
ÉDUCATION AUX MÉDIAS
L’éducation au genre par les médias : anti effet cosmétique
Interview des spécialistes Alton Grizzle et Patrick Verniers
Les médias, miroir quotidien de la société ? À en croire les indicateurs, pas vraiment. Selon une étude de l’UNESCO, seulement 24 % des personnes vues, entendues, ou dont on parle dans les médias sont des femmes, contre 76 % d’hommes. L’éducation au genre, par les médias, n’est donc pas un effet cosmétique pour faire du spectateur un citoyen averti. Rencontre avec deux spécialistes de la question aux 30 ans du CLEMI à Paris.
Alton Grizzle, responsable des programmes communication, information et des actions médias, genre et éducation à l’UNESCO, Paris.
Fragil : Pourquoi l’éducation aux médias s’intéresse-t-elle au genre ?
Alton Grizzle : Une fonction essentielle des médias est de promouvoir la diversité. La diversité dans la culture, mais aussi dans le genre et ses représentations. Car les représentations des gens dans la culture influent sur le genre. Les statistiques montrent que seulement 24 % des personnes vues, entendues, ou dont on parle dans les médias sont des femmes, contre 76 % d’hommes. L’idée de relier l’éducation aux médias à l’étude du genre est simple. Cette éducation donne aux citoyens les compétences et les savoirs pour maîtriser les médias. De voir ce qu’ils font concrètement pour demander du changement, de la qualité d’information. Leur réclamer de faire ce pour quoi ils existent : la liberté d’expression.
Une fonction essentielle des médias est de promouvoir la diversité. La diversité dans la culture, mais aussi dans le genre et ses représentations
Fragil : Est-ce que les médias influencent l’inégalité hommes-femmes ?
Alton Grizzle : Les médias ont des effets sur comment les gens se voient eux-mêmes et le monde autour d’eux. Ils influencent les gens dans leur manière de penser le genre, les interactions entre les filles et garçons, entre les hommes et les femmes. Les médias influencent comment on pense le rôle de chacun : il y a beaucoup de stéréotypes véhiculés par les médias qui renforcent l’inégalité entre les sexes. Ceci à besoin de changer, l’UNESCO travaille beaucoup dans ce sens. Nous voulons respecter la liberté d’expression des médias et nous ne pensons pas que l’on doive être en instance de les réguler. Mais nous voulons qu’ils prennent conscience qu’ils doivent changer avec la collectivité. Ils le doivent, car 50 % de l’audience sont des femmes. Ils ne rendent pas service à 50 % des personnes qui achètent leur journal, regardent leurs infos ou leur publicité.
Fragil : Comment l’éducation aux médias peut changer cette inégalité ?
Alton Grizzle : Par exemple, l’éducation aux médias peut demander à un citoyen : « est-ce qu’il y a une instance de régulation des médias dans votre pays ? Un organisme où vous pouvez aller dire votre mécontentement ? ». Les jeunes ont besoin de compétences et de savoir-faire pour prendre conscience qu’ils ont le pouvoir. L’éducation aux médias doit permettre cela. Les médias les écouteront, car ce sont eux les consommateurs. S’ils consomment des contenus qui concernent seulement les hommes, contiennent des stéréotypes ou des visions masculinistes, ils continueront à les produire. Dites : « Nous les rejetons ». Peut-être qu’à ce moment-là les médias changeront, car c’est l’essentiel pour eux : la consommation, l’audience et les téléspectateurs. Ceux-ci ont besoin de prendre conscience qu’ils ne peuvent pas s’attendre à du changement au sein des médias si eux ne changent pas non plus. Il faut les toucher pour qu’ils deviennent plus sensibles aux questions de genre. Avec plus de femmes journalistes. Et pas juste dans les rubriques de maquillage. Elles travaillent aussi sur le sport, la violence, les conflits dans le monde. « Nous avons envie d’en entendre davantage parler ! » L’éducation aux médias doit permettre l’empowerement.
Les jeunes ont besoin de compétences et de savoir-faire pour prendre conscience qu'ils ont le pouvoir. L'éducation aux médias doit permettre cela
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Patrick Verniers, expert en éducation aux médias, genre, diversité et non-discrimination à la Commission Européenne et au Conseil de l’Europe. Aussi président du Conseil Supérieur d’Education aux Médias de Belgique.
Fragil : Quel peut être le lien entre les questions de genre et l’éducation aux médias ?
Patrick Verniers : Elles sont liées à la déconstruction des stéréotypes, la manière dont les médias les traitent, le lien est là. La question de genre, comme celle de la diversité et de la non-discrimination, a une place naturelle dans le projet d’éducation aux médias qui est - là je m’appuie sur Jaques Gonnet - avant tout un projet politique centré sur la citoyenneté et le développement démocratique. Donc forcément les questions de genre nous intéressent. Les médias, peu importe lesquels, sont intéressants à analyser sous cet angle pour voir la manière dont les gens sont représentés.
Fragil : Quels en sont les indicateurs ?
Patrick Verniers : En Belgique, il y a des études internationales comme le GMMP (Global Monitoring Media Project) qui ont produit à plusieurs années d’intervalles, des observations des genres dans les médias. C’est une comparaison longitudinale qui a commencé dans les années 2000. Il y a des outils comme cela qui sont passionnants quand on les présente à des journalistes. Car ceux-ci ont souvent des postures idéologiques percevant les gens qui parlent du genre comme des féministes, des militants engagés et que cela les concerne finalement très peu. Cela objective le sujet par des méthodes quantitatives. On analyse non seulement le niveau zéro - combien d’hommes ou de femmes apparaissent dans les médias - mais aussi la proportionnalité dans les rédactions ou le temps de management. Là, on y voit le plafond de verre : le niveau des fonctions dirigeantes à un déficit certain. Il y a aussi les indicateurs comme les stéréotypes féminins, combien de fois une femme apparaît dans un reportage, mais aussi dans quelle posture... l’indicateur sur le statut d’expert montre que les médias font singulièrement appel à plus d’hommes. Quand on le présente aux journalistes il y a la première phase : « Oui bon ça va c’est fini tout ça... ». Puis, malgré tout, il y a quelque chose qui les interroge dans leurs pratiques de professionnels de l’information mais aussi dans les structures des médias.
Fragil : Quelles actions en éducation aux médias menez-vous ?
Patrick Verniers : Dans un programme du Conseil de l’Europe, « Médiane », on développe des échanges et des dispositifs de formation. On travaille sur comment utiliser des outils d’éducation aux médias sur les questions de genre et de diversité dans la formation initiale des journalistes. Parce que l’éducation aux médias est une formidable méthode pour prendre du recul par rapport aux pratiques médiatiques. On forme aussi des enseignants dans les instituts de formation. Ils s’engagent à intégrer dans leurs programmes l’étude de ces questions.
Interviews réalisées par Geneviève Brillet
Illustration : Georgina Belin
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