FOCUS
Absurde festival 2012 : overdose extatique
Rencontre avec Mr Cannibal Holocaust
En ce premier week-end d’octobre, un événement digne de ce nom retentissait dans les rues sombres de Nantes, « l’Absurde festival  ». S’est invitée, pour l’occasion, une pluie battante afin de parfaire l’ambiance de la soirée fantastique du samedi soir.
Par où commencer ? Alors oui le 4, 5 et 6 octobre, les amoureux du cinéma de genre se sont donnés rendez-vous en masse pour célébrer l’événement. Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore le concept de l’absurde séance, il consiste a projeter des films dérangeants, gores, horrifiques, profondément idiots, aussi motivé par l’envie de faire revenir d’outre tombe des projets qui nous ont toujours fait trembler de peur.
Pour cette édition 2012, le Katorza a reçu 2500 spectateurs en seulement 3 jours et sur 12 films, le programme était à la hauteur de la fréquentation. Des avant-premières comme le remake de Maniac sortie prévue le 26 décembre et de nombreuses premières en France. Cette édition est marquée par la présence exceptionnelle du maestro Ruggero Deodato, réalisateur culte de Cannibal Holocaust. Nous avons eu pour l’occasion la chance de rencontrer ce maître de l’horreur à l’hôtel de France pour un entretien un peu particulier.
Rencontre avec monsieur Cannibal
Cannibal Holocaust n'est pas un film d'horreur
J’avais déjà lu qu’il n’était pas chose facile d’avoir la réponse à sa question face à R.Deodato et l’exercice l’a largement prouvé, malgré toute la générosité du réalisateur et son envie de partager sur son travail.
Fragil : Quel est le point de départ de Cannibal Holocaust ?
R.Deodato : A l’époque, la censure était un rempart énorme pour les artistes et l’idée de génie du film bousculait de plein fouet ce problème avec les conséquences qui ont suivi.
Justement pouvez-vous nous parler de la réaction du public et de la censure à la sortie du film ?
R.Deodato : Aux États-Unis, des menaces de mort, en Italie, film interdit et trois mois de sursis avec l’obligation de brûler les bandes, ce que nous n’avons pas fait évidemment. En Colombie, il a fallu m’évacuer car après la projection du film quand on m’a présenté, les gens se sont mis à m’insulter et me menacer. De ce fait, je suis rentré précipitamment à mon hôtel et en allumant la télévision, à ma grande surprise, le présentateur relayait ces menaces sur mon compte, ils voulaient tous ma peau. J’ai dû évacuer d’urgence avec un garde du corps dans un fourgon. Après tout ça, pendant trois ans je ne voulais plus faire de film sur les cannibales (sourires).
Comment s’est construit Cannibal Holocaust, quelle est votre technique de travail ?
R.Deodato : Ce film s’est en partie construit malgré moi. J’étais en période de divorce, alors il y a des jours où cela allait et d’autres pas. Ce qui a été curieux c’est que, pendant la réalisation, j’envoyais fréquemment des images à la production en Italie et les distributeurs se sont arrachés très vite les droits du film. Alors la production m’appelait et me disait « vas-y à fond Ruggero », ils adorent ça. Comme pour les animaux, on m’a dit « il faut des animaux » alors on a mis en scène leur mort. Le film s’est construit en fonction de mon humeur.
Et pour les effets spéciaux ?
R.Deodato : C’était comme pour réaliser le film, très simple, enfin pour moi très facile à tourner. Je me souviens que j’avais tendance à décider la veille pour le lendemain des scènes que nous devions tourner. Le jour où j’ai demandé à mon assistant qui avait travaillé avec Fellini, de réaliser la scène de la femme empalée pour le lendemain matin 6h00, il m’a regardé en pleurant « mais comment veux tu que je réalise ce trucage Ruggero », je lui répondais « débrouille toi c’est ton problème », et le lendemain matin, il frappait à ma porte à 6h00 avec un pieux, une selle de vélo au bout, et une tige permettant de maintenir le dos. En y ajoutant une imitation de bout de bois pour la bouche et le tour était joué.
Le film est marqué par des scènes terrifiantes sur les animaux, pouvez-vous nous en parler ?
R.Deodato : Ah les animaux, alors oui dans certains pays on me pose cette question. J’ai toujours vu et connu depuis ma plus tendre enfance le fait de devoir tuer des animaux pour les manger. Le cochon que l’on pendait et que l’on saignait en famille (les mains dans le sang), les pigeons que l’on noyait avant de les cuisiner, les poulets... bref. Et oui dans le film, il fallait des animaux alors la guide me faisait part que pour la fête du village, à côté du plateau de tournage, il devait faire en repas une tortue, alors on a mis en scène la préparation. Pour le rat comme pour le porc, c’était avant tout alimentaire, nous étions au même régime que les tribus. En ce qui concerne les singes, la tribu filmée avait coutume de consommer leurs cerveaux après décapitation. Je ne suis pas le seul, et loin de là, à avoir mis en scène des exécutions d’animaux.
Peut-on espérer un nouveau Cannibal Holocaust ?
R.Deodato : Un script est en cours mais pas plus d’information pour le moment, c’est l’idée de l’inconnu qui doit être le moteur du film, être dans le réel c’est ce qui m’attire car il est très facile d’y installer un climat de terreur.
Quel regard avez-vous sur les films Found Footage comme le Projet Blair Witch ou Cloverfield ?
R.Deodato : Lors d’un festival où j’étais avec Stuart Gordon, il projetait Cannibal Holocaust, REC, Cloverfield, et le film de Romero Diary of the Dead et Stuart m’a dit que c’était mon festival car j’étais le premier du genre. Moi je n’aime pas les films found footage avec les monstres et les zombies, j’aime le rapport à la réalité. La sortie du Projet Blair Witch en l’Espagne à contribué à relancer le succès du film, les japonais me harcelaient pour faire un nouveau Cannibal, mais je leur ai donné un tout autre film, qui a d’ailleurs bien marché.
Pour terminer, quel est le film d’horreur qui vous a terrifié ?
R.Deodato : Un film français de Pascal Laugier Martyrs, c’est horrible du début à la fin, je n’aime pas les films d’horreur. Pour moi Cannibal Holocaust n’est pas un film d’horreur.
Ruggero s’est généreusement prêté à l’exercice de la présentation de son film (on imagine facilement le nombre incalculable de fois où il a été confronté à cette situation en 30 ans), en présence tout de même de Didier Poireau (Atomik circus), Marc Caro (Delicatessen), Gilles Esposito (Mad-movies), Olivier Bach(Bach films) et le maître de cérémonie Jean-Maurice Bigeart. A la fin de la projection, il a passé presque une heure à répondre aux questions du public, nous faisant part des nombreuses anecdotes autour de Cannibal Holocaust qui trente ans après n’en finit toujours pas de susciter autant d’intérêt. Rentrant dans le panthéon des œuvres incontournables dans l’histoire du cinéma d’horreur. Un rite indispensable dans l’apprentissage de cette culture.
Hémoglobine mon amour
Ce qui a pour effet d'allumer la mèche d'une bombe chargée par un public survolté
Le grand gourou (à ne pas confondre avec grand Garou) de ce rassemblement et de ces soirées n’est autre que Monsieur Jean-Maurice Bigeart, chef de meute du festival et de l’absurde séance. Il présente chacun des films avec talent, ce qui a pour effet d’allumer la mèche d’une bombe chargée par un public survolté. Un personnage qui brille par une connaissance pointue du cinéma de genre mais pas que, chaque échange ou discussion est toujours un moment de partage passionné.
Cette marée humaine, d’apparence « normale » selon Ruggero Deodato, s’est comme à son habitude distinguée en plusieurs catégories, pour l’occasion, il me semble en avoir compté quatre. Les reporters, dont ceux spécialisés en chronique cinématographique, marathoniens de l’impossible, capable de courir des kilomètres de bandes sans jamais donner signe de faiblesse. Il y a le passionné ou le fan, fin connaisseur du genre et membre permanent de l’absurde séance et ensuite le ou les copains des passionné(e)s, comportant parfois un public peu averti et pour finir les curieux en tous genres (signe de noblesse du public Nantais). Avec comme axe central une soirée septième art pas comme les autres ! C’est finalement comme une secte salvatrice au sens positif du terme, qui après la messe réussit à convertir tout un public immaculé d’humour noir. Pour exemple, samedi un niveau de délire complètement fou a été atteint, lors du bug de lecteur Blu Ray pour le passage de Red Tears, après quatre redémarrages, un public littéralement excité, une ambiance de folie difficile à retrouver en commandant un bon vieux UGC du Gaumont au Pathé d’Atlantis.
La fréquentation a eu raison du travail des organisateurs qui ont su conquérir un public avec une programmation efficace. A retenir le prix du public FATHER’S Day ex æquo avec God Bless America. L’un est une production sang pour sang Troma, un film brute, gore, sodomite et profondément idiot mais malgré tout brillant et délirant. Pour l’autre c’est l’histoire de Franck la cinquantaine et un cancer en phase terminale. Il décide alors de terminer sa vie en liquidant toutes personnes qui rendent sa vie insupportable. Un bon point concernant les excellents courts métrages du vendredi et samedi. Roid RAGE de Ryan Lightbourn, ou comment deux flics enquêtent sur l’histoire d’un tueur présumé ayant des hémorroïdes et possédé par une sorte d’alien tueur assoiffé de sang logé dans son anus. Le second Mon dernier rôle est comme son nom l’indique français, il nous plonge dans le moment le plus sombre de la vie de Patrick Chesnais, s’isolant dans une suite d’hôtel dans le but de mettre un terme à une fin de carrière sombre et difficile. Drôle et attachant, ce court a fait l’unanimité. Pour le reste de la programmation, le top des bouses revient à Subconscious Cruelty et Adam Chaplin même si on ne regrette absolument pas de les avoir vus, quoi que...
Enfin, dans les bonnes découvertes en tête de liste Maniac, remake du film de William Lustig réalisé en 1980, inspiré de véritables tueurs en série (dont Ed Gein). Le film est considéré comme une référence dans le cinéma d’horreur. Franck Khalfoun et Alexandre Aja nous offrent un remake tout à fait réussi, ou les effets de style dans le traitement de l’image comme du son, nous rappellent l’ambiance chère à Lustig. Un vrai coup de cœur, on adore ça.
Maniac, de Franck Khalfoun par Telerama_BA
Pour finir Grabbers encore un inédit en France, film irlandais de john Wright. Dans un petit coin reculé de l’Irlande, après la chute d’une météorite, une invasion d’un monstre tentaculaire assoiffé de sang et d’eau accompagné de son lot de créatures visqueuses. Les forces de police découvrent que l’alcool dans le sang provoque un rejet auprès des envahisseurs. Une seule solution : se payer la cuite du siècle afin de survivre à l’agression.
La loose, car on aurait bien aimé découvrir Touristes de Ben Wheatley, film anglais qui semble être une bonne cuvée et la Chasse de Thomas Vitenberg, ils semblaient être tous les deux très prometteurs.
Un bilan positif pour cette édition 2012, on ne peut que constater que le Katorza est le seul cinéma à offrir cette alternative artistique et on les félicite. Pour le reste, les séances reprennent leur rythme et nous suivrons de très près la zombie Walk du jeudi 18 octobre, suivie d’une projection de deux « zombie movie », Cockneys vs Zombies, petite comédie à base de maison de retraite et Zombie Ass ou Toilet of the Dead, on pense que le titre se suffit à lui même. En attendant, nous voilà maintenant membres permanents de l’absurde séance, avis aux amateurs.
N’oublions pas la petite page FaceBook le parfait guide de l’actu de leurs projections.
elEctrikmO©n
Photos : Misteur Mad
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses