
Manifeste pour la presse
Medias : le lectorat pour cible
A l’occasion de son 21ème numéro, la revue XXI publie un manifeste pour un autre journalisme. Retour sur les propositions polémiques d’un média qui a fait ses preuves et application locale avec Frédéric Lossent du Canard Social.
Ils voulaient « faire quelque chose » de spécial pour le numéro 21 de leur revue XXI. Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry, respectivement directeur de la publication et rédacteur en chef, publient à grand bruit un manifeste pour un autre journalisme. Du haut de leur « petit rocher » - la rédaction de la revue de reportages diffusée à 50 000 exemplaires en France – ils défient les médias marques et les études marketing. La revue XXI - avec Mediapart, Arrêt sur images et 6mois - est la seule, sur la trentaine de magazines ou sites internet ayant vu le jour ces cinq dernières années, à dépasser le point d’équilibre et même à dégager des bénéfices. Le tout sans publicité. Forts de ce succès, Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry dressent un constat accablant de la conversion de la presse au numérique et dénoncent la dictature de l’urgent. Ils posent les questions qui fâchent sur l’essence du journalisme et proposent des solutions qui font naître des réactions chez les différents médias. Ils rappellent la menace que peut-être la publicité pour l’indépendance d’un journal, les dangers de la course au clic, l’indispensable présence des journalistes sur le terrain et en appellent à un retour au lecteur. Encore faut-il bien s’entendre sur qui est le lecteur. Est-ce une donnée chiffrée, réductible à un achat, un clic, un niveau d’études et un pouvoir d’achat comme le laissent à penser les publicités toujours plus ciblées ? Ou bien est-ce « un homme ou une femme, jeune ou vieux, léger et grave selon les heures, avec des goûts, des histoires, des connaissances à chaque fois différentes et singulières » comme l’affirment Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry ?
Part III - Le manifeste de la revue XXI pour un... par FranceInfo
Oui, les journalistes questionnent l’avenir de leur profession. Mais ce n’est pas leur quotidien professionnel qui est en jeu. Au delà du débat qui opposent les rédactions nationales, chacune prêchant pour son modèle, c’est tout un chacun qui est concerné. C’est bien celui de la qualité de l’information dont il s’agit. Au local aussi, le manifeste donne à réfléchir. Focus à Nantes, terre de médias. Frédéric Lossent, rédacteur en chef et co-fondateur du Canard Social, partage l’idée de journalisme utile. L’exemple de son journal, plurimédia, illustre la complémentarité des outils dont dispose aujourd’hui le journalisme.
Complémentarité et cohérence
Le Canard Social est un média en ligne spécialisé sur l’actualité du secteur social en région Bretagne et Pays de la Loire. Pour Frédéric Lossent, il est « engagé mais pas partisan ». « On roule pour personne, on roule pour tout le monde ». Pour lui, le numérique a été une chance. Mais ça ne suffit pas.
La page d’accueil du Canard Social annonce sa présence à la fois sur papier et réseaux sociaux
Le numérique est une chance qui peut faire naître des frustations
Pensez-vous que le numérique soit un piège pour les médias ?
Frédéric Lossent : C’est plutôt une chance qui peut faire naître des frustrations. Le numérique ne se suffit pas à lui même. Lorsque nous avons lancé le journal au printemps 2010, nous étions un pure player, c’est-à-dire un média présent uniquement sur le web. Nous avons appris en avançant et nous sommes rendus compte de la nécessité d’exister au près de nos lecteurs au format papier. Nos lecteurs ne sont pas des technophiles, ce sont des professionnels du secteur social. C’est pourquoi nous publions désormais des hors-séries ainsi que Le Guide du Canard Social au format papier. Cela ne nous empêche pas d’envisager le lancement d’applications pour mobiles et tablettes. Seulement, on ne peut pas tout s’offrir d’un coup, c’est là que peut résider la frustration. La chance est d’avoir pu lancer notre média avec 130 000 €. Il y a vingt ans, ça n’aurait pas été possible. L’investissement aurait été nettement supérieur.
Qu’en est-il de votre indépendance vis-à-vis de vos partenaires et annonceurs ?
F.L. : Des partenaires nous ont soutenu au lancement du Canard Social, c’était indispensable. Leur aide est intervenue uniquement au lancement et sans aucune contrepartie éditoriale. C’était très important pour Cécile Petident (co-fondatrice et directrice de la publication) et moi, et ça n’a pas posé de problème car nous avons été clairs. L’avis de ces partenaires compte au même titre que celui de nos lecteurs. Ils ne sont pas présents au capital. S’agissant des annonceurs, ils sont présents sur notre site internet et dans nos pages papiers. Là non plus, pas de problème d’indépendance. Ce que les annonceurs recherchent pour leur publicité, justement, c’est un média crédible - donc indépendant. Il n’y a pas de mélange des genres. Par ailleurs, la publicité est un plus pour nos recettes mais ce n’est pas l’essentiel. Notre modèle économique n’est pas celui de la gratuité. Nous pensons que si l’information est utile elle a un coût. Ce cout c’est le prix de l’abonnement. Une autre partie de nos recettes provient de prestations lors de débats et d’organisation d’évènements.
Un journaliste assis est-il un mauvais journaliste ?
F.L. : Nous sommes un média de proximité, l’essentiel de notre travail se fait donc sur le terrain. On ne peut pas faire de proximité sans aller sur le terrain. C’est indispensable pour humer l’ambiance d’un moment, s’imprégner d’un contexte. C’est pourquoi il arrive que l’on s’en passe lorsqu’il s’agit de publier une simple brève, par exemple. La présence sur le terrain permet aussi d’exister auprès de ses lecteurs et futurs lecteurs. Nous disposons de très peu d’informations chiffrées sur nos lecteurs, mais nous les connaissons car nous allons à leur rencontre, sur le terrain.
Si l’information est utile elle a un coût. Ce coût c’est le prix de l’abonnement
D’une certaine manière, les réseaux sociaux sont un terrain. Le Canard Social y est présent depuis un an ; cela nous a permis de rencontrer un public plus jeune et de mieux faire circuler nos informations. Plus une information circule, plus elle a de la valeur. On fait du journalisme avec les moyens du moment, mais c’est toujours le même journalisme. Il ne faut pas se leurrer en pensant que le numérique a tout changé. Les différents outils à notre disposition doivent être utilisés avec complémentarité et cohérence.
Thomas Savage
Dossier à suivre prochainement avec les rencontres d’autres médias indépendants à Nantes.
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