MUSIQUE
Woodkid, l’âge d’or retrouvé
L’enfant de bois ne laisse pas de marbre
En septembre dernier, la scène nantaise du Stéréolux accueillait le phénomène Woodkid lors du festival Scopitone. Depuis, l’artiste a élaboré son premier album et atteint un point culminant de sa carrière. Son projet musical, poétique et cinématographique s’avère de grande envergure et lui vaut un succès fulgurant.
Yoann Lemoine, trentenaire lyonnais, se camoufle derrière ce nom de scène singulier. Le jeune barbu tatoué, dont l’esprit brillant est préservé sous sa casquette, possède une incroyable sensibilité artistique qui n’a pas fini de faire parler. Suite à des études d’art graphique, il rêve d’animer l’image et se lance au défi. Après avoir réalisé divers clips pour des célébrités telles que Lana Del Rey, Moby, Drake & Rihanna, il entreprend d’intégrer le milieu de la musique à son tour et notamment d’exploiter son aptitude à jouer du piano. Il développe un projet titanesque à l’investissement colossal : construire une trame narrative qui prend son essence dans la nostalgie de l’âge d’or qu’il associe à l’enfance. Il conçoit la figure de l’enfant de bois qui va devoir affronter le passage à l’âge adulte et les désillusions que cette transition engendre afin de se forger, devenir de fer.
Une musique novatrice
Il conçoit la figure de l'enfant de bois qui va devoir affronter le passage à l'âge adulte et les désillusions que cette transition engendre afin de se forger, devenir de fer
Doté d’une polyvalence artistique hors du commun, le Français à l’âme ambitieuse sollicite la sensibilité musicale qu’il a héritée de sa famille et s’impose dans l’univers de la pop alternative. Son timbre de voix est plutôt rauque néanmoins il profère une impression suave. La musique est tantôt touchante ( Wasteland, Baltimore’s fireflies, Where I live ) tantôt pétillante voire épique ( Run boy Run, The great escape, Conquest of spaces ). Il articule son projet autour d’ « un orchestre mélangé à des samples et des beats hip-hop dans les percussions ». Entre tambours grandiloquents, piano, cuivres, cordes, etc., il explore toutes les sonorités avec adresse. Les paroles qu’il rédige sont lyriques et loin des stéréotypes habituels. Elles culminent vers le fil conducteur de la mélancolie. Le thème de l’eau est une récurrence qui participe à esquisser des métaphores. À la fois symbole de pureté, et associable au liquide amniotique dans lequel baigne l’enfant avant de naître, cet élément semble être une obsession, un motif symbolisant le besoin de retour à l’état de nature, d’innocence primitive.
« Deep in the ocean, dead and cast away » (Iron)
« Most of what I used to be had vanished in the waves the memories of the boy I’ve been were drowning and you saved them » (Wasteland)
« Untied the knot and raised the sail we threw our hearts into the sea » (Boat song).
De quoi plonger au plus profond des anxiétés qui le submergent.
Des réalisations d’exception
En outre, il considère que le visuel est lié au son, il produit alors une fresque majestueuse pour accompagner son travail. « En tant que réalisateur, l’image est très importante pour moi. Je travaille selon un procédé artistique qui s’appelle en anglais “translation”, c’est-à-dire des conversions, des traductions. Cela consiste à traduire des émotions ou des sons en images et des images en sons. J’aime trouver une suite d’accords, de sons particuliers, une tonalité futuriste et l’associer à une image. Sur Run boy run, il y a des percussions très tribales, très agressives. Elles représentent ces espèces de monstres de l’enfance. Sur Iron, la fumée noire et épaisse trouve son équivalent dans le son des cuivres. Quand j’écris une chanson, j’ai déjà les images en tête et inversement », confie-t-il lors d’une interview pour France-Amerique. Durant son concert, un écran où défilent des images significatives témoigne effectivement de son goût pour l’alliance de ces deux arts, une forme de synesthésie évidente entre la vue et l’ouïe.
Ses clips ostensiblement audacieux traduisent la fougue qui brûle en lui. Encore une fois, une véritable identité artistique est perceptible. Sa touche personnelle émane à travers l’apparition d’animaux ( une chouette, un chien et des chevaux dans Iron, des corbeaux dans Run Boy Run, des baleines dans I love you ). La mise en scène animalière est une tâche des plus complexes, il semble la maîtriser avec une aisance déconcertante. En témoigne sa publicité pour un parfum dont il a aussi composé la bande-son. D’autre part, le symbole des clefs, qu’il nous laisse libres d’interpréter à notre manière, est également une véritable marque de fabrique omniprésente. Il utilise le noir et blanc avec application, ses travellings sont pleinement maîtrisés et il sait avoir recours à des plans judicieux. Il parvient à puiser des inspirations dans des chefs-d’œuvre tout en s’en démarquant : Run boy run fait songer au film Les Oiseaux d’Hitchock lorsque l’enfant est poursuivi par les volatiles, l’atmosphère d’I love you rappelle Le Ruban blanc de Mickael Haneke.
La vidéo d’I love you est sans conteste l’une des plus majestueuses. Elle instaure une ambiance à la fois mystique et tragique. Yoann Lemoine tient à ses origines polonaises et met en valeur la culture de l’Est en démarrant son clip par une intervention du personnage en russe : « Сегодня я расскажу вам историю о человеке, который затонул в холодной воде океана после потери своей любви. Это история о человеке, который умер дважды. » Signifiant : « Aujourd’hui je vais vous raconter l’histoire d’un homme qui a coulé dans les eaux froides de l’océan après avoir perdu son amour. C’est l’histoire d’un homme qui est mort deux fois. » Dès lors, nous nous engouffrons dans un milieu pittoresque où l’immensité des paysages semble souligner la solitude affligeante. Nous remarquons une maîtrise parfaite des jeux de lumière, certaines images proches de la technique de l’HDR ce qui accroît l’effet d’intensité, le tout allié à des vues aériennes radieuses. La détresse du personnage incarné avec magnitude par le mannequin Matvey Lykov est saisie dans son vif.
Lorsque nous visionnons ces clips si fuligineux, nous sommes perdus dans ce flot de détails. Propulsés dans un univers que nous cherchons à cerner, il nous manque encore les clefs de cette énigme intrigante. Woodkid a tissé une toile qu’il a dévoilée au fur et à mesure. Son premier clip est mis en ligne en mars 2011, le second en mai 2012, le dernier en date le 4 février 2013. L’album quant à lui s’est fait désirer jusqu’au 18 mars 2013.
The Golden Age, une consécration
Le puzzle va alors se reconstituer à la sortie du premier opus et surtout par le biais de l’édition limitée. Nous avons accès à un livre qui se veut être une forme de Bible, rédigé en anglais, co-écrit avec sa cousine Katarzyna Jerzak et illustré par Jillian Tamaki.
Leur qualité de rédaction est stupéfiante. Dès lors, nous découvrons la vision de ce fameux enfant que nous ne connaissions que de visage mais qui nous semblait si familier. Ce dernier expose le bonheur de l’âge d’or au contact de la nature puis ses angoisses, ses désenchantements et l’affront de la ville loin de ses racines. Là encore, l’artiste excelle et narre une histoire excessivement poétique mêlant à la candeur juvénile, la torpeur de l’amour perdu et la vaillance à résister. Ce sont autant de sujets universels pourtant si peu explorés avec autant de profondeur. Les mots ne semblent plus être de simples outils, ils sont employés avec une ingénuité qui vise à agripper notre cœur. Nous embarquons dans la sphère intime du héros qui livre ses ressentis en toute authenticité. Grâce au thème de la mer qui constitue encore une fois un topique primordial, ce n’est plus seulement l’enfant qui est perdu dans les abysses, mais nous qui voguons à ses côtés sur les vagues de l’insaisissable insouciance.
Aujourd’hui je vais vous raconter l’histoire d’un homme qui a coulé dans les eaux froides de l’océan après avoir perdu son amour. C’est l’histoire d’un homme qui est mort deux fois
Après Marcel Proust et ses réminiscences, dont celle de la fameuse madeleine, Woodkid a incontestablement invoqué la nostalgie avec beaucoup de pureté et de justesse. Le narrateur, qui pourrait être une forme de double même si le récit reste fictionnel, raconte de petits instants prosaïques, capture avec intensité des souvenirs de cette jouvence qui s’est depuis longtemps éclipsée. Difficile de ne pas faire un autre rapprochement avec l’écrivain d’À la recherche du Temps perdu en constatant qu’ils évoquent tous deux un lien maternel très fort dans leurs œuvres.
Woodkid est parvenu à conquérir le public, même si certains jugent son projet presque trop excentrique il leur rétorque : « Cette démarche elle vient avant tout d’une démarche assez généreuse de divertir les gens plus que de mégalomanie. S’il y en avait vraiment, peut-être qu’il y en a, mais s’il y avait vraiment de la mégalomanie derrière peut-être que je serais dans mes clips assis sur un trône. »
Il demeure incontestable que son implication est époustouflante et que la France peut se ravir de compter un talent si abouti. En investissant tous les domaines de manière spectaculaire, il a construit une véritable épopée mystique contemporaine.
Site officiel : http://www.woodkid.com/
Laëtitia Tamic
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