
Arrêt sur Image
(Re)Naissance du Cinéma Gore made in France
MAD MUTILATOR : entretien avec Christophe Lemaire
Le grand gourou de l’Absurde Séance, alias Jean-Maurice Bigeart, nous avait conviés à une soirée genre « les dossiers de l’histoire  » mais à la sauce piquante.
Programmant MAD Mutilator en présence du grand, mais néanmoins modeste,
Christophe Lemaire critique Starfix, Rock & Folk, Mad-Movies, Brazil et acteur zombie pour ce film. Fragil a eu pour l’occasion, le grand plaisir de le rencontrer en privé. Venu spécialement pour présenter le premier film d’horreur Gore français. Filmé en super 8 et réalisé en 1983 par Norbert Moutier, ce film sort à la grande surprise générale en dvd (disponible au Katorza).
Du Slasher au cinéma Z
notre wonder-détective se retrouve capturée. Syndrome de Stockholm ? La naissance d’une expérience éphémère, mais amoureuse, entre nos deux tourtereaux voit le jour
- Slasher
- Made in Nanarland
Ogroff de son premier nom (Mad Mutilator est arrivé par la suite pour le marché américain et en plus cela rime avec Predator, super vendeur), raconte la charmante histoire de ce bûcheron fou ayant subi l’ablation d’un œil (ce qui explique… ou pas, le port d’un masque en cuir), vivant replié dans la forêt d’Orléans et massacrant sauvagement toute personne osant pénétrer son territoire. Son emploi du temps de tueur se voit néanmoins perturbé par l’héroïne du film. Après un entretien catastrophique avec la gendarmerie (en résumé : « on ne peut rien faire, il est trop bien caché ») et déterminée plus que jamais à découvrir l’auteur de ces horribles crimes, la madame décide alors de partir à la recherche de notre bûcheron orléanais. Trouvant avec une aisance déconcertante la tanière d’Ogroff, notre wonder-détective se retrouve capturée. Syndrome de Stockholm ? La naissance d’une expérience éphémère, mais amoureuse, entre nos deux tourtereaux voit le jour. Le lendemain d’une nuit bien agitée sous la couette, le couple s’emploie à effectuer leurs lots de tâches quotidiennes, affûtage de hache pour l’un et nettoyage de membres humains à la pelle pour l’autre. Profitant du planning plus que chargé de son ami cannibale, notre charmante héroïne profite de ce temps libre en continuant de s’appliquer à rendre propre leur petit nid d’amour et c’est alors… oui c’est alors... qu’elle libéra une horde de zombies stockés dans la cave, via une trappe sans cadenas (mince alors). A ce moment précis le « film » passe du slasher à un film de zombie. Du grand n’importe quoi. Cette belle surprise effrayant sa douce, la gentille décide de prendre la fuite en voiture. Ogroff le méchant contre attaque en chevauchant sa 750 Kawasaki flambant neuve, son casque et sa hache (jamais sans sa hache) afin de montrer à maman qui est le patron.
On vous l’accorde le scénario est tout moisi, mais pas que…, ce MAD Mutilator, compile à lui seul tout ce qu’il ne faut pas faire dans un film, il croule littéralement sous les effets gore ratés, les situations absurdes, comme par exemple l’ambiance sonore de la forêt, plus bruyante que le passage d’un avion, l’interprétation amateur, les déficiences techniques de tout poil (photo surexposée, cadrages cacas, faux raccords à hurler) et dialogues improbables [1] ». Il est vrai que le résumé de la jaquette est plus clair que le film lui-même.
Moutier un Ed Wood à la Française
Vous allez me dire « mais pourquoi ont-ils programmé ce film ? » Je vous propose alors de profiter de la visite guidée de l’acteur « fétiche » de monsieur Norbert Moutier, monsieur Christophe Lemaire (attention spoil garanti) :
Fragil : Comment Norbert a eu l’idée de faire ce film ?
Christophe Lemaire : C’est simple, il était un fan absolu du cinéma de genre ! Il avait pris comme nous tous, sa claque ! Lors de la sortie de Massacre à la tronçonneuse (mais oui le masque d’Orloff) ou Zombie (fin de fou du film). De ce fait, il a voulu lui aussi contribuer à ce genre cinématographique, mais made in France.
Fragil : Comment passe t-on de Massacre à la Tronçonneuse à un nanar ?
Christophe Lemaire : Malheureusement c’est assez symptomatique des réalisateurs. Quand tu travailles deux ans sur un projet, tu finis par avoir du mal à prendre de la distance, comme le poids et la justesse de ta création. Je vais te donner un exemple, tu vas comprendre, mon ami Pascal Laugier m’invite, il y a maintenant quelques années de cela à la projection en « avant avant » première de Martyrs, chez lui en compagnie des actrices principales et deux ou trois autres amis. La projection se termine et là un ange passe… Pascal nous regarde l’air désespéré et se lève les bras en l’air en colère contre lui-même, sortant un truc du genre « je le savais, mon film est une merde ». A cet instant, on essayait de reprendre succinctement nos esprits par rapport à l’énorme coup de poing que le film venait de nous coller. Le film est un chef d’œuvre, mais après ces deux ans Pascal en proie aux doutes, avait perdu confiance. On l’a vite rassuré et c’est la même chose pour Norbert ! Enfin presque !
Fragil : On a franchement du mal à croire qu’il a voulu nous faire peur !
Norbert Moutier bien accroché à son siège et convaincu du choc que représentait ce premier long métrage Gore français allait réussir son effet, mais pas dans le sens où il l'avait imaginé
Christophe Lemaire : Et pourtant c’est le cas, lors de sa première projection je crois que c’était lors du festival du court métrage organisé en 1984 par MAD-Movies, ce film fut projeté en deuxième partie. Norbert Moutier bien accroché à son siège et convaincu du choc que représentait ce premier long métrage Gore français allait réussir son effet, mais pas dans le sens où il l’avait imaginé. Le public s’est marré et c’est peu dire, alors oui Moutier ne savait plus trop où se cacher ! Pendant toute la réalisation on le voyait à fond dans son film, alors que l’on pouvait facilement présager du délire du truc.
Fragil : Mais qui est vraiment ce Norbert Moutier ?
Christophe Lemaire : C’est lui qui joue Ogroff dans le film. Je crois qu’à l’époque il devait être comptable, passionné comme nous tous de cinéma et tout particulièrement de cinéma de genre. Créateur du fanzine Monster Bis, il collabore également à L’Ecran fantastique, il a ouvert il y a déjà longtemps une boutique dans paris, je ne sais d’ailleurs pas si elle existe toujours (6 rue Pierre Sémard dans le 9ème arrondissement, mais son site internet est toujours actif ndlr). Cet endroit a longtemps été un des hauts lieux du trafic de films rares et de bizarreries cinématographiques en tous genres. Pour ce qui est de ces films, une grande partie des scènes a été réalisée dans le sous sol de sa boutique et je dois dire que je pense avoir tourné dans la plupart de ses projets. A croire que j’étais son acteur fétiche (sourire). Je pense que son engagement était entier à chaque fois.
Fragil : Comment est ce que l’on se retrouve à jouer dans MAD Mutilator ?
Christophe Lemaire : A l’époque on avait tous dans notre coin notre fanzine publié à quelques exemplaires, on se les achetait entre nous. J’ai crée le fanzine Phantasm en clin d’œil au film américain réalisé par Don Coscarelli, sorti en 1979. Jean-Pierre Putters montait petit à petit ce qui devenu le magazine Mad Movies et ouvrait la boutique Movies 2000. Alain petit et Le Masque de la Méduse décembre 1970, grand spécialiste de Jess Franco. Ce réalisateur espagnol avait pour habitude de tourner avec Howard Vernon, jouant le vampire à la fin d’Ogroff. C’est d’ailleurs très certainement grâce à Alain si Moutier à réussi à avoir Howard, à cette époque il jouait même pour la gloire, devenant par la suite un référent dans ces acteurs de genre (une filmographie incroyable). Pierre Pattin et François Cognard passionnés comme le reste de la bande qui par la suite sont devenus acteur, producteur et scénariste. Enfin voilà, je crois que l’on s’est retrouvé dans cette forêt, on est descendu en train, un ou deux jours et c’était tourné.
Fragil : C’est comment un tournage de Mad Mutilator ?
- photo de famille
- Photo prise sur le tournage : Christophe Lemaire (en haut à gauche), François Cognard (en haut à droite) et feu Pierre Pattin (en bas)
Christophe Lemaire : Ca pue c’est ignoble ! Le plateau puait la bidoche que récupérait Moutier chez le boucher du coin, afin de donner du réalisme aux scènes cannibales. On était une bonne bande de potes et on s’est quand même bien marrés...
Fragil : Comment vous expliquez cette sortie DVD, pratiquement 30 ans après ?
Christophe Lemaire : C’est incroyable ! Moi même pendant des années je n’avais pas de copie et un beau jour de marché aux puces, je vois un gars avec un caddie comportant deux piles de VHS (pour vous situer l’époque). Sur les deux films, il avait Mad Mutilator ! 15 ans après ! Je l’achète une certaine somme...pour après en faire finalement une copie DVD, car jamais je n’aurais pu imaginer de mon vivant voir un jour sortir Ogroff en DVD. Pour moi l’image que je me suis toujours faite de ce film représentait juste deux supers fans par pays (il semble que non). Certains Fellini ne sortent pas en DVD alors que l’on retrouve aujourd’hui et pourquoi pas Mad Mutilator. C’est juste complètement fou !
Non mais c’est quoi ce truc !
Nous étions une cinquantaine de personnes motivées à subir cette expérience cinématographique, j’avais même pour l’occasion un ami de choix qui m’avait fait la joie de se joindre à moi dans cette aventure. Il faut dire que tous les faits évoqués précédemment dans cet article sont réels. Ce film est vraiment incroyable, il reste même par moment touchant tant dans le doublage sonore que dans certains plans à rallonge. On est presque dans du cinéma muet, nourrit d’une dose ultra puissante de nitro, c’est rock and roll et c’est le moins que l’on puisse dire. Finalement le film a eu un bon accueil.
Un grand merci à Christophe Lemaire pour sa disponibilité
Photos source : Nanarland
[1] Merci à Jean-Maurice Bigeart pour cet entretien avec Mr. Lemaire et ses descriptions de pitch bien ficelées
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