
FOCUS
La fête de la mort et du sexe
Entretien
La photographie, le bricolage «  Lo-fi  », les musiques «  indus  », l’errance, la mort et l’érotisme... Ce sont quelques thèmes que nous montre, de façon singulièrement «  brut  », Carlos Salgado, artiste photographe nantais. Ses réactions, par thème, lors d’une rencontre en juin 2012.
La photographie
« Je n’aime pas « artiste photographe », c’est prétentieux. Il ne s’agit pas de création mais plutôt d’une recherche esthétique, d’une mise en pratique. « L’art c’est réorganiser le réel » d’après Camus [1]. Je tente de « prendre » des souvenirs qui partent dans l’oubli, pour les retenir, les réorganiser. La photographie, c’est une poursuite de sens dans mon vécu, elle m’accompagne, et peut jouer le rôle d’intermédiaire avec le monde. Mais aussi avec le temps. Je trie et travaille en fonction. Le jour et la nuit tranchent ma démarche, ce sont deux exercices différents. La journée, j’erre, je « zone »... Sans but précis. Le travail de nuit est différent, c’est un travail beaucoup plus personnel. Je peux rentrer dans l’intimité nocturne pendant de longues plages horaires. L’anonymat le jour... l’intimité la nuit. Je n’ai pas fait d’école, je veux garder un côté « brut ». La nécessité de la photographie, j’y pense pas, c’est compulsif. »
La technique photographique
« Beaucoup de Lo-fi [2], de techniques de bricolage. Comme récupérer des vieux appareils cassés, les réparer, et faire des photos « malgré tout ». Ces méthodes visent l’inverse de quelque chose de parfait, d’une image claire, transparente. Mais plutôt sa dégradation. Je tire sur les noirs au développement, puis la photo peut être photocopiée, ré-imprimée, re-photographiée... J’associe ces ouvrages à l’écoute de musiques « industrielles » pour leurs sons dégueulasses, leur côté brut, et saturé. Comme l’image. Mon appareil photo fétiche, c’est le Ricoh GR1. Il est petit et adapté aux lieux publics ainsi qu’aux endroits intimes. C’est en regardant le travail de Daidō Moriyama [3]que j’ai eu le déclic. Il préfère l’appareil compact au gros réflex, c’est une question de rapport aux gens, ils se sentent moins impressionnés. Il me convient. Surtout, il est increvable. Le mien est tellement vieux que je suis obligé de taper dessus parce qu’il s’arrête. Un petit coup, et hop ! »
La journée, j'erre, je « zone »... Sans but précis. Le travail de nuit est différent, c'est un travail beaucoup plus personnel
La mort et l’érotisme
« En plein dedans ! La mort...plus le sexe. Et le souvenir. Le souvenir en rapport avec la mort. Mon travail est un journal, un rapport à l’intime, comme au corps et à l’érotisme. Cela frôle le fétichisme. Pas dans le sens dont en parle Susan Sontag [4], la photo comme « support masturbatoire » mais celle qui participe à l’excitation de la matière grise, de l’« essence ». L’image est quelque chose de physique, charnel, il en résulte comme ça un rapport érotique. Et sa dégradation, en lien avec la vie qui va vers la mort. Inévitablement. »
L’errance
« Comme le souligne Depardon [5], l’errance n’est pas seulement physique, une recherche, une quête du lieu acceptable. C’est aussi l’errance intérieure, la position de vie. Certains semblent avoir trouvé la leur, ainsi que leur condition, leur pensée... Moi, je pense que je serai toujours en train de rechercher le lieu, les milieux, les gens, l’amour, la personne. Ce n’est pas de l’errance maladive, de celui qui est perdu, qui vit « ailleurs ». Au fond, je pense que je recherche ce qui n’est pas, ce qui n’existe plus, l’absence. »
Projets
« Les éditions Santa Muerto (2009-2012). Le nom vient d’une chanson Santa Muerte écrite par une nana, Esmeralda Strange, qui vit près de la frontière mexicaine, je crois. Elle raconte la fête de la mort là-bas qui n’est pas forcément quelque chose de sombre et qui possède une esthétique bien particulière. A propos du projet La Fille imaginaire (2012). Aujourd’hui nous appelons photographie des clichés qui sont rarement visibles sur le support papier. C’est cette perspective de recherche qui a suscité ce travail en rapport avec les écrans et qui a donné lieu à une présentation lors d’un évènement privé. »
Propos recueillis par Geneviève Brillet
Crédits photos : avec l’aimable autorisation de Carlos Salgado. Tous droits réservés.
[1] Camus, article Art et révolte dans L’Homme révolté
[2] Lo-fi (Low-fidelity, en opposition à haute-fidélité ou hi-fi), est une expression apparue à la fin des années 1980 aux États-Unis pour désigner certains groupes ou musiciens underground adoptant des méthodes d’enregistrement primitives dans le but de produire un son sale, volontairement opposé aux sonorités jugées aseptisées de certaines musiques populaires
[3] Daidō Moriyama est un photographe japonais. Il est né en 1938 à Ikeda, près d’Osaka. Ses photographies témoignent de l’évolution des mœurs dans le Japon de la deuxième moitié du XXe siècle
[4] Susan Sontag, essayiste romancière américaine. Son essai Sur la photographie, 1977, est considéré comme une référence sur le sujet
[5] Raymond Depardon, photographe, journaliste, réalisateur, écrivain français. Ouvrage Errance
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