Inclassables Mémoires d’éléphants à L’Atelier
À de nombreux points de vue, l’initiative de Jean-Paul Sidolle et de son association Mémoires d’éléphants est étonnante et se situe hors des limites habituelles de l’art contemporain. L’Atelier accueille une présentation du projet de l’association jusqu’au 8 avril.
Devant un large parterre d’objets-éléphants disposés en ovale à l’entrée du lieu, Jean-Paul Sidolle me met en garde : « Ce n’est pas une exposition. C’est une présentation de ce que sera l’exposition du projet, une fois celui-ci achevé » car les œuvres d’art qui sont présentées à l’Atelier ont été créées par des artistes liés, de près ou de loin, à la région des Pays de la Loire.
Protéger l’environnement, promouvoir l’art contemporain
Le projet de l’association est simple : sensibiliser les gens à la protection de l’environnement et promouvoir l’art contemporain sous toutes ses formes. Dans ce but, Jean-Paul demande à des artistes de dédier une œuvre à sa cause depuis la fin des années 80. L’œuvre est dédiée symboliquement à la cause mais n’est ni vendue, ni donnée, elle reste propriété de l’artiste. Ce qui explique que de nombreuses œuvres présentées à l’Atelier ont été prêtées par le FRAC des Pays de la Loire, par le Musée des Beaux-Arts de Nantes ou par des collectionneurs privés. D’autres œuvres de cette collection virtuelle sont présentes dans des musées européens car des artistes de 55 nationalités ont répondu à l’appel de Jean-Paul et de l’association. « La création c’est la vie, et ici la création artistique sert à protéger la vie et l’environnement ».
La création c'est la vie, et ici la création artistique sert à protéger la vie et l'environnement
Le projet et né de l’obsession de Jean-Paul pour les pachydermes. En 1979, un éléphant de la ménagerie du Cirque Barnum & Bailey est abattu suite à une échappée dans les rues de Tours. L’éléphant, un vieux spécimen nommé Fritz, est naturalisé à Nantes avant de rejoindre le hall du musée des Beaux-Arts de Tours. Cette vision éveille la conscience de Jean-Paul qui décide de passer à l’action. Depuis les années 70, il a collecté un nombre impressionnant d’objets représentant des éléphants : jouets, souvenirs, objets usuels. Pour chaque œuvre dédiée au projet Mémoires d’éléphants, un éléphant de la collection est numéroté, une manière de lier les œuvres d’art de la collection à l’animal qu’elles protègent symboliquement. Il y a 705 œuvres et donc 705 éléphants numérotés. La collection de Jean-Paul comporte 1025 éléphants-objets, il y aura donc 1025 œuvres dédiées à la collection Mémoire d’éléphants.
Fabrice Hyber en 1989, puis Philippe Cognée…
Dans la première salle de l’exposition, la première œuvre dédiée au projet, par l’artiste Fabrice Hyber en 1989 : le premier assureur présente un jeune séquoia sur lequel l’artiste a posé une planche de bois, évoquant entre autres le danger d’une contradiction entre un modèle de développement économique et la nature. Puis de nombreux créateurs ont suivi depuis 1989, et pas des moindres : Philippe Cognée, Claude Viallat, Roberto Matta, Ben, François Morellet, Claude Rutault… La liste est longue et elle couvre un large aperçu de la création artistique de la fin des années 80 à aujourd’hui.
Une œuvre simplement dédiée permet de sortir du carcan de la propriété et du milieu de l'argent dans lequel l'art contemporain se développe
Jean-Paul déstabilise certains repères de l’exposition et de la collection d’art contemporain. La création est envisagée pour la force qu’elle dégage, dans une démarche humaniste. Une œuvre simplement dédiée permet de sortir du carcan de la propriété et du milieu de l’argent dans lequel l’art contemporain se développe. L’accrochage, atypique, a redéfini l’espace de l’Atelier, par le foisonnement des œuvres accrochées côte à côte : sur un mur, l’accrochage des cadres forme une curieuse excroissance. Le fichier Poïpoï de Robert Filliou et Joachim Pfeuffer, qui s’étoffe depuis 1963, est présenté au centre de la salle du fond, dans une mise en espace réalisée par Patricia Solini.
L’événement est évolutif. On peut voir sur le kakémono à l’entrée que quelques artistes continuent à contribuer, comme Baptiste Debombourg. Alors que je pars de l’Atelier, un homme apporte sous son bras une photo de l’artiste Cécile Paris qui souhaite apporter sa pierre à l’édifice.
Initiatives transversales de l’art contemporain
D’autres artistes ont participé plus récemment. Parmi eux, Mircea Cantor, qui connait Jean-Paul depuis ses études à l’école des Beaux Arts de Nantes. Son œuvre dédiée au projet Mémoires d’Éléphants s’inscrit dans la collection d’une manière très particulière : il s’agit d’un tatouage dessiné par l’artiste sur l’épaule même de Jean-Paul. Une vidéo retrace la création de cette œuvre devenue ambulante, incrustée dans la peau du porteur du projet, qui consacre son temps à ce projet depuis deux décennies. « Tu es trop discret vis à vis du projet. Je veux te mettre à l’honneur et je veux que cela soit toi qui porte et qui fasse circuler mon œuvre. Pour l’exposition je te demanderai de faire un trou dans ta veste. »
Par sa présentation et dans la diversité des œuvres montrées à l’Atelier, on observe la simplicité du projet qui permet de rapprocher l’art contemporain des gens. Tout dans l’exposition rappelle l’humanisme qui a construit chaque démarche d’un artiste vers l’association, de l’association vers l’artiste, des artistes pour la cause écologique.
L’accrochage témoigne d’une approche décloisonnée et décomplexée de l’exposition, assez loin des codes dans le cadre desquels on peut habituellement voir l’art contemporain. Du sol au plafond, l’Atelier est transformé par les œuvres qui y sont montrées. Jean-Paul aime à rappeler que la démarche doit témoigner de « l’accès à un niveau de pensée global », qui aura mené des artistes exerçant dans de nombreuses disciplines à dédier leurs œuvres pour cette collection unique et inclassable. Un projet toujours en cours, à suivre absolument.
Francis Corabœuf
Photos : Alban Lecuyer
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