
DÉBAT QUARTIER
Benjamin Nugues : «  Le journal crée un apprentissage du vivre ensemble, de la démocratie, de la communication  »
Benjamin Nugues est coordinateur du journal de quartier L’Ecrit de Bellevue depuis 2008. A l’écoute des habitants, il voit son journal comme un moyen de créer du lien avec les citoyens du quartier. Optimiste, il concède que l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers populaires passe par une valorisation des habitants.
Fragil : Benjamin Nugues, vous êtes le coordinateur de L’Ecrit de Bellevue, quel est votre rôle ?
Depuis 2008, je suis coordinateur de L’Ecrit de Bellevue. Financé par la Ville de Nantes, le journal donne la parole aux habitants du quartier par la rédaction d’articles. Nous traitons de sujets relatifs au quartier et des alentours, des activités des associations et des professionnels, mais aussi de sujets plus généraux. En tant que coordinateur, je recueille les articles, je prends les photos et je réajuste les sujets avec les bénévoles. Mon rôle au sein de l’équipe, c’est de développer le comité de rédaction. J’ai toujours aimé le contact. Dans le même temps, j’ai aussi d’autres missions, j’accueille les associations et je les aide pour la mise en place de projets. Je m’occupe aussi de certaines tâches de communication de la ville, et de certains comptes-rendus de projets.
...Et le rôle du journal ?
Le journal crée un apprentissage du vivre ensemble, de la démocratie, de la communication. L’Ecrit de Bellevue doit apporter des informations plaisantes et utiles. Parler de choses simples, retraduire ce qui peut paraître compliqué et le vulgariser au sens noble. D’ailleurs le journal possède une rubrique agenda où sont inscrites toutes les fêtes à venir, des photos des gens du quartier. Beaucoup de gens gagnent peu, leur premier souci c’est d’avoir du travail. Les individus vont donc moins vers l’information. Nous, on est là pour informer, échanger et apporter de la « pédagogie ». C’est parfois frustrant d’être dans un journal car on a envie de tout dire, mais nous sommes limités en termes de mots et d’images. Nous sommes confrontés à des choix, alors on essaye de faire ressortir l’essentiel. Synthétiser, c’est aussi ce qui fait l’intérêt du journal.
Comment fonctionne le journal ?
Le journal possède un comité de rédaction. Dix personnes fidèles qui viennent à chaque réunion, et d’autres participent ponctuellement. Ces individus ont entre 26 et 60 ans, mais il y a surtout des gens de plus de 40 ans, des retraités et quelques actifs. Des hommes comme des femmes viennent apporter leur contribution. C’est une équipe avec des origines et des cultures différentes. Il y a aussi bien des français « de souche » que des français d’origine algérienne, africaine. Le comité est intéressé par la vie du quartier, et souvent les gens sont impliqués ailleurs. Ces personnes sont en situation de précarité ou connaissent le chômage. Nous avons un rythme intéressant puisque l’on met trois mois pour construire le journal. Trois ou quatre numéros rythment l’année. Il y a souvent trois numéros, plus un qui annonce les évènements qui auront lieu l’été. Cela nous permet d’avoir un recul sur les évènements. Parfois, on attend que certaines manifestations aient lieu pour pouvoir les incorporer dans le journal. Il faut prendre en compte le fait qu’en travaillant avec des bénévoles le temps de conception du journal est plus long et nous faisons en fonction de notre budget.
Pouvez-vous nous décrire un comité de rédaction type ?
On se réunit une fois par mois en moyenne, parfois plus. Cette réunion a lieu en soirée vers 18 heures. On commence par faire un bilan du précédent numéro puis, on établit un sommaire. Je fais un tour de table pour demander à chacun ce dont il veut évoquer et parfois, je propose des pistes en fin de discussion. Nous nous mettons d’accord sur la répartition des rôles, des rendez-vous à prendre, des interviews à faire. Puis, à la réunion suivante, on fait le point. Durant nos réunions de comité, il nous arrive d’avoir des discussions libres, on échange des informations sur le quartier.
Bellevue c'est plus de 10 000 habitants et presque autant de points de vue
Qui lit le journal ?
Les lecteurs sont principalement des habitants du quartier. Entre 5000 et 5500 exemplaires sont tirés sur les secteurs de Bellevue et Bourderie. Étant donné que seul le quartier de Bellevue est concerné, on ne va pas plus loin en terme de diffusion. Mais le journal est aussi diffusé dans les bibliothèques et les lieux publics jusqu’à Sainte-Anne.
Est-ce que L’Ecrit de Bellevue a des objectifs ?
D’abord, mettre en avant notre journal. Après, mon objectif c’est de développer le comité de rédaction, même si certaines participations sont ponctuelles. Participer à L’Ecrit de Bellevue, ce n’est pas seulement faire une compilation d’évènements associatifs, mais faire quelques éclairages par le biais d’acteurs associatifs.
Avez-vous des retours concernant votre journal ?
Je sais que c’est un journal lu et attendu, par les habitants, mais aussi par les professionnels du quartier. L’Ecrit de Bellevue plaît car c’est un journal de proximité. Les gens du quartier s’y retrouvent nous montrons leurs actions, leurs engagements, leurs efforts pour Bellevue. Les habitants apprécient se retrouver en photos par exemple. Le journal parle des initiatives positives, mais peut évoquer aussi les aspects plus négatifs, mais dans une visée constructive. Certains professionnels le critiquent car on nous reproche d’être trop lisse et angélique, or je ne pense pas. J’espère toujours que le journal sera bien perçu. Je suis toujours déçu si ça déplaît ou si le journal a vexé quelqu’un mais, ça fait partie de ma sensibilité. Stress, trac, c’est un peu ce que je ressens avant la sortie du journal. Je me sens proche de L’Ecrit de Bellevue et de ses rédacteurs.
Êtes-vous confronté à des conflits ?
Parfois on s’autocensure. Aucun journal n’est totalement libre dans sa parole, Il y a toujours des contraintes de toutes sortes. Nous relisons les sujets et on tente de tempérer certains propos. Mais il y a rarement de gros désaccords. Parfois cela coince sur un sujet entre le point de vue de la Ville et celui d’habitants qui tiennent à le faire savoir dans un article et il m’est arrivé d’avoir quelques discussions avec la directrice de la publication car je souhaitais défendre la parole des ces habitants pour qu’ils puissent être entendu. Plus le journal représente les habitants mieux c’est, mais je sais que c’est utopique. Je ne veux pas réduire le quartier à quelques voix. Bellevue c’est plus de 10 000 habitants et presque autant de points de vue. L’essentiel est que les rédacteurs puissent écrire les messages qu’ils souhaitent faire passer. Mais, je dois avoir ce rôle de médiateur pour équilibrer les propos, les sujets… Une chose est sûre, durant le comité de rédaction il y a un véritable débat qui permet d’avancer, de créer du lien.
Avez-vous des contacts avec les médias ?
J’ai quelques contacts avec Presse Océan ou Ouest France mais dans le cadre d’activités différentes du journal. J’appelle peu souvent la presse. Il m’arrive de les informer concernant des évènements qui vont avoir lieu, des associations. Je relaye.
Actuellement quelle image les gens des quartiers populaires ont des médias ?
Les articles de presse touchent les gens, ils n'osent plus dire où ils vivent quand ils recherchent un travail
Il y a différents avis sur le sujet. Ce que j’entends dire c’est qu’il y a une lassitude à stigmatiser le quartier, à le montrer comme difficile car cela amplifie les choses, ça noircit le tableau. On dit que Bellevue est un quartier difficile. C’est une vision réductrice. Certes, il y a du chômage, Il y a parfois des des rodéos, du bruit… Mais lorsqu’on vit ici, on se rend compte que la réalité est loin de se résumer à cette seule image négative. Beaucoup d’habitants de Bellevue aiment leur quartier et considèrent qu’il a beaucoup d’atouts. Ouest France et Presse Océan relayent le dynamisme des associations, couvrent les fêtes locales mais s’attardent aussi, sans doute trop exagérément, sur les faits divers. Il y a un décalage. Les articles de presse touchent les gens, ils n’osent plus dire où ils vivent quand ils recherchent un travail.
Est-ce que votre journal est pénalisé par ce décalage que vous décrivez ?
Je ne crois pas car notre journal est repéré. Il est connu depuis vingt ans. C’est à nous de donner envie aux habitants d’y participer. L’Ecrit de Bellevue s’inscrit « à part », à l’échelle du quartier. Je pense que la confiance que les lecteurs accordent au journal est élevée. C’est probablement un des médias les plus lu car il arrive directement dans la boîte aux lettres, il est accessible et porte un regard positif sur le quartier. Les médias ont, d’une manière générale, intérêt à réfléchir sur la question de l’information. Comment informer sans passer par du sensationnel ? Si on devait vendre le journal, on continuerait de la même manière sans faire de sensationnalisme, surtout pas !
Comment intégrez-vous l’arrivée des médias citoyens ?
Plus il y a d’expression, mieux c’est. Entre les médias citoyens et nous, il y a des entrées différentes. Dans notre journal c’est l’expression des habitants qui est mise en avant. Ils possèdent une vraie connaissance de leur quartier. Cela m’apporte dans mon travail et on s’apporte mutuellement.
L’évolution de L’Ecrit de Bellevue vous la voyez comment ?
Nous fêterons l’anniversaire de L’Ecrit de Bellevue en septembre 2012. Nous préparerons cela avec le comité de rédaction mais aussi les associations et partenaires du quartier. L’avenir c’est de développer le comité de rédaction pour plus de contributeurs, de débats. Nous souhaitons embellir le journal en améliorant la qualité des photos, la mise en page. Nous proposons très souvent des articles un peu longs mais, j’aimerais que l’on revienne à des textes plus courts. Le travail de mise en page n’est pas toujours évident. Je m’occupe du chemin de fer et c’est un prestataire qui exécute. Souvent, le rendu donne un compromis entre ma vision, celles des bénévoles, et celle du graphiste. Par ailleurs, même si pour le moment il n’y a rien de concret, je pense à la mise en place d’un site internet comme ils en existent déjà pour les journaux de quartier de Nantes Nord ou les Dervallières.
Est-ce-que les quartiers changent ?
Il y a des hauts et des bas. Parfois tout va bien et puis, un événement survient et là, rien ne va plus. Mais il y a beaucoup d’efforts faits autant de la part des Collectivités que des enseignants, des associations et des habitants. Dans une ZEP, il y a des moyens supplémentaires. Les centres socioculturels sont ouverts le samedi, les associations sont dynamiques. A Bellevue il y a des choses à faire et à voir ! Souvent, des correspondants locaux nous sollicitent pour des portraits ; je donne les contacts des personnes qui participent à L’Ecrit de Bellevue. L’exposition « Nantais venus d’ailleurs » allait dans ce sens, il y avait des portraits et des photos exposés au Château des Ducs de Bretagne. Je trouve l’évolution positive, il y a une réelle prise en compte des difficultés et ça permet de tisser du lien. Bellevue est un quartier vaste, diffus qui a son identité, son histoire. Nous voulons inviter un maximum de monde dans des projets constructifs, sans abandonner personne. Il faut valoriser les quartiers, reconnaître les habitants, leur travail, car beaucoup souffrent d’un déficit de reconnaissance.
Êtes-vous optimiste pour la suite ?
Les gens aspirent à échanger, débattre et surtout être entendus pour construire leur avenir. Les habitants aiment vivre à Bellevue mais, ils espèrent des améliorations et ils veulent s’exprimer et participer à toutes ces formes de débats. Ces personnes n’ont pas envie de partir, elles veulent juste améliorer l’endroit où elles vivent, améliorer leur quartier et faire savoir qu’elles y sont bien. Ici, il y a du courage peut-être plus qu’ailleurs. J’apprends de tout cela, car même si nous avons des progrès à faire je suis sûr qu’on apporte un peu à tous ces citoyens.
Propos recueillis par Hélène Hamon
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