
Manifeste pour la presse
Emmanuel Lemoine : « Pour promouvoir une presse différente, il faut préparer le lecteur »
Europa est un magazine culturel gratuit d’information européenne. Basé sur un modèle de journalisme participatif, il s’appuie sur un réseau de jeunes correspondants de tout le continent européen. Un modèle économique hybride, une prudence dans l’implication sur internet, foi en l’éducation aux médias. Interview « manifeste pour la presse  » de son rédacteur en chef et cofondateur, Emmanuel Lemoine.
Pourquoi lire le manifeste de la revue XXI ?
On m’a abonné pour Noël à XXI. Ce numéro 21 était donc mon premier numéro. J’ai été intéressé par le contenu et par le contexte. Ils ont choisi quelque chose d’un peu moins nombriliste et plus ouvert qu’une rétrospective des précédents numéros pour cette publication anniversaire. Ils adoptent tout de même un ton de donneurs de leçon, comme si eux avaient trouvé la solution. Ça m’a permis de m’interroger sur le modèle de la publicité et sur le modèle du bimédia (web et papier) à l’échelle d’Europa.
Quel est le modèle économique d’Europa ?
Le modèle économique qu’on a choisi dès le début c’est la publicité, les subventions, les abonnements et la prestation de services. L’idée était de ne pas dépendre d’une seule source de financement pour préserver notre indépendance. Au final, on est plus libre avec les annonceurs privés qu’avec une subvention publique où il y a toujours des contreparties qui ne disent pas leur nom. Dans le cadre de la publicité, on signe un contrat et les choses sont claires. Il y a quelques années, on avait un partenariat avec Fun Radio à Nantes. En échange de quelques annonces à l’antenne, on publiait une pleine page de pub. Juste en face de cette page, on a fait un petit dossier sur la presse jeune européenne et notamment la presse alternative que l’on porte et que l’on défend. On a joué sur ce paradoxe en illustrant le dossier avec un dessin de presse qui reprenait le personnage de la pub Fun Radio lisant Europa [1]. Ça n’a pas posé de problème, je pense même que ça a fait rire à Fun Radio, comme chez nous. On assume notre côté décalé (NDLR : L’Europe en long, en large, et de travers comme slogan), on le met en avant dans notre manière de traiter les sujets donc les annonceurs et les collectivités savent que ça fait partie de notre projet.
Lors de la publication de certains dossiers [...], il est possible que ça grince un peu
On a la chance d’avoir une ligne éditoriale qui n’est pas directement en lien avec la politique locale et de s’entendre sur plusieurs points avec la mairie. Par contre, lors de la publication de notre dossier consacré aux projets rentables ou inutiles — Notre-Dame-des-Landes, mais aussi des projets du même ordre en Espagne et en Allemagne — il est possible que ça grince un peu. C’est pour avoir une marge de manœuvre par rapport à ces subventions, que l’on s’est toujours dirigé vers la pub. Mais on réalise, et c’est aussi le constat que fait XXI, que la pub ne ramène plus assez d’argent. Pour le web, c’est sûr, c’est un modèle qui a trouvé ses limites. À moins de s’appeler Google ou Facebook. Dans la presse papier, en particulier à Nantes où il y a une offre de journaux gratuits pléthorique, les annonceurs ont du mal à s’y retrouver.
La Une du dernier numéro d’Europa et ses choix audacieux.
Les abonnements représentent 8 à 10 % de nos recettes. Ils restent très marginaux. On les propose à des structures (CDI, médiathèques, bibliothèques universitaires, alliances françaises à l’étranger), mais aussi à des particuliers dans toute la France. Ça pourrait être plus rentable, mais c’est un gros travail de démarchage qui requiert un poste à temps complet. Quant aux prestations que l’on propose, elles consistent à produire des magazines pour des partenaires, des associations, des collectivités d’une part. Et d’autre part, intervenir lors d’animations sur l’éducation aux médias. C’est intéressant à la fois sur le plan financier, mais aussi sur le plan des valeurs que l’on défend. Pour promouvoir une presse un peu différente, il faut préparer le lecteur. On ne veut pas que les Nantais associent Europa à Direct Matin ou à la programmation de Stéréolux qui ressemble de plus en plus à un journal. Or, ce n’est pas à l’école que l’on apprend à faire la différence entre la communication et la vraie information. Notre mode de financement est hybride et on tient à ce qu’il le reste. On tient aussi à la gratuité et à la diffusion régionale. On essaye de consolider notre modèle là dedans.
Comment s’est traduite la transition numérique à Europa ?
Pendant longtemps, notre site internet n’était qu’une vitrine de notre journal papier. On pouvait y consulter le journal au format PDF et obtenir des infos sur les prochaines publications. Avec la notoriété et l’ancienneté, certains lecteurs connaissaient Europa uniquement par internet. Il y avait une frustration de ne pouvoir feuilleter le papier que sur PDF, ce qui a tout de même moins de cachet. Frustration également de ne pas avoir d’infos entre deux parutions. Il y a deux ans, on a donc décidé de proposer une information qui soit propre à internet : des publications plus fréquentes, des liens entre les articles, un contenu enrichi. L’investissement se mesure essentiellement en temps, puisqu’un volontaire est désormais chargé de la rédaction web. Il a tout de même fallu payer la prestation d’un webmaster pour fluidifier et rendre plus ergonomique le site.
Est-ce pertinent de courir deux lièvres à la fois pour au final n’en approfondir ni l’un ni l’autre ?
On bénéficie d’un excellent référencement (même URL depuis 7 ans). Nos entrées se font donc principalement via les moteurs de recherche, mais de plus en plus par les réseaux sociaux. Le magazine papier reste une priorité. Est-ce pertinent de courir deux lièvres à la fois pour au final n’en approfondir complètement ni l’un ni l’autre ? Est-ce qu’on peut publier un magazine qui ait de l’allure d’un côté et un site qui soit pertinent de l’autre ? On essaye de faire les liens entre les formats papier et numérique. Grâce à des QR code dans le journal, le lecteur est renvoyé vers une version de l’article dans une autre langue ou vers un contenu multimédia.
Que doit-on attendre du journalisme ?
Le manifeste de XXI pose la question de savoir quel journalisme on veut. Le journaliste est de plus en plus dans l’immédiateté, le buzz, l’actu pour l’actu. Même les grands médias tombent dans le panneau. L’info chasse l’info, le travail de hiérarchisation n’est plus fait et de vrais sujets passent à la trappe. Ça devient une évidence de le dire, mais il y a un vrai travail à faire auprès du grand public pour montrer ce que ça signifie, ce que ça cache. Le travail du citoyen pour s’informer devient titanesque. S’informer est un travail à temps complet donc on ne peut pas reprocher au citoyen de ne pas faire cet effort. Dans notre journal papier, on a le temps pour des articles plus longs, pour du travail de fond, de la recherche. On a bien essayé de passer au mensuel, mais on s’est cassé les dents. On est rapidement revenu au bimestriel, et même trimestriel aujourd’hui. Prendre le temps entre chaque parution, c’est indispensable pour nous qui sommes un média participatif. Il faut laisser le temps à nos bénévoles — qui sont étudiants ou ont un travail — de gratter, de poser des questions. Mais il y a aussi un besoin pour l’immédiateté. Ça reste de l’info de savoir ce qui se passe au Mali à condition de ne pas tomber dans les redites incessantes. Pour ça, XXI ne propose pas de solution. Lorsqu’on propose de la médiocrité aux lecteurs, ils acceptent la médiocrité. Mais ça ne veut pas dire que c’est ce qu’ils veulent. Dans l’offre qui est proposée, la gratuité nivèle par le bas. Si dans une rédaction il y a quinze commerciaux pour deux journalistes occupés à recopier les dépêches de l’AFP, c’est qu’il y a un problème. On participe un peu à cette confusion à Europa, en proposant des articles longs, fouillés, mais gratuitement. On perd le lecteur dans sa capacité à distinguer ce qui est qualitatif de ce qui ne l’est pas. C’est là que l’éducation aux médias intervient. Ce n’est pas parce que c’est gratuit qu’il faut le mettre à la poubelle, ce n’est pas parce que c’est payant que c’est forcément de la qualité. Seulement, les rédactions n’ont plus les moyens de payer des déplacements, du travail d’enquête. Tout le monde s’accorde là dessus.
C’est une sorte de propagande qui est en train de se mettre en place
À Bruxelles, les rédactions ne peuvent plus se permettre d’avoir un correspondant sur place en permanence pour traiter des questions européennes. Parallèlement, les institutions européennes ont développé leurs propres réseaux de communication et leurs propres chaines de télévision. Ils fournissent des programmes prêts à diffuser aux différentes chaines des États membres qui les diffusent tels quels, faute de temps et de moyens. La vidéo est déjà montée, la voix off est disponible dans toutes les langues ; c’est une sorte de propagande qui est en train de se mettre en place. Mais on peut faire le même constat à l’échelle nationale avec les journalistes des grands médias, réservé à une élite qui sort des mêmes écoles que les politiques. Même application à l’échelle locale. Il faut garder de côté le champ du politique et le champ syndical, pour prétendre à l’indépendance. De ce point de vue, le journalisme citoyen est intéressant. La personne qui écrit se met au même niveau que celle qui va lire. C’est de moins en moins le cas dans les grands médias. Quand on est blogueur ou journaliste-citoyen, on a cette capacité à avoir un regard critique, détaché du pouvoir. Ces publications sont souvent subjectives, mais au moins c’est assumé.
Propos recueillis par Thomas Savage
Bannière : CC Son of Groucho
[1] Europa #10, Décembre 2006, pages 21 et 22
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