
Jean Louis : les clés du super pouvoir
Un tumultueux power trio a prit d’assaut la tranquille Barakason. Fragil allait découvrir, innocemment, ce mercredi 24 septembre dernier, un groupe au nom singulier : Jean Louis. Mais pourquoi power ? Fragil a enquêté.
A l’heure dite, les musiciens apparaissent, concentrés, rigoureux, déjà. Sans salamalec, Aymeric Avice, le trompettiste, attaque le set, deux instruments en bouche, pédale de distorsion au pied ! Louis Sclavis avait fait de même, avec deux clarinettes, quelques années auparavant. Ok ; on ne sera pas dans le registre du Be-Bop à papa, certes le fly annonçait du Free Jazz...on ira dans le bizarre, celui que Francis Blanche propose aux Tontons Flingueurs dans la cuisine, quand le tout-venant est épuisé et la soif, pas encore étanchée.
Rapidement les deux acolytes répondent à l’appel. Joachim Florent, contrebassiste à l’attitude académique révélant une solide formation classique, s’engouffre. Il se montre vite un redoutable et surprenant compositeur de sons qu’il électrise à souhait, définissant des lignes mélodiques hypnotiques et enlevées. Il est rattrapé par Francesco Pastacaldi à la batterie qui, rappelant Christian Vander, vient nourrir de sa furieuse dextérité, la rythmique galopante sans concession de Jean Louis. Les morceaux s’enchaînent, tonitruants, haletants avec quelques moments de répit ou l’auditeur hébété, prend conscience de l’ampleur du chantier en cours. Il s’agit bien d’un jazz musclé justifiant l’appellation de power trio.
Jean Louis distille un jazz de guerrier
De jazz il semble bien être question puisque d’improvisation dans un cadre prédéfinit il s’agit là. Mais Jean Louis décadre, écartèle, rabote, il déconstruit, explore l’ailleurs, l’higher. Ce groupe ne fait pas de jazz, ni de rock, ni de classique, mais toutes ces musiques font cette formation éclectique, dont l’aventure a commencé voici sept ans. Free Jazz Hard, Core, Electro, Punk, qu’importe. Ce trio au nom improbable, aussi inclassable que leur musique, se joue des codes. Affranchi, il jouit de cette liberté qui empêche de le classer. Ainsi peut-on le retrouver dans un festival électro, ou hard-rock ou encore quelque conservatoire ou cité de la musique à dimension européenne tous heureux de compter ces trublions dans leur rang.
Jean Louis est indomptable
Ces musiciens sont des chercheurs habités, généreux et créatifs, libérés des codes et des bonnes manières du jazz, qui n’ont été inventés que dans des salons de thé cossus loin des tripots enfumés et bruyants originels, berceaux de cette musique contestataire par essence et en évolution permanente. Une rencontre avec ces trois enfants terribles après l’exutoire de leur prestation nous les montrera aussi doux et bienveillants que leur musique fut forte et sans complaisance.
Jean Louis est nourri d’influences telles que Magma (avec lequel Aymeric Avice a joué d’ailleurs). Nous pouvions reconnaître des accents de l’album Mekanik Destructiw Kommandoh dés le début du concert. Et bien sûr Miles Davis, qui prend une place importante dans leur culture musicale. L’album bitches brew, par exemple, ode rock hallucinée des 70’s à l’improvisation décomplexée, loin des contraintes du thème, se nourrissait de tout ce que l’électronique apportait déjà à l’expression des musiciens.
Prochainement Jean Louis travaillera avec le saxophoniste hongrois Akosh Szelevenyi, génial avant-gardiste à la créativité insolente, avec lequel ils se sont trouvé des connivences artistiques. L’écoute de leurs musiques respectives permet aisément d’en comprendre la raison. Cette collaboration pourrait bien être détonante.
On ne peut rester indifférent à ces musiques : on aime...ou pas ! Pas de demi-mesure. Pour certains, le traumatisme auditif, le séisme des codes éclatés et des règles disloquées peut être intolérable.
Jean Louis décadre, écartèle, rabote, il déconstruit, explore l’ailleurs, l’higher
Jean Louis n’est pas démagogue
Il nous met en contact avec une énergie primale en nous, quasi animale, instinctive, ou le mental n’est pas roi. Le trio tête, cœur et tripes se cherche, se heurte et s’accorde dans un ballet apparemment chaotique, dont Jean Louis a les clés pour nous en révéler l’harmonie. Leur quatrième album s’appelle Morse Comme le code du même nom, il peut paraître complexe ; mais il n’en est rien. Qui choisit d’utiliser les bons outils pour partager cette communication dynamique, trouvera une littérature musicale généreuse. L’album commence dans une ambiance de grand prix de Formule 1 ; ça va vite et fort ! Casque obligatoire, comme le porte le personnage sur la pochette. Dès le second morceau, l’auditeur retrouve un phrasé musical plus connu de l’oreille, un chemin plus rassurant duquel Jean Louis s’éloigne rapidement pour emprunter quelques voies non défrichées plus à son goût. Il y a du Zappa dans certaines harmonies cabossées, travaillées et sublimées par les trois compères.
Jean Louis n’aime pas les routes tracées
L’énergie instinctive, souvent rock, emmène le passager dans des sphères d’introspection quasi mystique où la censure mentale n’a plus prise sur une animalité originelle demandant aussi à s’exprimer.
Un groupe rare et donc précieux, à suivre, avant la sortie de leur cinquième opus prévu pour la fin de l’année.
Texte et illustration : Grégoire Aïssani
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