
ENTRETIEN
Benjamin Mocaer : un étranger, en soi
Baroudeur, Benajmin est actuellement en reportage pour 8 mois et 3 pays : Nouvelle-Zélande, Inde, Népal. Avec pour mission de rencontrer ceux qui s’expatrient, le jeune reporter questionne le rapport à l’étranger vécu de l’intérieur et éclairé par des spécialistes sur son blog, que Fragil soutient. Entretien.
Fragil : Benjamin Mocaer, pouvez-vous nous présenter votre projet l’Etranger en soi ?
Il s’agit d’un webdocumentaire, lancé au début du mois de février 2012. On s’y intéresse à des récits de vies marquées par l’expatriation, dans des pays tels que la France, l’Inde, la Nouvelle-Zélande, le Népal... Des régions du monde que j’arpente moi-même à la rencontre de ces gens. L’Etranger en soi, c’est du « direct différé » : les articles sont publiés peu de temps après le travail de terrain. En gros, quand les gens lisent un article, l’interview a été réalisée un mois plus tôt.
Je m’arrête un instant sur le terme webdocumentaire. Il me paraît important de préciser que la forme écrite prend une place importante. C’est un penchant que les webdocumentaires les plus emblématiques du genre n’ont pas forcément, très axés qu’ils sont sur la vidéo... Cependant, j’y viens moi aussi. Il y a deux phases dans ce projet : février à septembre 2012, on peut lire des articles, consulter des photos de reportages... Puis en décembre de la même année, diffusion des portraits vidéos...
Pourquoi avoir choisi ce nom ?
J’ai pris le parti d’un titre un peu intriguant, pour tout dire... Je sais que ce n’est pas le plus explicite des idées de nom que j’ai eues ! Ce qui me paraissait important, c’est que chacun puisse comprendre qu’il est concerné par le sujet de l’expatriation, parce qu’il en est un sujet potentiel ! Je crois qu’on a tous en nous un désir, contrarié ou non, raisonné ou pas du tout, d’aller voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, au-delà des frontières. L’étranger en soi, c’est ce double de nous qui, d’une certaine façon, se projette dans une vie à l’étranger. Et cet avatar-là, dont je suppose qu’il vit en nous-même – en soi – il faut apprendre à le connaître... Challenge proposé avec ce webdoc.
Je crois qu'on a tous en nous un désir, contrarié ou non, raisonné ou pas du tout, d'aller voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs, au-delà des frontières
Quel est le propos de l’étranger en soi ?
Le webdoc s’intéresse à la façon dont est vécue une existence qui quitte son pays pour en rejoindre un autre. La vie ainsi menée, j’ai pris le parti de la découper en quatre phases progressives, qui deviennent des chapitres du webdoc : le préambule avant le départ, le choix de quitter son pays, l’arrivée dans un nouveau monde, et finalement le déracinement à long terme. Quand je parle d’existence, finalement, ça renvoie aussi à ce processus, à cet enchainement d’étapes inéluctables. Bref.
Chacune de ces phases est illustrée par un sujet propre à un pays, à une population. On parle des jeunes français se testant à l’étranger avec une année de break en Nouvelle-Zélande ; on rencontre des jeunes indiens tentés par la fuite des cerveaux ; on adopte le point de vue des demandeurs d’asile découvrant Nantes ; on vit le déracinement de l’ethnie Lhotshampas, expulsée du Bhoutan vers le Népal depuis vingt ans.
Tout cela avec la particularité de considérer à égalité de témoignage des choses entre lesquelles on dresse habituellement des barrières infranchissables... Je veux parler des discours classiques : « ceci est une migration subie », « ceci est une migration choisie »... Je crois que tout n’est pas simple et je veux croire – c’est peut-être en ça que EES relève du point de vue d’auteur autant que du journalisme – que chacun use de son libre arbitre au cours de sa vie. Même si des choses dramatiques contraignent l’existence, le libre arbitre continue son bout de chemin avec l’individu... Et c’est ce point de vue centré sur l’humain qui me permet de considérer toutes ces existences avec un regard égal.
A partir de quel moment se sent-on prêt pour mettre les voiles ? Quel est le déclencheur ?
Le webdoc s'intéresse à la façon dont est vécue une existence qui quitte son pays pour en rejoindre un autre
C’est à peu près le sujet du chapitre indien... Si la question s’adresse à moi, eh bien, il n’y a pas réellement eu de moment précis. C’est plutôt une sorte de progression ! Autour de moi, plusieurs amis ont monté des projets d’une certaine envergure. Certains ont fondé des revues, d’autres sont partis pour un long reportage autour du monde, d’autres sont partis réaliser un documentaire à l’étranger... Voulant donner un coup de boost à ma carrière, avec aussi l’envie de faire quelque chose d’un peu ambitieux et personnel, le projet est arrivé presque tout cuit dans ma tête... Enfin presque !
C’est un voyage long : comment se prépare-t-il ?
Je travaille dessus depuis décembre 2011. Cela se prépare sur un plan financier, recherche de partenaires, etc. Aussi sur un plan matériel, logistique... Mais surtout éditorial, cette aproche-là ayant préexisté à toute autre. Ce que je veux dire, c’est que je voulais avoir une idée claire de mon projet avant même de penser matériel, billets d’avions ou taille de capteur photo.
je voulais avoir une idée claire de mon projet avant même de penser matériel, billets d'avions ou taille de capteur photo
Combien cela coûte l’Etranger en soi ?
Le prix d’une belle voiture d’occasion...
D’un point de vue journalistique, vous faites le choix du tout-indépendant : vous ne partez pas pour une rédaction. Est-ce une volonté de votre part ?
Oui et non... Je voulais faire un projet sur lequel je puisse avoir un maximum de contrôle, concevoir et faire les choses quasi de A à Z. Même si au final, je reçois des aides essentielles, cette volonté se ressent dans la réalité de la production : je fais beaucoup de choses et les contraintes éditoriales, c’est moi-même qui me les suis fixé ! Au bout du compte, je relativise un peu : bosser pour une rédac’ n’aurait pas été une suppression de liberté.
Des limites à ce que vous devez rapporter comme image, comme témoignage ?
Arbitrer des limites a priori, définir des frontières sur un territoire qu’on ne connaît pas encore, c’est assez étrange et un poil psychorigide – regardez une carte d’Afrique... Pour l’instant, j’attends de faire face à une situation pour la juger appropriée ou non à la diffusion. C’est mon premier projet de ce type et dans ces pays : je ne me fixe pas de limites tant que je ne les ai pas rencontrées pour la première fois ! En cela, EES est une expérience structurante pour ma pratique journalistique... En-dehors de ces considérations un brin métaphysiques, je dirais que ce n’est pas parce que je m’intéresse à des récits de vie que je vais en faire des tonnes sur le pathos...
En tant que jeune journaliste, face à quelles contraintes faites vous face dans la production de l’information ?
Je ne sais pas si le fait d’être jeune joue dans la façon de faire mon travail. Cela influence peut-être malgré moi la relation avec les sources. Les gens en face de vous lors d’une interview vont se comporter différemment selon que vous ayez les tempes grisonnantes, un visage poupon ou un décolleté plongeant... Sur un sujet comme celui de la Nouvelle-Zélande, par contre, je ressens ça comme un atout, je me fonds très facilement dans la masse et les gens se livrent d’autant plus facilement...
Quels sont vos références dans le reportage ?
J’adorerais être original, vous citer des inconnus audacieux au style ... Mais j’ai été très tôt sidéré par Gunther Wahlraff, j’aime le style et l’obstination de Sorj Chalandon, et « Le quai de Ouistreham », écrit par Florence Aubenas, est un de mes derniers coups de cœur. Bon, je sais qu’avec ce genre de références aussi banales, je serais recalé à un oral d’école de journalisme, mais les talents que j’ai cités ne passent pas inaperçus.
Que retrouvera-t-on sur le blog de l’Etranger en soi ?
Des articles, des reportages, des photos, des récits de vie, traitant toujours de personnes vivant un moment particulier de l’expatriation. On retrouvera également des réactions, des commentaires – enfin j’espère, ça dépend plus tellement de moi à un moment... Parce que ce projet, je le veux au plus près de son lectorat... Sinon je n’aurais pas été vers un support web.
Propos recueillis par Romain Ledroit
Fragil vous propose de suivre le reportage de Benjamin Mocaer sur le blog de l’Etranger en soi, propulsé par la Fragilosphère.
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