
FOCUS
En croisière pour la dernière édition d’Estuaire
Pour la troisième et dernière édition d’Estuaire, le public a pu découvrir cette année de nouvelles oeuvres qui jalonnent le cours de la Loire entre Nantes et Saint Nazaire. Le parcours s’ouvre et se mélange avec la programmation du Voyage à Nantes à qui il laisse son héritage artistique.
Embarquement sous la pluie pour la croisière Estuaire aller-retour, l’expédition d’une journée entière. Le groupe au départ est composé d’une foule motivée et enthousiaste malgré la grisaille : familles, touristes étrangers, groupes d’enfants en sortie, personnes âgées. Accueilli par guides et médiateurs, le groupe s’installe dans une joyeuse pagaille pour une traversée entre art contemporain, patrimoine naturel et industriel.
Entre création et mise en valeur du patrimoine industriel : Roman Signer à l’honneur
À peine parti, on découvre avec surprise un clin d’œil de Roman Signer au détour de l’île de Nantes. L’artiste suisse a suspendu un kayak rouge à la grue Titan grise qui surplombe la pointe de l’île. La plupart des visiteurs de son exposition personnelle au Hangar à Bananes ne l’auront sûrement pas vu ! Le kayak est affublé de deux pagaies croisées qui le font tourner sur lui-même au gré du vent, s’insérant ainsi dans une série de sculptures drôles et loufoques présentée dans la première partie de l’exposition à la HAB galerie.
Si Roman Signer a particulièrement été mis à l’honneur par Estuaire, il l’aura bien rendu comme en témoigne son intervention pérenne, visible à Trentemoult. Un pendule est fixé à la carcasse d’une ancienne cimenterie, à l’extrémité ouest du village. Symbole du temps qui coule, imperturbable, son propre sort est lié à la structure métallique désormais abandonnée et qui se dégrade lentement. Cette pièce est sans doute une des plus simples et des plus belles du parcours, même si elle se retrouve en ce moment liée à une controverse. Ironie imprévue de cette oeuvre, qui offre à la rouille les constructions humaines, ignorant au final les tourments de nos préoccupations séculières.
De l’autre côté, le Lunar Tree de Mrzyk et Moriceau surplombe la Loire du haut de la Butte Saint Anne. On ne peut qu’imaginer l’effet qui anime l’arbre blanc qui se détache sur la roche : une fois la nuit tombée, il est nimbé d’une lueur sourde et mystérieuse, semblant émaner de son tronc et de sa base. De même, pour les anneaux de Buren le long des quais et l’œuvre de Morellet à la sortie du pont, il faudra revenir de nuit.
Si Roman Signer a particulièrement été mis à l'honneur par Estuaire, il l'aura bien rendu comme en témoigne son intervention pérenne, visible à Trentemoult
L’attention des visiteurs en croisière se porte inlassablement à gauche puis à droite, entre les nombreux bâtiments qui sont soudainement révélés par ce point de vue unique. Grâce à la voix de la guide, on découvre l’Estuaire industriel, les bâtiments abîmés témoignant d’une intense activité, le plus petit pétrolier du monde, tout cela disséminés au long des communes. On connaissait leurs noms auparavant et elles sont maintenant comme reliées entre elles par les œuvres qui effacent les limites entre la Loire, sa rive, les villages : en témoigne la maison dans la Loire de Jean-Luc Courcoult, à Couëron, qui reste une des œuvres les plus fortes du parcours, même si on l’a vu en photo des dizaines de fois.
L’excellente escale nazairienne
Au sortir du bateau, l’escale à Saint-Nazaire est l’occasion de se dégourdir les jambes, le temps de faire une pause déjeuner au bord de l’eau et de vivre deux expositions de très bonne qualité dans le traditionnel circuit LiFE - Grand Café.
On avait récemment pu voir le travail des frères Chapuisat au Centre culturel Suisse pour une intervention empêchant le spectateur de se mouvoir dans l’espace d’exposition. On perd à nouveau tout repère face à Métamorphose d’impact #2, lorsqu’on rentre dans une pièce, que l’on imagine immense, plongée dans le noir. Seul, un grondement sourd semble se faire entendre et on distingue peu à peu, descendant du plafond, une masse comme une montagne renversée ou une machinerie complexe. L’œuvre s’expérimente à tâtons et se dévoilera magnifiquement au bout d’un parcours obscur qui récompense le visiteur tenace.
A l’inverse, au Grand Café, pas besoin d’un long cheminement pour apprécier les œuvres de Vincent Ganivet qui se révèlent dès le premier regard. Il a su emprisonner un fumigène qui laisse au mur une trace d’une grande force, cela malgré la fragilité des pigments qui composent l’œuvre. Le matériau revêt une qualité presque aussi impalpable et insaisissable que le geste de l’artiste qui l’a créé, dans des tons étonnants. Ces formes et leurs surfaces dialoguent avec le travail de Séverine Hubard présenté au rez-de-chaussée. L’artiste réutilise ici de très larges pans de papier abrasif sur lesquels des matériaux ont laissé des lignes, comme une stratigraphie hybride entre pierre et métal, nature ou industrie.
cette initiative témoigne d'un véritable engagement de l'artiste et des habitant de l'Estuaire rassemblés dans une œuvre participative réussie
Le bus du Voyage à Nantes part du LiFE pour un trajet ponctué de deux étapes : Tout d’abord à Saint-Brévin on peut découvrir le squelette mystérieux et fantomatique d’un énorme serpent de mer, réalisé par l’artiste chinois Huang Yong Ping. Progressivement émergé puis immergé, il laisse imaginer un univers fantastique caché sous la mer qui aurait laissé échapper le vestige d’un être fantastique et monstrueux. Seconde étape, le jardin étoilé de Kinya Maruyama à Paimbœuf est une véritable oasis au bord de la Loire. Issu de l’imaginaire conjugué de l’artiste et des enfants des alentours, matérialisé grâce aux habitants et au concours d’étudiants d’écoles d’art et d’architecture, on déambule dans une utopie qui tient à la fois du jardin botanique, du temple japonais et de la cabane dans le fond du jardin : cette initiative témoigne d’un véritable engagement de l’artiste et des habitant de l’Estuaire rassemblés dans une œuvre participative réussie, d’autant plus que la tempête Xynthia avait dévasté le jardin en février 2010 et que tout a été reconstruit, comme régénéré.
De l’Île phénoménale au Voyage à Nantes : un passage de flambeau ?
Cela aura commencé pour nous avec une soirée déjantée intitulée l’île phénoménale. Estuaire a depuis été au carrefour des projets touristiques et culturels de la métropole Nantes Saint-Nazaire. Lancée avec l’inauguration du Hangar à Bananes, elle a animé l’évolution des infrastructures progressivement mises en place dans ce qui est maintenant le quartier de la création : un chemin énorme parcouru en cinq ans.
Estuaire se termine à la fin de l’été et son parcours, mis en place depuis 2007, sera donc apparemment dilué dans le Voyage à Nantes. En posant les jalons d’une présence forte de l’art contemporain à Nantes et tout au long de la Loire jusqu’à Saint-Nazaire, Estuaire a préparé le grand public local pour les interventions proposées par le Voyage à Nantes. Un de ses grands mérites en termes de fréquentation aura été de sensibiliser à l’art contemporain une énorme partie des habitants des zones concernées, constituant pour beaucoup un premier pas vers l’art contemporain en général.
Un de ses grands mérites en termes de fréquentation aura été de sensibiliser à l'art contemporain une énorme partie des habitants des zones concernées, constituant pour beaucoup un premier pas vers l'art contemporain en général.
Certaines œuvres ont été prémonitoires du Voyage à Nantes, dans un esprit impressionnant, drôle ou volontairement étrange, tel le canard (dé)gonflable géant de Florentijn Hofman qui aurait eu toute sa place cette année aussi. Il ne faudrait pas cependant que le ton décalé qui anime le Voyage à Nantes ne prenne trop le pas sur des œuvres sublimes installées grâce à Estuaire, telle l’intervention d’Ange Leccia projetée dans le canal Saint Félix, ou des oeuvres plus discrètes mais non moins fortes comme Serpentine rouge, la sculpture de Jimmy Durham installée à Indre. Le mélange des disciplines du Voyage à Nantes amène à juste titre à faire se côtoyer et dialoguer l’architecture, le design et les arts visuels comme c’était déjà le cas pour Estuaire à dose modérée l’invitation faite notamment à Rolf Julius pour le Bâtiment Manny, mais à trop vouloir décloisonner l’art contemporain, attention à ne pas lui faire perdre de sa force.
Francis Coraboeuf
Bloc-Notes
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