PORTRAIT
Hommage à Jean Giraud alias Moebius (1938-2012)
Angel face
Ecrire sur Jean Giraud-Moebius, c’est rendre hommage à un artiste total, un maître du dessin et du graphisme dont le cinéma a bien entendu accaparer l’oeuvre, sans la dénaturer ? Ecrire sur Jean Giraud, c’est évidemment faire référence à ses nombreuses créations BD à partir des années 1960 que ce soit dans Spirou (personnage de Jerry Spring) et même Hara-Kiri où il rend des planches sous la signature de Moebius. C’est sa rencontre avec le scénariste Jigé en 1958 qui lui met le pied à l’étrier, mais c’est la revue Pilote qui voit la publication de sa principale création : le lieutenant Blueberry et Fort Navajo, publié en 1965 en collaboration avec Jean-Michel Charlier.
Ainsi, au départ, Jean Giraud est considéré comme un aimable faiseur, un simple dessinateur accolé à des scénaristes au classicisme revendiqué. C’est-à-dire : narration simple, héros positif, happy end. Jean Giraud va rapidement sortir de ce schéma basique de l’époque et diversifier ses activités, tout d’abord avec l’Incal ou Arzach et des dessins de science-fiction. Moebius participe au lancement de l’Echo des savanes et surtout de la revue Métal Hurlant en 1975 avec la fine équipe Druillet, Dionnet et Farkas.
Une oeuvre foisonnante
Au total, la série des Blueberry compte près de 28 albums avec en parallèle deux séries dérivées : Marshall Blueberry (Jean Giraud, William Vance et Michel Rouge) et la jeunesse de Blueberry. Comme souvent chez les créateurs, c’est d’abord un désaccord éditorial avec Pilote qui le pousse à fonder Métal Hurlant en 1975. Dans les années 1970, très influencé par son compère Jodorowsky et le psychédélisme revendiqué de cette époque, il crée et publie des BD de science-fiction dans le style underground comme Arzach ou le garage hermétique.
comme il le dit lui-même, ça fait toujours bien de dire que l’on a collaboré au premier Alien
Bien évidemment, le cinéma commence à s’intéresser au personnage et à son univers. Il participe ainsi à l’élaboration du Dune de Jodorowsky et Dan O’Bannon. Projet qui capotera rapidement du fait, disons, de divergences artistiques complètes entre les créateurs et les producteurs du film. Mais c’est d’abord Alien (1979) de Ridley Scott où apparaît véritablement le nom complet de Giraud en tant que concepteur graphique ; en fait, sa contribution artistique reste très modeste, il n’aurait dessiner que quelques planches d’illustration et des costumes mais bon, comme il le dit lui-même, ça fait toujours bien de dire que l’on a collaboré au premier Alien. Il participe aussi à l’aventure des Maîtres du temps(1982) de René Laloux. Sa renommée et son univers commencent à dépasser les frontières, et notamment les USA où il dessine pour les éditions Marvel Comics un mythique Surfeur d’argent, vous savez cet être mutant mélancolique à la recherche de monde à dévorer pour son maître Galactus.
Il participe aussi directement - contre son gré - à l’élaboration du Cinquième élément de Luc Besson en 1997 par des dessins reproduits. La maison d’édition porte plainte pour plagiat contre Europa Corp (le film aurait carrément copié des dessins entiers de l’Incal). Mais bon comme le déclarait Moebius : sur le fond, il a raison d’emprunter, les arts sont faits pour ça.
Des thématiques récurrentes
À la mort de Charlier en 1989, il reprend les aventures de Blueberry à son compte. Aventure du célèbre lieutenant mise en image par Jan Kounen en 2004 avec Blueberry, l’expérience secrète. Film qui est un mélange entre deux albums de Blueberry la mine de l’allemand perdu et le spectre aux balles d’or ; film voulu comme classique au départ mais dont Jan Kounen va transcender la narration en expériences ésotériques (drogues douces, herbes mexicaines, chamanisme avec rêveries psychédéliques et formes animales bizarres). Le résultat s’avérera mitigé tant sur le plan commercial que critique, les producteurs (dont Thomas Langmann) voulaient d’abord un western de facture classique. Jan Kounen a voulu rester fidèle aux images transcendantales de l’oeuvre de Giraud-Moebius, ce mélange de grands espaces, d’ésotérisme et de mysticisme, ce qui faisait de Jean Giraud un dessinateur au physique de vieux sage, une sorte de maître à penser qui aurait influencé bon nombre d’autres dessinateurs. Il n’est qu’à lire, à ce sujet, le numéro hors-série de Casemate d’avril 2012 consacré à Moebius (près de 89 artistes lui rendent ainsi hommage et parlent de son influence majeure pour la BD).
Une des composantes de l’œuvre foisonnante de Giraud-Moebius dans ces BD est d’opposer le matérialisme occidental des États-Unis au monde magique des chamans et sorciers amérindiens. En ce sens, le lieutenant Blueberry va passer peu à peu de militaire chevronné au statut de paria de l’armée américaine en tant que blanc intégré chez les tribus indiennes (le fameux Nez-Cassé et l’album du même nom).
Jean Giraud aura connu toutes les grandes mutations de la BD des années 1960 à nos jours, à savoir : l’âge d’or de la BD classique des années 1950-1960, puis la diversification des supports papier dans les années 1970 (avec la création de Métal Hurlant ou de l’écho des savanes) et l’explosion du neuvième art comme culture de masse et artistique ; la reconnaissance nationale, internationale par les biais du médium cinéma ou des dessins animés en tant que dessinateur BD mais aussi univers artistique comme bon nombre d’autres auteurs de renom comme Enki Bilal, Philippe Druillet, Hermann ou Art Spiegelman. Les récents hommages et sa présence dans bon nombre de festivals, dans les années 2000, ont permis cette vulgarisation et reconnaissance de son œuvre.
Dominique Vergnes
Crédits photos :
Bannière : tribute to Moebius en gif par Tonechootero sur Flickr. D’autres animations à découvrir absolument. CC.
Colonne : RIP Moebius par 260986 sur Flickr. CC.
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