REPORTAGE
L’art prend l’air : un "in" déroutant et un "off" surprenant
L’art prenait l’air à Nantes les 12 et 13 mai derniers. Le principe est désormais connu : des artistes ouvrent les portes de leurs ateliers et font pénétrer les visiteurs dans leurs univers, inventifs, créatifs et souvent décalés. Tour d’horizon de ce que l’on pouvait voir du côté du quartier des Olivettes et de l’île de Nantes.
On sort ses toiles sur le trottoir, on ouvre les portes de son atelier… Ce jour-là, tout le monde est un peu artiste. La manifestation "L’art prend l’air" serait-elle une sorte de vide-grenier artistique ? Parce que si c’est cela, je prends mes tableaux sous le bras (puisque oui moi aussi je suis peintre du dimanche à mes heures perdues. Comme tout le monde, non ?), je brandis mes pinceaux et je pars à l’attaque. C’est l’impression que cela donne parfois au regard de la qualité de certaines œuvres proposées… Pourtant "L’art prend l’air" n’est ouvert qu’aux artistes professionnels ou en voie de professionnalisation. Alors oui, tous les goûts artistiques sont dans la nature et la pluralité des expressions est évidemment une bonne chose. Et, surtout, ces deux journées sont l’occasion pour des artistes peu représentés d’exposer leur travail et d’avoir un contact avec le public. À l’instar de cet artiste qui nous ouvre les portes de sa chambrette/atelier, toiles en vrac sur le canapé-lit, pots de peinture jusque dans la baignoire, un peu intimidé mais surtout heureux de pouvoir échanger sur son travail. Des toiles qui montrent un travail acharné, parfois commencé dès 2004 et qu’il peaufine au fil des années. Les visiteurs passent, certains osent donner leur avis, d’autres repartent bien vite mais l’important, c’est de participer, comme dirait l’autre !
Mais quand, à quelques encablures de là, on se retrouve nez à nez avec les œuvres de cet autre artiste, à mi-chemin entre provocation gratuite et vulgarité, on se demande sur quoi on vient de tomber ! Et surtout si de telles démarches sont utiles et font avancer le questionnement artistique. Sous couvert que « c’est provoc’ ! », on considère donc cela comme de l’art ? C’est un peu l’impression que donnait ce week-end le très arty quartier des Olivettes. Pas mal de propositions artistiques mais dans lesquelles un bon tri semble de rigueur. De tout temps, la provocation a été un élément moteur à la création mais ce qui a "marché" et ce qui a marqué les esprits et fait bouger les mœurs dans les années 1970 (je pense notamment au Baiser de l’artiste d’ORLAN créé en 1977) n’a pas le même impact et surtout pas le même intérêt en 2012. Être alternatif et underground, oui, mais avec une démarche réfléchie et un questionnement pertinent, c’est encore mieux !
Le "off"
on passe la grille d'entrée et là, le décor rappelle un peu le quartier du Marais à Paris, entre cour privée et terrain de foot improvisé entre deux ateliers
Heureusement, « L’art prend l’air » c’est aussi une manifestation en off, pas vraiment une contre manif’, non plutôt une porte d’atelier ouverte entre artistes. Une sorte de "salon des refusés" version contemporaine. Ainsi à la maison de quartier Madeleine-Champs de Mars, les ateliers loués à l’année par les artistes et/ou étudiants nantais étaient ouverts. Direction donc rue Émile Péhant, on passe la grille d’entrée et là, le décor rappelle un peu le quartier du Marais à Paris, entre cour privée et terrain de foot improvisé entre deux ateliers. Premier atelier : celui de Makiko Furuichi, étudiante chinoise fraîchement débarquée aux Beaux-Arts de Nantes. Grand sourire, Makiko dévoile ses œuvres une à une et commente : « J’aimais bien la couleur dans cette première série. Maintenant, je suis plus sur le gris et le noir ». Visages en gros plan (« ça, c’est ma série des beaux gosses ! »), corps musclés… Les peintures de Makiko sont expressives et surtout d’une maîtrise technique impressionnante. La jeune artiste, qui finit sa dernière année en juin, a un bel avenir devant elle. Et pour nous, simples visiteurs, elle redonne espoir en la jeune création artistique nantaise. Makiko a assimilé l’histoire de l’art, elle a digéré le fauvisme, l’impressionnisme…. et elle propose une voie bien à elle, sans provoc’ ni sulfureux mais de l’élégance dans le geste et de la maîtrise dans la couleur.
Juste à côté, partageant l’atelier d’une « officielle », Émilie Barras propose ses œuvres textiles. Du tulle présenté comme un kakémono, accroché façon fil à linge et les oeuvres tout en fils d’Émilie se dévoilent. Personnages à la Egon Schiele, les silhouettes féminines de l’artiste semblent fragiles, livrées à tous les vents. Il fallait avoir l’idée et ces œuvres de fils sont surprenantes. Comme quoi, il reste encore des terrains artistiques à explorer. Avec un peu d’imagination et de créativité, on peut s’inspirer des œuvres passées sans pour autant les copier et en trouvant sa propre voie.
Du côté des ateliers de Bitche, qui ne sont pas sans rappeler les Frigos parisiens, la friche artistique aussi est de rigueur. On expérimente, on tâtonne, on vit, on mange, on dort art. Mais de ce côté-ci de Nantes, pas besoin des journées comme "L’art prend l’air" pour se faire connaître. Ce « lieu de création, d’intervention et d’expérimentation artistique » est un des lieux les plus arty de la ville. Il peut même parfois faire peur au visiteur lambda mais osez pousser la porte, vous y serez toujours très bien accueilli.
Le périple se termine à La Fabrique, le laboratoire artistique présentait une œuvre sonore et visuelle expérimentale. Qui dit expérimentale dit œuvre un peu absconse. Mais "L’art prend l’air" c’est aussi cela : se confronter à des propositions artistiques originales qui donnent un peu à penser. Penser tout autant que provoquer, voilà tout l’enjeu de l’art dans les années à venir. Rendez-vous est pris pour la prochaine édition.
Delphine Blanchard
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