« Le Fils de L’Autre  »
Quand le cinéma parle des conflits avec pudeur
Le mardi 27 mars, au Cinéma Gaumont de Nantes, avait lieu l’avant-première du dernier film de Lorraine Lévy Le Fils de L’Autre. Avec la présence de Jules Sitruk et de Virginie Lacombe, la productrice. Ce film aborde avec délicatesse le conflit israélo-palestinien.
« Quand je suis mon pire ennemi et que je dois m’aimer quand même ». Cette phrase tirée du film, pourrait très habilement le résumer. L’histoire est basée sur le conflit existant entre la Palestine musulmane et l’Israël juive. Suite à un attentat, deux bébés sont échangés à la naissance. Cet évènement entraîne un choc remettant en cause l’identité de ces enfants.
« Tu veux dire que l’autre c’est moi ? »
Les deux enfants grandissent. Joseph (israélien) doit intégrer l’armée. Mais il y a un problème avec ses tests sanguins. Comment peut-il être A+ alors que ses deux parents sont A- ? Sa mère Orith, (Emmanuelle Devos) lui demande de repasser les tests. Elle était loin de se douter de ce qui allait lui être dévoilé. Loin d’imaginer que sa famille israélienne serait liée à une famille palestinienne. Lors de la naissance de Joseph, un attentat survient à la maternité. Pour protéger le nouveau-né, une sage-femme l’a mis à l’abri dans une couveuse dans laquelle se trouve déjà un enfant. Mais, les deux bébés vont être intervertis. Orith a récupéré l’autre nouveau-né, Joseph (Jules Sitruk), sans voir de différences. L’autre est devenu son enfant. Son enfant biologique porte le nom de Yacine (Mehdi Dehbi). Elle ne l’a pas choisi. Elle ne le connait pas. Les liens du sang sont présents. Mais les liens du cœur peuvent-ils se construire quand trop de distance est installée ?
Quand l’existence du mur israélo-palestinien empêche les cœurs de s’entendre. Tout va se faire par étape. La rencontre des parents, des regards échangés, des photos données. Essayer de rattraper le temps perdu, de se soutenir dans cette douleur commune. Le fils de l’autre met en scène deux familles appartenant à deux peuples différents. Rien ne les prédestinait à accoucher dans la même maternité. Le hasard était au rendez-vous. Les retrouvailles sont timides, parfois houleuses. Cette situation, vue comme honteuse, se fait vite savoir. On veut voir celui qui vient de l’autre côté. Celui que l’on a côtoyé, devient l’autre.
Mais les liens du cœur peuvent-ils se construire quand trop de distance est installée ?
Ces six personnes unies par cette douleur cherchent maladroitement à se connaître. Joseph et Yacine veulent la tendresse et l’admiration de leurs nouveaux parents. Qu’ils soient fiers de ce qu’ils font. Joseph fait de la musique, comme son père biologique (Khalifa Natour). Un lien fort, quand les mots ne trouvent pas leur place. Yacine a son Bac. Il veut devenir médecin. Le père de Joseph (Pascal Elbé) montre, par son regard qu’il est impressionné par cet enfant qui n’est plus le sien. Les mamans veulent les toucher. Les embrasser, rattraper l’amour qu’elles n’ont pas pu leur donner.
Derrière les différences se trouvent le lien
Deux mondes totalement différents se confrontent à l’écran. On sent dans les scènes cette continuelle opposition. Le couple israélien s’embrasse en public, n’ont pas peur de montrer ses sentiments. Le couple palestinien est plus pudique. Tout se passe dans le cadre privé. Orith (israélienne) montre ses jambes, portent des décolletés. Leila (palestinienne, interprété par Areen Omari) porte le voile et ne l’enlève que lorsqu’elle se trouve dans l’univers familier. Elle porte de longues robes, dans des couleurs sombres. Les différences s’installent petit à petit dans ce film. Jusqu’au pendentif, signe distinctif de leur religion d’appartenance. Ces deux couples se rencontrent dans le bureau du chef de l’hôpital, les différences de comportement s’installent. Mais une douleur les unit. Les femmes se retrouvent seules, face au médecin, qui leur a annoncé la triste nouvelle. Les hommes ont préféré fuir la douleur à l’extérieur. Des regards timides. Des pleurs communs auront raison des différences. La douleur est trop forte et l’envie de connaître cet autre enfant, trop présente. Dans cette première séparation, on sent l’envie de prendre l’autre dans les bras. Mais c’est trop tôt.
Joseph, se demande s’il a encore le droit d’être juif. Il se dit arabe et demande à sa mère s’il doit porter une bombe sur sa ceinture. Yacine sent le rejet de son propre frère, il le juge comme un ennemi. Joseph est très passionné par la mode, la musique, les soirées sur la plage avec les amis, autour d’un feu avec de l’alcool. Yacine rentre juste de France. Il vient d’obtenir son bac avec mention. Sa famille a une place prépondérante pour lui. Ses moments d’évasion se font avec son frère autour de bêtises complices. Ou avec des amis masculins lors d’une partie de foot. Seule la réaction des deux sœurs est identique. Elles voient dans cette situation, un nouveau frère. Leur regard d’enfant les empêche de prendre conscience du conflit des adultes.
La vie en Israël rime avec la plage, les sorties, les bars, les cafés, les boutiques, la liberté. La vie en Palestine est plus sobre, plus traditionnelle. Les immeubles sont moins nobles. Les traditions et la vie en communauté sont les bases de la vie en société. Il faut des laisser-passer pour aller voir ce qui se passe au-delà du mur.
Il faut des laisser-passer pour aller voir ce qui se passe au-delà du mur
La musique va rapprocher les liens de Joseph et son père biologique. Le français sera le petit truc en plus qui va rapprocher Yacine de ses vrais parents. Il faut apprendre à connaître l’autre. Les différences visibles peuvent laisser place à un miroir. Des ressemblances enfouies. Les liens sont présents. Leila se permettra même d’enlever le voile en présence de Orith et Alon (israéliens).
L’esprit marqué par ce voyage
Les applaudissements accueillent Jules Sitruk et Virginie Lacombe, la productrice du film. Le film émouvant, critique sur les différences religieuses. Il est avant tout basé sur un rapport humain et ne porte aucun jugement politique. La réalisatrice, Lorraine Lévy ne cessait de réécrire le scénario, elle voulait éviter les clichés. Elle souhaitait se rapprocher au plus prés de la réalité et de ce qu’elle voyait. Le tournage a eu lieu à Tel-Aviv avec une équipe franco-israélo-palestinienne. Le film part d’une simple idée inscrite sur sept pages. Virginie Lacombe voulait que ce soit une femme qui le réalise. Quatre ans et demi de travail plus tard : le film. Sans compter tout le travail personnel des acteurs. Ils ont réfléchi longuement avant d’accepter les rôles. Difficile de savoir s’ils étaient prêts à endosser un rôle aussi fort. Apprendre les différentes langues comme l’anglais, l’arabe et l’hébreu. Jules Sitruk a également dû assimiler les techniques de la guitare.
Un personnage principal marque les esprits des acteurs et de l’équipe technique : le mur. Par sa grandeur, les voix de l’autre côté. Au départ, des projectiles leur étaient envoyés. Des membres palestiniens de l’équipe ont dû leur expliquer qu’ils étaient français. Donc neutres. Des conversations s’installaient alors, par les petits trous parsemés sur le mur. Ce dernier leur semblait irréel. Comme s’ils se trouvaient à leur tour dans un film.
Lorraine Lévy joue avec le spectateur. Elle aime semer dans son film des fausses pistes. Est-ce que Yacine va vouloir prendre la place de Joseph ? La fin sera-t-elle surprenante et tragique ? Oui la fin est surprenante. Mais pas tragique. Lorraine Lévy arrive avec habileté à mettre une jolie note finale à ce film. Belle et pleine d’espoir. Virginie Lacombe nous confie la belle histoire du personnage de Leila. Areen Omari a marché pendant quatre heures et trente minutes pour se rendre au casting. Le jour même une bombe avait explosé à Jérusalem. Sa prestation, lors du casting n’était pas terrible. Mais Lorraine Lévy fut touchée par son jeu. La Palestine et Israël ne sont pas seulement des pays où règne la peur. Ce film reflète la beauté des rapports humains. Les acteurs du film sont marqués par ce pays. Ils s’y sont rendus à reculons, pleins de préjugés. Mais ils y partent les larmes aux yeux.
Mélanie Javelaud
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