
FOCUS
Anne Nivat, un caméléon au coeur de la guerre
Soumis aux dures lois de l’immédiateté, les enquêtes, les reportages se font de plus en plus rares. Anne Nivat, 42 ans, grand reporter de guerre plaide pour que le journaliste prenne du temps pour réaliser son travail d’investigation. Irak, Afghanistan, Russie, Tchétchénie, la journaliste a choisi de vivre en immersion dans chacun de ces pays pour écrire sa vérité sur la guerre. Une idée qui semble à contre-courant de notre époque où tout va trop vite mais qui est indispensable à la survie du journalisme selon elle.
A l’heure où chaque jour les images de guerre envahissent nos écrans, il y aussi ces journalistes de l’ombre, qui travaillent silencieusement depuis des années dans ces zones sensibles. Ils ont privilégié le travail de fond et ils ne voient pas leur métier sans aller sur le terrain. C’est le cas d’Anne Nivat, qui, à contre-courant exerce la profession de reporter. A 42 ans, celle qui est aussi la femme du journaliste Jean-Jacques Bourdin voyage depuis quinze ans entre la Russie, la Tchétchénie, l’Irak et l’Afghanistan pour rapporter son propre regard sur ces nations en guerre. Pour elle il est indispensable que le journaliste prenne son temps pour analyser, comprendre, nuancer, surtout lorsqu’il s’agit de sujets délicats. Cet éloge de la lenteur inventé par le journaliste Carl Honoré est repris par la reporter « c’est une autre façon de faire du journalisme » selon elle. Invitée de l’observatoire des médias au CCO de Nantes le vendredi 02 Mars, Anne Nivat n’a eu de cesse de revendiquer le reportage « à l’ancienne ». Elle le rappelle elle-même : « Le terrain est irremplaçable, rapporter ce que l’on a vu est une valeur ajoutée, mais il faut le faire avec honnêteté ».
Immersion totale
C'est le rôle du journaliste de s'adapter, de montrer aux gens qu'ils n'ont pas à se méfier
Pourtant, pas facile de prendre du temps pour réaliser un grand reportage alors que tout va trop vite, à commencer par l’information. S’il faut du temps aux journalistes, il n’en demeure pas moins que l’argent est nécessaire pour réaliser ce type d’enquêtes très coûteuses. Alors souvent, le journaliste reste dans sa rédaction sans aller à la rencontre des réalités ambiguës du terrain. Les dépêches AFP s’en chargent. Pire, il y a ceux qui déforment la réalité, d’ailleurs la journaliste met en garde : « C’est difficile de faire ce métier si on n’a pas de principes. On peut raconter n’importe quoi car personne ne peut savoir ce qu’il s’y passe vraiment. Rien n’est vérifiable ». Anne Nivat, pense que ces enquêtes de fond doivent permettre de « mieux comprendre des situations, en rapportant des faits sans schématiser avec des précisions et des nuances ». C’est ainsi que la journaliste s’est spécialisée dans les conflits, les guerres. Afghanistan, Irak, Tchétchénie, Russie, autant de zones sensibles qu’Anne Nivat connaît bien parce qu’elle y a vécu. Durant des années, elle a décidé d’excercer son métier en se fondant dans la population locale : « Etre identifiée comme journaliste lors d’un conflit aujourd’hui peut desservir » confesse-t-elle. Libre et déterminée, elle sait aussi que son indépendance lui permet d’avoir carte blanche, de prendre le temps d’écrire et de donner la parole aux citoyens qu’elle rencontre : « Je n’aurais pas pu faire cela si j’avais été salarié d’un média » confie-t-elle. D’ailleurs, les conditions de vie de la journaliste sont souvent précaires puisqu’elle a fait le choix de vivre chez les gens qu’elle rencontre dans ces différents pays. Infiltrée, Anne Nivat avance pas à pas dans ces paysages dévastés par la guerre. Pour nouer une relation de confiance avec les habitants des pays où elle se rend, elle entreprend de se vêtir comme une femme locale pour se fondre dans le décor : « C’est le rôle du journaliste de s’adapter, de montrer aux gens qu’ils n’ont pas à se méfier ».
Du journalisme à taille humaine
Les médias n'arrivent pas à décrypter ce qui se passe vraiment dans ces zones sensibles
Vivre aux côtés de la population fragilisée, qu’elle qualifie de « majorité silencieuse », nécessite une attention de tous les instants. Il est donc indispensable d’avoir la curiosité de l’autre. Cette curiosité, cette attention envers ces territoires sensibles, les autres médias l’ont peut-être occultée : « Les médias n’arrivent pas à décrypter ce qui se passe vraiment dans ces zones sensibles » selon la reporter. Alors, c’est au travers de journalistes comme Anne Nivat que l’on comprend l’importance de ce genre de témoignages. Dans son dernier ouvrage « Les brouillards de la guerre », la journaliste s’est rendue en Afghanistan, où elle a souhaité raconter le conflit afghan. Le début de son périple commence au sein d’un régiment canadien où elle rend compte de la guerre du côté militaire. Puis, elle décide de continuer sa route, seule, à la rencontre de la population civile. Prudente, Anne Nivat est consciente des risques qu’elle peut prendre. C’est pourquoi être mobile, bouger sans cesse et ne pas se fixer dans un endroit permet de minimiser les risques. Pourtant lorsqu’un danger survient, les mines, les bombes ne font pas de quartiers, et peuvent tuer à chaque instant. Impossible de ne pas penser au conflit syrien, qui a fait plus de 8500 morts, dont des journalistes, comme Marie Colvin et Remi Ochlik. A travers ses reportages, Anne Nivat dépeint le quotidien de ces populations, ces victimes de la guerre, loin des jugements et des idées préconçues. D’ailleurs, si Anne Nivat loue autant le journalisme de terrain, c’est parce qu’il place l’humain au coeur de son métier : « J’aime la vie, la tessiture humaine. Rien n’est simple, je ne peux ni juger, ni conclure. Je relate simplement des trajectoires complexes et des histoires imparfaites ». Humble, Anne Nivat ravale ses états d’âmes de journaliste et donne la parole à ceux qui l’ont le moins. La journaliste invoque ce droit à la lenteur, et ces reportages à l’ancienne pour que ces populations parfois oubliées soient entendues. Et pour que certaines vérités soient rétablies.
Hélène Hamon
Crédit photo : Nomad Photography
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