Festival du Cinéma Espagnol
La Femme de L’Eternaute
Le festival du Cinéma espagnol ne projette pas que du cinéma espagnol. Cette année, il fait la part belle au documentaire. Ce genre de plus en plus adopté par les réalisateurs est traité avec la même poésie et esthétique cinématographique. Dans la programmation de cette 22ème édition, La Femme de L’Eternaute est un bijou. Ce documentaire du réalisateur espagnol Adán Aliaga retrace tout en pudeur la vie d’Elsa Sánchez, la femme d’Hector Germán Oesterheld, auteur de la célèbre bande-dessinée L’Eternaute. Son mari a disparu avec leurs quatre filles lors de la répression militaire argentine. Projeté pour la troisième fois dans le monde, La Femme de l’Eternaute était en compétition pour le prix du meilleur film documentaire.
Adán Aliaga est comme son héroïne : humble et naturel. La Femme de l’Eternaute est son troisième long-métrage. Après le succès de son documentaire La Casa de mi Abuela (La Maison de ma Grand-mère), onze fois récompensés et son film Stigmates, inspiré de la bande-dessinée de Mattoti et Persanti qui avait remporté l’année dernière, une mention spéciale au Festival du Cinéma Espagnol à Nantes, Adán Aliaga a réalisé son premier film de commande. Pendant cinq semaines, il a tourné entre Buenos Aires et la Galice d’où Elsa Sánchez est originaire pour peindre le courage et l’humanité de cette femme qui à 85 ans, survit avec « une âme mutilée. »
Le 24 mars 1976, les Forces Armées renversent la République Constitutionnelle d’Argentine pour y établir une politique de terreur sous le nom de « Processus de Réorganisation Nationale », dirigée par Jorge Rafael Videla. La répression politique se traduit par la disparition de plus de 30 000 personnes de tout âge et de condition sociale, emprisonnées et torturées. Les femmes enceintes sont conduites dans des centres de détention clandestins où elles donnent naissance à leurs enfants. Considérés comme « butins de guerre », ils sont confisqués puis adoptés par les forces armées, vendus ou abandonnés dans des orphelinats sous les initiales N.N. (No Nombre : sans nom).
« Celui qui voyage à travers l’éternité est un éternaute »
« C’était l’aube, à peine trois heures du matin. Il n’ y avait pas de lumière dans les maisons voisines […] soudain un grincement, un grincement provenant de la chaise en face de moi, la chaise qu’occupent toujours ceux qui viennent discuter avec moi... »
Ainsi commencent la B.D de L’Eternaute et le documentaire d’Adán Aliaga. Juan Salvo, dans son costume hermétique marche dans la nuit de Buenos Aires en se protégeant des flocons de neige mortels. Héros malgré lui, perdu dans l’espace-temps, il fuit les envahisseurs extraterrestres appelés « Ellos » (Eux). Ces êtres impersonnels dotés d’une puissance incommensurable et d’une technologie bien supérieure à la nôtre sont venus sur Terre pour soumettre les civilisations et réduire les hommes en robots. Derrière ce scénario de Hector Germán Oesterheld (1917-1977), c’est la métaphore de tout le mécanisme du pouvoir argentin et de la lutte pour la résistance qui est décrit. L’Eternaute fut publiée pour la première fois en 1957 dans la revue « Hora cero » (Heure zéro). Aujourd’hui, la B.D résonne encore dans les consciences de ces générations qui ont connu les terribles années de répression et de celles qui sont nées après en quête comme ce voyageur de l’éternité d’une mémoire qu’il ne faut pas oublier.
Aujourd'hui, Elsa Sánchez joue malgré ele le rôle de l'Eternaute. Veuve et « mère-orpheline » depuis plus de trente ans, elle n'a jamais arrêté de parcourir le passé cherchant des réponses
« Qui est ce héros si ce n’est un simple mortel ? Un héros humain fait de passions, d’erreurs, de peurs. » Ces paroles du neveu d’Hector Jorge Oesterheld dans le documentaire sonnent amèrement chez Elsa. Lorsqu’au début des années 70, Hector, artiste déjà reconnu s’engage contre la volonté de sa femme dans l’organisation politico-militaire Los Montoneros, il se prend pour un héros. « Être héros, ce n’est pas mourir noblement pour une cause mais vivre humblement pour celle-ci. Moi aussi je suis une rêveuse, mais rêveuse rationnelle. Ça a été sa grande erreur. » Entraîné par ses quatre filles, chacun connaissait l’issue fatale de cet engagement politique, mais l’autorité d’épouse et de mère ne pouvait rien face à l’engouement révolutionnaire. Le 27 avril 1977, Hector est enlevé à La Plata puis détenu avant d’être tué à Mercedes. Leurs quatre filles ont subi le même sort.
Aujourd’hui, c’est Elsa Sánchez qui malgré elle, joue le rôle de l’Eternaute. Veuve et « mère-orpheline » depuis plus de trente ans, elle n’a jamais arrêté de parcourir le passé cherchant des réponses mais aussi deux petits-fils nés durant l’emprisonnement de ses filles. Elle a pu reconstruire une famille en élevant deux autres petits-enfants Fernando et Martín que l’armée lui a remis à la fin de la dictature en 1983. C’est grâce à eux d’ailleurs qu’elle a pu continuer de vivre. Cette grand-mère est aussi une Abuelas de la Plaza de Mayo (Grands-Mères de la Place de Mai), organisation non-gouvernementale qui se bat pour que tous les enfants disparus et emprisonnés durant la dictature retrouvent leur famille légitime et que justice soit faite.
« Tout passe, il n’y a que le vide qui ne se referme pas »
A force de lutter pour la vie, elle ne s'est pas rendue compte qu'elle avait vaincu la mort dit-elle avec humour
La Mujer del Eternauta n’est pas un documentaire sur l’Eternaute, ni sur son créateur ou sur les terribles heures que vécurent les argentins sous le régime de Videla. La femme de l’Eternaute parle d’abord d’Elsa Oesterheld Sanchéz l’épouse d’Hector, la mère de Marina, Diana, Beatriz et Estela, une femme normale, sensible et tenace, marquée à jamais par la vie.
Adán Aliaga a vécu le quotidien de cette femme solitaire et solidaire : dans sa cuisine, son salon, causant avec sa femme de ménage, raisonnant ses petits-enfants et petits-petits-enfants, ressortant avec délicatesse des croquis de l’Eternaute réalisés par Francisco Solano López ou montrant avec fierté des dessins et des récits de ses filles qui avaient hérité de la fibre artistique de leur père. Le regard est triste mais déterminé. Les mots tranchants sont entourés d’un long silence. Le sourire ressemble a une cicatrice. Le dos est courbé par l’existence. La marche est lente comme celle du pèlerin éternel. C’est avec une sensibilité pudique qu’Adán Aliaga a voulu « reconstruire le casse-tête autour de la figure d’Elsa où l’on peut sentir chaque petit détail qui dessine son caractère. » Malgrè sa tragique expérience, Elsa ne cesse jamais de répéter avec émotion devant la caméra ou lors de ses nombreux meetings des Abuelas de Plaza de Mayo qu’elle aime la vie, qu’elle a lui a offert des moments d’infini bonheur. « Plutôt que de haïr ou me lamenter, je préfère continuer d’avancer ». Parfois elle se demande s’il ne serait pas temps d’arrêter. A force de lutter pour la vie, elle ne s’est pas rendue compte qu’elle avait vaincu la mort dit-elle avec humour.
Le quotidien d’Elsa croise des témoignages d’amis, d’intellectuels proches de Hector et Elsa (Francisco Solano López, l’un des premiers dessinateurs de l’Eternaute, l’écrivain et scénariste de bande dessinée Juan Sasturain), de ses petits-enfants Fernado et Martín, d’un neveu avec des reconstitutions de scènes emblématiques de l’Eternaute. « Cela apporte à l’histoire une grande force visuelle et enrichit le langage cinématographique. La mise en scène a plus de poids que de coutume, elle a une fonction narrative et est déclencheuse d’émotion ». La dernière scène donne la parole à l’écrivain galicien Manuel Rivas qui sublime le portrait d’Elsa. La femme galicienne est traditionnellement « celle qui porte » : la nourriture, les enfants, le poids de l’existence, la solitude et le courage face à l’absence de mari parti à la guerre ou emporté par la mer et l’espérance infinie. Dans ce documentaire, Elsa est tout ça à la fois.
Pauline Vermeulen
Photos : Frida Films
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