PORTRAIT DANS LES COULISSES DU FESTIVAL MIGRANT’SCENE (3/3)
Dans l’étrange miroir de Marie et Raphaë l
Regards croisés sur les migrations
Marie et Raphaë l nous invitent dans leur maison au bord de l’eau, où ils vivent depuis six mois au rythme de la Tunisie, sur les traces d’Hichem, candidat à l’immigration après la révolution arabe. Après l’étrange taxiphone (écoutes en cabines téléphoniques), voila qu’avec leur association Étrange miroir, ils nous présentent un film animé, Mother border joué en live avec des musiciens et une lectrice, croisant documentaire et poésie, intime et politique. Étrange ? Le temps d’une pause café, au coin du feu, ils nous racontent.
La préparation du ciné-concert vous a demandé combien de temps ?
Raphaël : On y est depuis le mois d’avril, à écrire le projet, essayer de créer des liens, rencontrer des jeunes tunisiens. On a été en Tunisie au mois de juillet, dans la famille d’Hichem, car ce n’est pas un souci pour nous d’immigrer ! (rires)
L’image est celle du rêve entretenu par les gens qui reviennent
Pourquoi avoir choisi ce nom : Mother border ?
Raphaël : A cause de la renaissance par le voyage. Ce qu’ils font c’est tenter une nouvelle vie ; repartir de zéro. La traversée en mer est comme une nouvelle naissance et la mer serait leur seconde mère. Bon, en réalité, c’est plutôt parti de « Mother fucker » ou « Border fucker » et on a fait dans le soft avec « Mother border », donc mer comme frontière ! (rires)
Le rêve d’Hichem entre Tunisie, France et Italie
Que se passe-t-il une fois qu’ils sont arrivés en France ?
Marie : Il ne se passe rien, ils sont dans un néant total. C’est la débrouille : du travail au noir, dans le bâtiment, dans tous les marchés parallèles. Ils peuvent tomber peu à peu dans la délinquance. Dans ce système il n’y a rien de bon, on marche complètement sur la tête. Ces gens sont maltraités dans nos sociétés. Il y a donc le risque, en revenant dans leur pays, d’être dans une dynamique anti-occident et d’alimenter les arguments contre. En Tunisie, tomber dans les groupes contre-révolutionnaires, par exemple.
Parfois certains s’en sortent quand même ?
Marie : Oui, en trouvant une femme (rire) !
Raphaël : Après il y a quand même de l’enthousiasme dans le voyage, c’est une jeunesse. Ils retrouvent des gens qu’ils connaissent, de leur région, ils sympathisent. Il y a aussi une émancipation. Et puis, ce sont des jeunes qui comme nous, aiment bien sortir. Et ils sont quand même - d’une manière un peu roots, certes - dans un voyage de jeunesse, où ils découvrent une autre société. Chez eux, ils étouffaient à cause de la pression familiale et d’une certaine lourdeur sociale.
Vous voulez dire qu’il n’y a pas qu’un exil économique ?
Marie : Oui, ils sont contents de bouger, comme n’importe quel européen, content d’aller faire une année d’études à l’étranger, voir un peu ailleurs comment on vit.
Avez-vous remarqué qu’il y avait un fossé entre leurs espoirs et ce qu’ils trouvaient réellement en arrivant en France ?
Marie : Sous Ben Ali, il y avait de la censure, la situation des migrants en France n’était pas du tout claire là-bas. Finalement, ils n’avaient que les retours des gens qui reviennent l’été, qui ont des sous, avec quelque chose d’un peu clinquant : les grosses voitures…
Raphaël : L’image est celle du rêve entretenu par les gens qui reviennent.
Marie : Il y a aussi l’image rapportée par les journalistes, mais maintenant, il y a peut-être plus de liberté.
Si c’était à refaire, le Tunisien que vous avez suivi, le referait-il ?
Marie : Non !
Il n’est pas resté en France ?
Marie : Il s’est fait expulser en Italie. Raphaël : Dès son arrivée, il s’est fait interpeller et renvoyer en Italie. Comme beaucoup en fait. Marie : C’est parce que la France a signé un accord de ré-admission en 1998. Et lui avait des papiers italiens. Raphaël : Il est revenu en France ensuite et s’est fait à nouveau expulser en Italie.
Quel était son statut juridique ?
M : Il a eu un titre de séjour à titre humanitaire valable trois mois et renouvelable trois mois. L’Italie a mis ça en place quand ils sont arrivés, car ils savaient très bien qu’ils voulaient tous aller en France. C’est pour se débarrasser d’eux finalement. Lui comme il était en France, il n’a pas pu aller en Italie pour renouveler son titre de séjour.
Un bric a brac visuel, musical, sonore plein de tact
Pensez-vous, par cette création, pouvoir amener à une prise de conscience ?
Marie : On n’est pas dans une démarche de culpabilisation. Plutôt effectivement, de faire prendre conscience, même si je n’aime pas trop le terme, d’une réalité dont on n’a pas trop parlé. Et surtout de traiter le sujet en tant que jeune, citoyen européen. Avant tout, c’est quand même du gâchis humain. Il est tout à fait possible en tant que citoyen européen de dire non, de s’exprimer. C’est plutôt ça qu’on a envie d’impulser.
Raphaël : On ne pense pas qu’on va changer radicalement la manière de penser des gens mais, c’est un truc parmi tant d’autres. Et puis on présente ça d’une manière assez sensible. On ne se positionne pas en tant que donneurs de leçons. On n’a pas non plus les solutions et nous ne sommes pas experts en la matière mais, c’est le sujet dont on a envie de parler.
Cela permet peut-être aussi, de voir ce sujet lourd sous un angle plus sensible, plus humain ?
Raphaël : Oui car les images des ces gens la, quand c’était médiatisé, n’ont été que celles des bateaux, à Lampedusa.
Comment sont ils présentés dans votre création audiovisuelle ?
Marie : C’est plus intime et nous ne sommes pas documentaristes donc il n’y a pas d’images de bateaux.
Raphaël : Nous n’affichons pas « voila, c’est eux », on ne les voit pas beaucoup. Par exemple, quand les gens parlent, on ne les voit jamais, c’est illustré.
Marie : Il y a aussi l’expression d’une richesse via la rencontre. Il y a du rythme, ce n’est pas plombant. Et c’est accessible, il y a un côté pédagogique.
Quelles sont les influences musicales ?
Raphaël : C’est assez large, du post-rock aux musiques populaires. Là, au départ on s’est inspiré de Godspeed you black emperor. C’est quelque chose d’un peu planant : des morceaux avec de grandes montées, avec guitare, batterie, violon. Dans le film, par moments, on s’est rapproché du hip-hop. Il y a aussi une chanson d’un chanteur tunisien qu’on joue en instrumental. C’est très varié. Il y a ce que les jeunes tunisiens écoutent : rap et de la musique traditionnelle. Ça donne des choses un peu hybrides. Pour l’anecdote, ils nous ont invités chez eux, dans un squat à Nantes, à Bouffay, qui a fermé d’ailleurs cet été. Dans la soirée Hichem passait de la musique sur son portable donc on a repris une chanson qu’il écoutait sur son portable.
Le média artistique a un rôle à jouer ; décloisonnons
Pensez vous que l’on devrait ouvrir les frontières ?
Raphaël : Nous pensons qu’en ouvrant les frontières, tout le monde aurait à y gagner puisque ce ne sont pas des gens qui se destinent forcément à partir d’une manière irrémédiable, à vivre ici. Souvent c’est avant tout une expérience. C’est aussi gagner plus de sous. C’est l’espoir qu’il fasse vivre la famille.
Marie : On est pas « no-border » non plus. Mais parfois, les marchandises ont plus de libertés et sont presque mieux traitées que les hommes !
L’ouverture des frontières c’est aussi dans les têtes
Pour ouvrir les frontières dans les têtes, il faut que le message soit diffusé largement ?
Marie : C’est vrai que c’est assez cloisonné. Il y a peu, on présentait 15 minutes de notre travail et des gens nous disaient : « il faut présenter votre travail dans toutes les salles de spectacle ». Eh bien oui, on voudrait bien ! Traiter d’un sujet politique veut-il dire ne rester que dans des cercles militants ? Pour moi, c’est une évidence qu’il faut diffuser ce message plus largement.
Raphaël : Oui en effet, je crois que le média artistique a un rôle à jouer. Ça peut être proposé à tout public. Là, ce n’est pas trop pour les enfants, mais ça peut être vu par un public très large, ce n’est pas réservé aux salles de cinéma militantes. J’espère qu’on sera amené à jouer dans des salles de concerts ou des cinémas, n’importe où. On aimerait bien que ça joue dans plein de contextes.
Propos recueillis par Lucie Evain et Grégoire Aïssani
Croquis : Grégoire Aïssani
Photos : Joanna Pyk
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