Festival du Cinéma Espagnol
« Au clair de lune, un clown n’a rien de drôle  » disait Lon Chaney
Pour le premier jour du Festival du Cinéma Espagnol, le Katorza a passé de nouveau à l’écran l’avant dernier film d’Alex de la Iglesia (invité d’honneur de cette nouvelle édition) Balada Triste de Trompeta. Projeté en avant première lors de la 21ème édition du festival, il avait remporté le prix du public qui avait fait un triomphe au réalisateur en l’accueillant avec un nez rouge ; pas seulement parce qu’Alex de la Iglesia se qualifie de clown dans son métier « qui change de maquillage suivant les personnes avec qui il travaille  » mais surtout parce que le film traite du combat à mort de deux clowns amoureux de la même acrobate. Pour ce premier film écrit tout seul, Alex de la Iglesia a voulu dévoiler sa nature d’espagnol « absurda, loca e inverosimil  » (aburde, folle et invraissemblable). Présent pour la projection, il nous a humblement invité à « contempler ses erreurs  ».
« Comment définir Balada Triste de Trompeta ? »
Même Alex de la Iglesia ne peut pas le classer. « Ce n’est pas une histoire d’amour ou c’est une histoire d’amour qui ne me ressemble pas. Ce n’est pas un film sur l’histoire espagnole puisqu’il n’y a aucun critère historique à part mon point de vue personnel. Ce n’est pas un film de genre non plus. En fait Balada Triste de Trompeta n’apporte rien à l’histoire du cinéma, mais c’est le film qui reflète pour la première fois mon caractère vraiment espagnol. » C’est vrai qu’en sortant de la projection, on ne saurait dire si on a aimé ou détesté, tant l’enchaînement brutal des scènes ne laisse pas le temps de prendre de la distance. Mais les amateurs d’Alex de la Iglesia n’auront pas été déçus de la démesure et l’esthétique millimétrée qui explose l’écran du début à la fin.
Que le spectacle commence
Tout commence dans un cirque et se termine en cirque. Comme si dans l'Histoire de l'Espagne, il y avait quelque chose qui relevait de cet art céleste, sauvage et illusionniste
En pleine guerre civile, un clown joyeux est embrigadé par les troupes républicaines. En costume, il est contraint de tuer à la machette les nationalistes. Arrêté et prisonnier, il travaille sur le grand chantier mégalomane de Franco : la construction de l’immense croix de la Vallée des Morts [1] où il laissera sa vie. Son fils Javier qui admire son père, veut suivre la même voix que lui : être clown auguste. Mais son père s’y oppose : comment pourrait-il faire rire les enfants alors qu’il n’a pas eu d’enfance ? L’unique chose à laquelle il doit se consacrer est la vengeance. Des années plus tard en 1973, deux ans avant la fin de la dictature franquiste, Javier (Carlos Areces) est engagé comme clown blanc dans un cirque. Il partage la piste avec Sergio (Antonio de la Torre), clown auguste qui hors scène, est un homme violent et pervers. Avec Natalia (Carolina Bang), trapéziste, il entretient une relation malsaine. Javier se retrouve bientôt propulsé dans un trio amoureux, ensorcelé par Natalia qu’il veut sauver des vraies « baffes » de Sergio et jaloux de ce même Sergio qui peut faire rire les enfants et est aimé de Natalia. Courses-poursuites, combats, les clowns se métamorphosent en monstres défigurés. Derrière ce maquillage, ce sont les deux visages de l’Espagne historique (nationalistes et républicains) qui transpirent et ne cicatrisent pas.
Tout commence dans un cirque et se termine en cirque. Comme si dans l’histoire de l’Espagne, il y avait quelque chose qui relevait de cet art céleste, sauvage et illusionniste : un pays qui a perdu l’équilibre, des luttes absurdes entre nationalistes et républicains, une Nation entre les mains d’un dompteur, une démocratie qui apparaît comme par magie, un peuple, à la fois spectateur manipulé, exigeant ou bon public et une mémoire sous chapiteau. Pourtant, difficile de délier l’intrigue. Le film veut intégrer trop de choses en même temps. Entre clins d’œil historiques et imaginaire, le spectaculaire prend le dessus faisant perdre son sens à beaucoup de séquences : Franco apparaît sous les traits d’un vieillard maigrichon amateur de chasse et presque gentil ; Javier, en cavale croise le chemin du bandit le plus recherché de l’Espagne de l’époque “El Lute” ; et Javier dans son camion-frigorifique fait exploser la voiture de l’amiral Luis Carrero Blanco.
Du cinéaste au cinéphile
Alex de la Iglesia a déroulé les pellicules de son enfance et sa jeunesse bercée par la pop culture, la Movida et caractérisée par une boulimie de cinéma
Si le cinéaste basque dit que son film ne révolutionne pas l’histoire du cinéma, on y trouve en revanche des pages historiques du septième art qui ravivent les cinéphiles. En voyant la troupe de cirque avec ses personnages intemporels et marginaux (saluons au passage l’interprétation charismatique des comédiens), on ne peut s’empêcher de penser au film culte américain La Monstrueuse Parade (1932) de Tod Browning où d’ailleurs une trapéziste est au cœur d’un dilemme amoureux. Les personnages de clowns sadiques sont sans nul doute inspirés de Lon Chaney, « l’acteur « aux mille visages » qui a nourri l’imaginaire du clown maléfique ».
La croix du mausolée où se tient l’ultime combat mortel a des airs des grandes tours américaines dans les scènes nocturnes de King Kong, Batman ou Spiderman. L’évolution physique et mental de Javier ressemble d’ailleurs à celle de ces héros pop de bandes dessinées. Même le titre est un hommage : Balada triste de trompeta est repris d’une célèbre chanson du film Sin un adios (1971) du valencien Vincente Escrivá. C’est la star espagnole Raphael, maquillée en clown qui interprète la chanson. Le personnage sort même de son film pour jouer le rôle d’une des voix de la conscience de Javier dans Balada Triste. Quant à l’esthétique tantôt gore tantôt kitsh, il y a du Quentin Tarantino et du Almodovar, mentor d’Alex et producteur de son premier film Action Mutante (1992). Alex de la Iglesia a ainsi déroulé les pellicules de son enfance et sa jeunesse (pas étonnant que le film soit par moment naïf et sans limite) bercée par la pop culture, la Movida [2] est caractérisée par une boulimie de cinéma.
Il y a eu ceux qui ont ri du même rire que les clowns et ceux qui n’ont pas pu décoller de leur siège après le générique de fin. Certains ont quitté la salle, d’autres ont souffert pendant 1h40. Force est donc de reconnaître un mérite au film : il ne laisse pas indifférent. Sur son blog Alex de la Iglesia résume Balada Triste ainsi : « Comment la colère et l’angoisse de la vengeance conduisent à la destruction ». Dommage qu’il n’ait pas dépasser l’excessive violence pour lui donner l’effet cathartique de l’art.
Pauline Vermeulen
Crédits photos : Blog de Alex de la Iglesia
[1] « La Valle de los Caídos » littéralement « La Vallée de ceux qui sont tombés » ; cet édifice pharaonique fut érigé à la demande de Franco de 1942 à 1959 à la mémoire des morts (Républicains et Nationalistes) de la guerre civile espagnole (1936-1939).
[2] Mouvement culturel créatif déclenché en 1975 après 36 ans de dictature franquiste et caractérisé par l’exubérance, la débauche et le libertinage aux influences punk, rock et métalleuse ; « Faites la fête et défoncez-vous ! » est le crédo des espagnols jusqu’à la fin des années 80.
Bloc-Notes
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