaire. Plus tard, il clame sa joie d’avoir rencontré Mulatu Astatke sur les réseaux sociaux.
AMADOU & MARIAM
Le couple malien offre une escapade dans son pays natal. Ils interprètent ensemble leurs chansons dans deux langues : le bambara et le français, de quoi faire jaillir l’essence de leur nation. Des paroles souvent astucieuses. En témoigne le titre Dougou Badia contre les ragots et les personnes pernicieuses qui en produisent, qui devient un appel à faire fi des rumeurs et à profiter. « Djamayo ounalyéndé aounana mogo gnana djé dela » : « Nous sommes là pour encourager les gens et les rendre heureux », une intention réussie. L’immanquable Dimanche à Bamako est chanté à l’unisson. Ils expriment aussi des musiques patriotiques tel qu’Africa mon Afrique qui est un projet engagé tandis que les danseuses frétillent au rythme du djambé.
ROBERTO FONSECA
Du jazz épuré aux tonalités cubaines cette fois, avec pour instrument un piano que les doigts de ce jeune virtuose caressent avec grâce. Il institue un moment intimiste, comme dans un Havana Club. En 1999, il avait décroché le "Cuba’s Best Jazz Album", son talent époustouflant a, ici aussi, rempli d’enthousiasme.
Une trouvaille inédite qui suscite l'engouement du public
BRIAN LOPEZ
Artiste d’influences plurielles, il emploie les deux langages qui font la particularité de Tucson : l’anglais et l’espagnol. Une sensibilité est perceptible dans son timbre de voix, tantôt suave puis plus véhément. Une trouvaille inédite qui suscite l’engouement du public. Ravi d’être présent en compagnie de son ami Gabriel Sullivan lors du festival, il a ensuite repris sa guitare en fin de soirée.
STEEL PULSE
Le leader charismatique David Hinds, lors d’une conférence de presse, a stipulé son implication dans le combat contre le racisme et les discriminations : « I’m still there to fight ». Depuis plus de 20 ans, par le biais de musiques engagées et à travers des actions militantes, il formule ses idéaux et lutte contre les fléaux. Saint-Nazaire, où se situe le mémorial de l’abolition de l’esclavage, est un lieu clef et symbolique qu’il a tenu à découvrir. Selon lui, désormais, à l’ère d’internet, les jeunes sont davantage sensibilisés sur les sujets cruciaux et peuvent agir contrairement à sa génération et les précédentes bien plus sclérosées. Il aspire à voir se créer des réseaux sur la toile où les gens de différents coins de la planète pourraient échanger des idées, tisser des liens et s’exprimer, « trying to make changes ». Lorsqu’on lui demande un chant a cappella, il interprète Peace Party avec pour mots d’ordre « unity for everybody ». Une ravissante bonté d’âme et un cœur ouvert à l’autre tout à fait en adéquation avec l’état d’esprit du festival. Quelques heures plus tard, le groupe de reggae britannique tant plébiscité vient faire le show. Les couleurs du mouvement rastafari (et du drapeau éthiopien par extension) embrassent la scène. Leurs messages forts résonnent. Il énonce une phrase en français : « Nous sommes contents d’être ici », avant d’enchaîner sur un hommage de circonstance à la figure emblématique de Martin Luther King dont le fameux discours était prononcé il y a 50 ans.
TOM WALBANK
Son blues vient faire chavirer les oreilles. Cet anglais d’origine réside à Tucson et perpétue la culture de sa ville fétiche. Le programmateur Jérôme Gaboriau qui l’a déniché sur place a confié à Ouest-France : « On s’est pris une bonne claque à le voir. Il fallait qu’il soit du voyage ». Il était en l’occurrence une évidence. Il est vrai que son harmonica et sa guitare ont bousculé vers les saveurs épicées de l’Arizona. Soudain dans le décor aménagé, on oublie que l’on est dans une ville portuaire et l’on atteint le désert.
Un festival éclectique haut en couleurs
SKIP AND DIE
Un groupe mené d’aplomb par la chanteuse délurée Cata.Pirata qui conjure le public de se laisser emporter dans la musique. L’envoûtement opère, nous sommes propulsés dans la galaxie hip hop/électro. Décalée et dynamique, elle occupe l’espace scénique avec une effervescence saisissante. Quant à ses musiciens, ils sont des plus performants. Le public crie avec eux "yélé yélé yélé yélé". Même si l’ambiance est festive, la Sud africaine et ses acolytes n’en demeurent pas moins à l’origine de morceaux engagés , commeLa Cumbia Dictadura ou Anti-Capitalista.
CHICHA DUST
De la poussière de chicha qui se répand avec délicatesse. Gabriel Sullivan et Brian Lopez, les compères de Tucson, sont réunis dans ce groupe qu’ils ont formé afin de clôturer le festival avec entrain. Le public est enjoué d’écouter une dernière fois ces artistes du far west. Sur les quais de la Loire ce style inhabituel intrigue et restera pour coup sûr un excellent souvenir de ces nuits à la conquête de l’Ouest.
Comme tout festival, au-delà des artistes et leurs prestations admirables, d’autres personnes essentielles sont camouflées dans l’ombre. Il s’agit des organisateurs ingénieux et des bénévoles qui se sont dévoués tout au long des soirées pour les rendre inoubliables. Un investissement remarquable digne d’ovations qui a permis de satisfaire les spectateurs. L’ambition du directeur était de faire briller le feu des projecteurs sur des interprètes venus d’ailleurs, un pari encore tenu. Ces invités de choix formaient un prisme de variété avec pour dénominateur commun la volonté de partager et défendre les valeurs de leur culture. Le public a eu la sensation de s’embarquer vers d’autres contrées le temps de galvaniser ses tympans. Entre têtes d’affiche et découvertes sensationnelles, l’atmosphère était à l’exaltation, le taux de fréquentation était d’ailleurs très élevé cette année. Un festival éclectique haut en couleur qui vous fait regretter de ne pas posséder le don d’ubiquité.
Photos et texte : Laëtitia Tamic
Bloc-Notes
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