PORTRAIT dans les coulisses du festival MIGRANT’SCENE (1/3)
Mathieu : l’identité en peinture
Regards croisés sur les migrations
C’est un après-midi pluvieux. Mathieu dit Bok’n, qui a l’air de ne jamais s’en faire, nous accueille au Centre Interculturel de Documentation. Il vient d’y installer son exposition de peinture 100 PAP’. Si vous l’avez loupée, pas de panique, vous avez encore jusqu’au 17 décembre 2012. Et de passage sous le pont de L’Usine à biscuits, il se pourrait que votre regard se perde sur une fresque graffiti de notre ami !
Entre peinture et CESEDA il y a des gens
Peux-tu nous parler de ton expo ?
C’est une œuvre composée de 100 toiles qui, comparées les unes aux autres, donnent cette sensation de foule et de multitude de situations. L’idée de départ vient de Charlotte Michalack, une photographe. Pour une journée de soutien aux sans papiers, elle voulait photographier 100 personnes dans la rue au hasard et marquer leur origine parents, grands-parents. Le but était de montrer qu’on était tous issus de l’immigration un jour dans notre histoire de vie. En discutant, on s’est dit que ce serait bien de mettre ça en lien avec le CESEDA, c’est-à-dire le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile, qui contient les textes de loi relatifs aux droits des étrangers. Ça évoque le rapport de l’être humain à la migration et au référençage. On s’est d’ailleurs aperçus que ces personnes ne mettaient pas leurs origines en avant de la même façon. Certains disaient « Ah non, moi, je suis Français ! » sur un ton revendicatif, ou « Moi, je suis issu de migrations dans mon passé, mais je suis un vrai français ! » et d’autres n’évoquaient pas un pays mais une région « Eh bien moi, je suis de telle région ».
Comment as-tu procédé pour la réalisation des toiles ?
Il y a eu un mois et demi entre la prise de ces photos et la réalisation finale. Et à 48 heures de la journée de soutien, je venais de tendre les toiles, je n’avais pas commencé à peindre. La peinture s’est faite en trois sessions, c’était à la chaine, je dormais dans l’atelier. Ça a été fait à Poitiers dans le Collectif 23, une ancienne usine désaffectée.
En faisant ces toiles, je me sens aussi utile qu’une personne qui fait une banderole pour des manifs
Pourquoi y a-t-il des chiffres et pourquoi le choix du noir et blanc ?
Ces deux couleurs et l’utilisation de coulures et de coups de rouleau donne une sensation de dureté. Et ce référencement aléatoire, évoquant des codes-barres, est déshumanisant.
Est-ce que ces personnes prises en photo ont pu se sentir menacées par cette question de leur origine ?
C’est Charlotte qui a pris les photos mais globalement les gens ont l’air souriant, plutôt amusés par la situation. Je pense qu’elle a amené la chose d’une manière qui fait qu’ils ne se sentaient pas gênés, ou au contraire, presque fiers parfois. Certains ont l’air plus fermés, d’autres plus ouverts, il y a un peu de tout. Les photos ont été prises à Poitiers et parfois je les recroisais dans la rue. J’ai d’ailleurs pas mal d’anecdotes sur les gens qui sont sur les toiles.
Passion polaire et hasards de la vie
Pourquoi es-tu sensible à ce sujet ?
J’avais des copains à la fac qui avaient disparu du jour au lendemain. Je trouvais ça bizarre parce qu’ils étaient motivés, suivaient tous les cours. Et puis, une journée de soutien aux sans papiers a été organisée par une de mes colocataires, j’ai donc compris qu’il y avait un lien avec cette histoire-là…
Et toi as-tu des origines autres que françaises ?
Non je ne crois pas, enfin si, belges ! Pour la blague je dis souvent qu’Eddy Merckx est un de mes ancêtres. Mais finalement, nous avons tous des origines lointaines hors de France.
Donc ce n’est pas ton histoire familiale qui a été à la source de ce travail ?
Non, mais pour l’anecdote, sur un festival, de superbes photos sur les migrants ont attiré mon attention et il s’avère que l’auteur était un de mes cousins, dans un stand de la Cimade (assciation organisant le festival Migrant’scène) ! On peut donc se demander s’il n’y aurait pas quelque chose dans l’histoire ou l’inconscient familial.
Est-ce que le thème de la mer, qui est celui du festival cette année, te parle ?
Complètement car il y a quelques années, j’ai embarqué sur un bateau pour une expédition polaire ! Je fais des études de biologie et des photos. Je suis passionné par les milieux polaires, je pourrais en parler pendant des heures ! Et justement, lors de cette expédition, la question de la sécurité en mer s’est posée, nous avons traversé des zones de piraterie… Et il y avait parfois des clandestins à bord dans des endroits improbables. Donc oui, cette question des migrants qui prennent la mer, dans de telles conditions, me parle.
Scande ton graff
Pourquoi avoir choisi le support fresque-graffiti sous le pont du Lieu Unique ?
A l’origine, j’ai une approche graffiti. Ce que j’aime dans ce support là, c’est que c’est insondable, populaire et spontané. C’est plus accessible, en général ça saute aux yeux. Et comme c’est spontané, chacun peut le faire. Ce que j’aime en particulier dans le graff - et dans l’art en général - c’est d’être avec les autres ; le graff c’est dans la ville, avec les gens. C’est quelque chose qui peut partir dans tous les sens. Le graffiti est une discipline qui va marquer l’histoire de l’art dans les siècles prochains, c’est sur !
Le graffiti est une discipline qui va marquer l’histoire de l’art dans les siècles prochains
La fresque, je l’ai fait au départ pour proposer cet espace-là pour que les gens s’expriment. J’ai envie d’inciter les gens à l’expression, ça permet de faire circuler l’énergie en soi et ça détend ; ça détend tout le monde. Tu ne peux pas être James Brown la première fois que tu prends une trompette, il faut essayer, il faut y aller. En plus c’est une incitation à la culture car souvent, quand tu te mets dans l’engrenage après tu avances.
Penses-tu qu’on peut s’enfermer dans une identité nationale ou la peur de l’étranger ?
Pour illustrer, dans le petit village d’où je viens, les habitants considèrent toujours les villageois de l’autre versant de la montagne comme des étrangers. Pourtant ils se voient depuis 30 ans !
Si tu avais une banderole, que serait-il écrit dessus ?
En faisant ces toiles je me sens aussi utile qu’une personne qui fait une banderole pour des manifs. Faire quelque chose de trop politique, ça peut faire peur. Si on touche à l’aspect humain, les émotions, les histoires d’amour par exemple, ça marche, ça touche les gens parce que c’est sensoriel. Il faut qu’il y ait une prise de conscience interne, individuelle : si tu te poses une question, déjà ce n’est pas perdu !
Lucie Evain
Crédits photos :
Bannière : Joanna Pyk
Colonne : Œuvres extraites de l’exposition 100 PAP’ de Mathieu Gesta
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