Rencontre avec Didier Super
« On n’a pas tous les jours un métier facile !  »
L’art et la liberté de parole
Rencontre avec Didier SUPER au TNT, dans le cadre du festival ZYGOMATIQ. Fragil se devait de saluer le passage de ce maître de la provocation. Une rencontre qui a motivé le public nantais, car le spectacle affichait complet depuis 2 semaines. Une occasion de lui poser des questions sur son travail et l’évolution de la liberté d’expression chez les artistes ainsi que leurs difficultés à exercer ce métier de nos jours. Un talent sur mesure avec un humour électrochoc, c’est le personnage que nous avons rencontré pour vous Fragiliens en herbe. Farce et vérités.
« Attention ! » : ce réflexe de nos sociétés à vouloir sans cesse nous protéger et nous influencer sur nos opinions, nos choix, nos goûts, jusqu’au ridicule. Entre les polémiques autour de Dieudonné, le licenciement abusif de Stéphane Guillon et Didier Porte de France Inter, on constate que les médias et autres vecteurs artistiques sont de plus en plus frileux.
« Attention » Humour qui tâche
Ce qui ne motive pas les artistes à s’engager sur des sujets qui peuvent faire grincer les dents. Les seuls supports qui soutiennent ce genre de démarche restent très underground. Alors oui en France on nous sensibilise comme sur les paquets de cigarettes ou les films X, lorsqu’un artiste risque de heurter notre sensibilité. Interdiction, surveillance, protection, ignorance ; c’est une tendance qui pose des questions sur cette volonté de vouloir étouffer toute forme d’art déviante à la pensée commune de notre société de consommation, laissant penser que l’art dans sa diversité représente une menace pour certains d’entre nous. Les politiques, les médias comme les associations diverses de défense des communautés ont très certainement contribué à ce polissage culturel en général. Serions-nous contraints de plonger dans un conformisme bien pensant ? Consommant avec fierté TF1, en écoutant Yannick Noah faisant son hommage à Bob Marley ou bien regardant le dernier spectacle de Gad Elmaleh tout en savourant un maxi best of ! Dans tous les cas, le terrain penche fortement en cette faveur. Force est de constater ces changements, ouvrons grand nos yeux et nos oreilles car le TNT nous a offert la possibilité de découvrir le nouveau show de Didier Super intitulé Et si Didier Super était la réincarnation du Christ tout un programme. Ce punk de l’humour est connu et reconnu pour ses créations qui n’en finissent pas de faire réagir de façon radicale son public, en bien comme en mal à en juger les croix dessinées sur la caisse de sa guitare, représentant le nombre de personnes qui s’est enfui de son spectacle. « Âme sensible s’abstenir », même si M. Super représente 300 000 spectateurs et plus de 700 représentations en sept ans, il nous renvoie à la base du métier de clown : faire réagir, rire, surprendre et faire réfléchir sur ce que nous sommes, en offrant une vision décalée (mais pas que) de notre société.
...comme il aime à le rappeler, le spectacle est autant sur scène que dans le public
Un spectacle dans le public comme sur la scène
La soirée débute par une première partie de Thomas Debure nous contant des histoires trasho-burlesques sous forme de chansonnettes. Après un départ un peu fébrile, Thomas a su conquérir le public, de même que Didier qui ne manqua pas de relever la qualité de sa performance. Passons à notre T-Rex de l’humour M. Didier Super. Un spectacle explosif, rien de surprenant pour le TNT me direz-vous. Une entrée fracassante, des intrusions dans le public complétement délirantes, une interactivité tranchante pour une ambiance garantie. Il pratique l’arme du cliché tel un ninja maître en arts martiaux, même si comme il aime à le rappeler, le spectacle est autant sur scène que dans le public.
Tel un magicien, il donne l’illusion d’être dans l’improvisation permanente et démontre une grande facilité d’adaptation à n’importe quel spectateur. Quand bien même, il faut avouer que le public était largement au parfum et en majeure partie dévoué à cet humour délicieusement décadent. Une soirée qui s’est terminée après un deuxième rappel dans la rue pour un nouveau quart d’heure de folie. On peut sans conteste applaudir le talent et le travail présenté par M. Super pour ce festival ZYGOMATIQ, tout en soulignant la qualité de l’accueil du TNT.
Entretien avec la face cachée de Didier Super
Fragil : Quelle est ta réaction quand Stéphane Guillon gagne son procès contre Radio France avec cette rumeur de liste noire venant de l’Élysée, qui est plus une victoire sur son directeur Philippe Val, premier dirigeant de l’audiovisuel public nommé par Sarkozy ?
Didier Super : Je ne savais pas qu’il y avait eu ce procès, mais maintenant c’est fini tout ça. Ce sont les gentils qui sont au pouvoir.
Pourquoi il y a si peu d’artistes engagés de nos jours ?
Donc tout le monde veut devenir une vedette avant même d'avoir quelque chose à dire
Didier Super : Et qu’est-ce que tu veux ! Les artistes, comme ceux qui programment les spectacles, tiennent plus à leur place qu’à l’engagement lié à leur métier. Chacun essaye de sauver sa peau afin de garder le plus longtemps possible son petit confort. Le problème c’est qu’il y a beaucoup de gens qui se mettent à faire ce métier parce que quand ça marche, entre guillemets, cela te fait une vie qui donne l’impression d’être très avantageuse. Donc tout le monde veut devenir une vedette avant même d’avoir quelque chose à dire. Ça tombe bien car pour les diffuseurs de spectacle, moins il y a de propos subversifs ou on appelle ça comme on veut, moins eux-mêmes se mettent en danger, donc l’offre et la demande se rencontrent bien. Mais le public s’emmerde, c’est un peu comme en prison ou à l’hôpital. Tu bouffes mal mais tu bouffes. Les vrais artistes engagés, on les voit moins mais ils existent, c’est juste plus confidentiel. Des emmerdeurs il y en a toujours eu et il y en aura toujours mais on ne les montre pas.
Quand on voit la première partie de ton spectacle Thomas Debure de ce soir, on a l’impression que tu as fait des petits ?
Didier Super : Oh non je trouve que ce mec ressemble à pas mal de gars que j’apprécie dans le théâtre de rue, c’est un bon.
Tu te sens plus libre depuis que tu as quitté ta maison de disque, moins de pression ?
Didier Super : Il n’y a jamais eu vraiment de pression de leur part, juste du coup de fil à l’occasion : « ce serait bien que tu nous refasses un truc ». Tu sais un peu comme un gosse qui dit « maman je voudrais un gâteau ». Mais pas plus ! Qu’est-ce que tu veux qu’ils te mettent comme pression ?
Je pensais à ta BD « La vraie vie de Didier Super » ou tu ironises pas mal sur ta maison de disque. Ton premier album où V2 Music t’a demandé de refaire ta maquette, alors qu’on a le sentiment que ça pouvait enlever une part du grain du projet. Tu les as vécus comment ces différents types de contraintes liées à ta maison de disque ?
Didier Super : Ouais, les séries de concerts un peu fatigantes et un petit peu tard... Pour la première maquette, elle venait d’une cassette numérisée. Le gars m’a dit que c’était bon mais quand même (rires). Par contre là où ils ont abusé, c’est quand ils ont essayé de couper en deux ce qui était dans le contrat. Ils ne voulaient plus payer mon ingé son, là c’était un peu plus chaud. Mais l’histoire de la maquette c’était intéressant même si au final on a fait exactement la même musique que sur la première maquette en un poil plus propre. Sur le coup, on s’est dit que l’on allait pouvoir faire des expériences, puis en fait on n’avait pas le temps ni l’envie de faire de la musique. Et puis les idées de départ étaient finalement plus efficaces.
As tu suivi l’équipe du film « Le grand soir » à Cannes et leur passage plutôt fracassant ?
Didier Super : Non, mais d’une certaine manière quand tu as le droit de tout faire, tu n’as plus envie de faire. Il m’arrive d’être invité dans des émissions de radio où l’on me dit « tu peux y aller, no limit, lâche-toi », et bah du coup ce n’est plus marrant. Alors que là tu dis « juif » et tout de suite c’est le bordel. À coté de ça, je trouve que l’époque est plutôt intéressante.
Question intimidation des fois ils n’y vont pas de main morte. A Orvault, la mairie à voulu interdire le passage de Dieudonné et encore une fois c’est l’artiste qui l’a emporté, alors cette idée d’avoir un arrêté qui t’interdit de jouer c’est fou non ?
Didier Super : C’est vrai mais c’est la classe pour lui, des arrêtés anti-Dieudo quand même. Quand tu es médiatique forcément ça coince toujours un peu plus. Tu es quand même moins exposé ces derniers temps avec les médias. Quand tu es dans une maison de disque et que tu as un album à vendre, forcément vu qu’ils sont de mèches avec les télés pour vendre ton disque, tu montres ta gueule c’est le principe.
Comment fonctionnes-tu question programmation et production, tu es totalement indépendant ?
Didier Super : Il n’y a jamais eu vraiment de structure, quand j’étais chez Universal après que V2 music a été rachetée. Je me suis dit « pourquoi pas refaire un disque » ? Alors j’ai compilé tout un tas de morceaux que je n’avais plus envie de jouer, parce qu’ils étaient vieux. J’ai dit à la maison disque « je peux vous faire le moins bon de Didier Super » et les mecs ont plutôt ri jaune... Ok mortel chanmé. L’idée du black sur la pochette a fait changer le titre de l’album pour s’appeler « Bah Quoi ». Puis après, qu’il y ait un disque ou pas ce n’est pas ça qui détermine mon envie de faire de la scène. C’est toujours plein donc on me programme, c’est presque dramatique car ce soir je suis programmé par quelqu’un qui a déjà vu mon spectacle. En fait, partout où je vais en France, et ce n’est pas les dates qui manquent, les programmateurs m’ont généralement jamais vu. Ils savent qui je suis grâce au net par exemple, ils vont remplir, donc ils programment. Ils ont besoin de faire une date qui remplit par mois, car ils doivent tenir comme tout le monde. Parfois à la fin du spectacle, ils viennent me voir et me disent : « Ah ouais ! Tu es un artiste, en fait tu travailles, tu as drôlement bossé ton truc. » Alors qu’ils pensaient recevoir un sous Michael Youn.
En fait, partout où je vais en France, et ce n'est pas les dates qui manquent, les programmateurs m'ont généralement jamais vu. Ils savent qui je suis grâce au net par exemple, ils vont remplir, donc ils programment
Pour revenir sur ton spectacle de ce soir, certaines personnes dans le public ne semblaient pas trop apprécier tes blagues et encore moins celles des Bamboulas !
Didier Super : « Stoïque » ! Peut être qu’elles ne comprennent pas le français hein !
C’est un peu comme ton passage chez les Calédoniens qui pose la question de savoir si c’était un défi pour toi de tester l’humour kanak ?
Didier Super : Non, car c’est un ami qui m’avait invité à Nouméa. Là-bas, ils ont vraiment un humour de merde, il y a moyen de déconner. J’ai préparé une petite pub rigolote sur le thème des bananes et des singes pour annoncer ma venue. Je la poste. Avec le décalage horaire, il était 6h00 du matin et à midi, le festival était annulé, je recevais des menaces de mort via différents forum. Donc, j’ai fait une autre vidéo pour expliquer que j’étais comédien. Bon si cela s’était passé en Alsace ça n’aurait pas été la même, mais là en tribu Kanak, ça devenait fou. Alors on a désamorcé la crise, afin de donner quelques clés, car oui on peut rire du racisme. Le problème là-bas, c’est que le racisme est bien présent, il est bilatéral, leur histoire repose sur des siècles de souffrance. Du coup, cela s’est super bien fini avec eux, on a même tourné des conneries ensemble.
Comment tu ressens l’après Sarkozy et l’UMP concernant la politique et les différentes déclarations sur l’immigration ?
Didier Super : On n’a plus honte de se lever tard, on n’a plus honte tout court. Son discours il le prend de son électorat. Comme on a un pays majoritairement de vieux, bah voilà ça ne va pas pisser plus loin. Lui-même, il n’a pas d’opinion, il le sait très bien que c’est complètement con. Si tu veux régler les problèmes d’immigration, tu vas en Afrique, tu fermes Total et tu construis des moteurs à eau de mer comme ça on enraye la montée des océans, malin ? Par contre je pense que la magazine Marianne va déposer le bilan, car il y avait leurs tronches sur chaque couverture.
J’entendais sur NOVA qu’un député PS s’était fait remarquer du fait qu’il utilisait ses notes de défraiement afin de se payer en plus de ces costumes, les vacances de sa famille.
Sans déconner tant que l'on ne vivra pas tous à poils, main dans la main dans l'herbe, on sera de droite
Didier Super : C’est vrai que l’on va réentendre un terme que l’on avait oublié « la gauche caviar ». Sans déconner tant que l’on ne vivra pas tous à poils, main dans la main dans l’herbe, on sera de droite. Après c’est facile. Tout le monde veut l’égalité des chances et tout ce qui va avec, c’est sans doute pour ça que l’on ne fait pas la révolution aujourd’hui car on ne sait pas où aller. On voit bien que le communisme a ses limites, on voit bien que le capitalisme c’est carrément la planète qui est en danger et on dit que les gens sont devenus mous, mais en fait on n’a pas d’idéal.
Mais il y a quand même une grosse montée de l’extrême droite en Europe.
Didier Super : Là, c’est la peur de perdre ce que l’on a et puis même la peur tout court, le manque d’éducation, bah oui cela fait monter les extrêmes. Que l’on ait finalement un gouvernement de gauche on s’en fout, l’important c’est que ce soit les Lagardere et les Bouygues et compagnie qui dirigent. Tant qu’il n’y aura pas quelque chose qui rendra la finance obsolète, il n’y aura pas de changement. Tu as un milliard d’euros, un milliard de quoi ? La plupart des gens ne cherchent pas le pouvoir, ils ne cherchent pas l’argent, ils sont en quelque sorte évolués, contrairement à ce que l’on aimerait nous faire croire. On ne cherche pas à diriger, on cherche juste à faire au mieux dans le quotidien. J’ai l’impression que la télé veut nous faire croire qu’il faut gagner au loto, comme ça tu n’as plus besoin de travailler de ta vie. Ce qui va assez bien avec le fait que les boulots sont tous en train de devenir merdiques. Dans le fond on veut juste que l’on nous foute la paix et bientôt on sera plus de 9 milliards à penser comme ça. La planète, elle a donné tout ce qu’elle avait à donner, elle ne peut plus... Sinon on sait bien ce qui nous attend. C’est un peu comme les artistes qui ouvrent leur gueule. Il y a des mecs qui ont de vraies solutions à proposer mais on fait tout pour ne pas les entendre.
Avec internet et le marché de la musique, on voit émerger des solutions plutôt intelligentes comme les forfaits te permettant d’accéder à une nouvelle forme de consommation musicale, en dématérialisant totalement le support. Tu es client de ce genre d’offre de forfait ?
Didier Super : La musique aujourd’hui devient complètement objective, ce n’est que des notes. Il n’y a plus du tout l’érotisation de l’artiste, tu vois cette idée que quoi qu’il fasse, ça va être génial. Du coup pour aimer un album aujourd’hui, il n’y a plus toute cette publicité autour de l’artiste et c’est plus juste comme ça. Du coup c’est plus la télé qui décide de savoir ce que tu va écouter. En contre partie, il y a beaucoup de tocards qui croient pouvoir devenir artiste parce qu’il y a internet et surtout Myspace. Moi pendant l’époque Myspace, tous les jours je recevais des messages de mecs qui m’écrivaient « tiens Didier on fait de la zic comme toi » avec Mes couilles dans ton slip ou bien J’ai enculé un cochon et oui, c’est quand même subversif. Le côté positif est que maintenant on écoute la musique pour la musique ; du coup les producteurs sont dépassés car ils sortent tous d’écoles de commerce. Concernant les forfaits c’est l’idéal. L’autre jour dans ma caisse je voulais écouter du Brel, et je me suis écouté un live. J’en avais jamais écouté auparavant et c’est l’avantage de ce genre d’offre. Il y a une chanson qui m’a scotché qui s’ appelle Les singes. Écoute ça, c’est monstrueusement bon.
Et nous avons terminé cet entretien en écoutant ce sublime morceau. On remercie Didier et le TNT de nous avoir permis de passer un moment comme on aimerait en passer plus souvent : perturber nos petites vies tranquilles pour notre plus grand bonheur.
Electrikm©On
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