
INTERVIEW
Alain Hisse : « Nous voulons défendre la chanson dans sa diversité  »
Pour que la chanson à texte ait encore de beaux jours devant elle, La Bouche d’Air se bat pour proposer des spectacles éclectiques depuis 1982. Originaire de Rouen, Alain Hisse est directeur du collectif La Bouche d’Air depuis cinq ans. Conscient que les réalités économiques fragilisent les investissements culturels, il espère que la culture n’est pas qu’un supplément d’âme.
Fragil : Alain Hisse, vous êtes le directeur de La Bouche d’Air qui propose des spectacles dans la Salle Paul Fort à Nantes.
Alain Hisse : L’association La Bouche d’Air a été créée en 1982 par une initiative bénévole, où mettre en avant la chanson à texte était le but premier. Elle est subventionnée par la ville de Nantes, le Conseil Régional des Pays de la Loire, le Conseil Général de Loire-Atlantique, la DRAC Pays de la Loire, et soutenue par le CNV et la Sacem. Au début de l’aventure, il y avait quatre co-fondateurs Gérard Poussin, Pierre-Yves Mabit, Alain Sabaud et Jean Brizais, qui a été directeur de l’association de 1989 à 2004. La Bouche d’Air a été le premier projet de musiques actuelles, avant Stereolux ou l’Olympic, elle est donc bien identifiée autour de la chanson. La Salle Paul Fort où nous programmons des spectacles peut accueillir 500 personnes.
Comment se structure votre équipe ?
A notre époque, les gens vont vers des artistes connus, et préfèrent la sécurité en choisissant un « gros concert » où ils pensent qu'ils ont peu de chance d'être déçus
Actuellement il y a cinq salariés et une trentaine de bénévoles. Ces salariés sont polyvalents. Ils sont chargés des tâches administratives comme des tâches de gestion ou d’actions culturelles. Par exemple, la personne chargée de communication peut aussi gérer la billetterie, et la personne chargée d’actions culturelles peut s’occuper des artistes. Les bénévoles sont à nos côtés pour accueillir le public, et lors de rendez-vous ponctuels, comme Les Rendez-vous de l’Erdre. Ils sont aussi intégrés aux commissions de réflexions sur différentes thématiques, comme « comment attirer des mécènes vers La Bouche d’Air ? »
Quelles sont les priorités artistiques que vous défendez à La Bouche d’Air ?
Gainsbourg disait que la chanson est un « art mineur ». La Bouche d’Air voit la chanson comme un art majeur. Nous voulons défendre la chanson dans sa diversité, on aime la chanson à texte telle qu’Alex Beaupain ou Florent Marchet la chantent. On est là également pour préserver la chanson jeune public. Accompagner les artistes dans leurs premières scènes, mais nous avons aussi quelques têtes d’affiches. A notre époque, les gens vont vers des artistes connus, et préfèrent la sécurité en choisissant un « gros concert » où ils pensent qu’ils ont peu de chance d’être déçus. Souvent, ils ne peuvent plus se permettre d’aller voir d’autres concerts dans l’année.
Quel public touchez-vous ?
Surtout un public de 30 ans et plus. On touche entre 15 000 et 18 000 spectateurs par an. Il y a entre 750 et 1000 abonnées environ. Cette année il y a exactement 1003 abonnements. Mais ces abonnés ne représentent que 30% des places vendues. Il y a donc des gens qui viennent ponctuellement. J’observe par exemple que le mardi soir, la salle est parfois pleine. Je pense qu’il y a un véritable appétit de sorties ici, suscité par les initiatives culturelles qui découlent des pouvoirs publics.
Comment définissez-vous votre programmation ?
Nous essayons d’être le plus éclectique possible, en gardant toujours un œil sur l’actualité. Nous avons lancé le « parcours chanson » par exemple qui vise un public plutôt jeune. Les jeunes se rendent compte que la chanson est importante, à travers des artistes comme Florent Marchet ou Robin Leduc. Mais il y a aussi des clichés. On ressent un côté péjoratif, vieux ou ringard dans le terme de « chanson ». Alors que si l’on regarde d’un peu plus près, on se rend compte qu’on est loin de ces clichés. Nous accueillons en majorité des chanteurs francophones, suisses, belges, québécois etc. Nous sommes complémentaires avec d’autres salles. La salle Paul Fort est une salle avec des places assises. Faire un concert d’électro est compliqué chez nous alors qu’une salle comme la Barakason située à Rezé est en mesure de le faire.
Nous essayons d'être le plus éclectique possible, en gardant toujours un œil sur l'actualité
Comment êtes-vous subventionnés ? Avez-vous des partenaires ?
Nous avons des partenaires publics et privés. On s’autofinance à 40% par l’intermédiaire de la billetterie et des adhésions. Nos partenaires prennent en charge 60%. L’ensemble des subventions des partenaires publics pour 2011 était de 297 430 euros.
A combien s’élève le prix d’un concert ?
Nous proposons des abonnements « prix du public » avec six concerts par an à 36 euros, ce qui revient à six euros par concert. Pour ce qui est du plein tarif, les coûts vont de 11,50 à 26 euros pour un spectacle. On a également une offre pour les jeunes avec des tarifs réduits à 7 euros.
Est-ce difficile économiquement ?
Il est certain que nous avons besoin de ces spectacles et des spectateurs pour exister. Il y a cinquante concerts par an, et heureusement qu’à chaque concert il n’y a pas que cinquante personnes. Nous savons pertinemment que les financements publics ne sont pas sur une pente ascendante. On gère au mieux en proposant des places avec des prix attractifs. Nous ne sommes pas pessimistes, mais plutôt réalistes, on prend les choses comme elles viennent. Mais c’est sûr que le contexte et certaines mesures fragilisent nos structures. Nos recettes vont être davantage plafonnées. Ainsi, la TVA sur billetterie passera de 2,10 à 7%. On va perdre 10 000 euros sur ces recettes. Le gouvernement ne facilite pas les choses. A Nantes, on remarque que les pouvoirs publics portent un vif intérêt par nos projets culturels, ce qui nous rend davantage optimistes.
Est-ce qu’à Nantes il y a plus de diversité culturelle qu’ailleurs ?
Nantes porte un aura culturel important dont on ne mesure pas tout le temps l’impact. Il y a beaucoup plus de diversité et de richesse qu’ailleurs grâce à de nombreuses initiatives, comme la valorisation des cafés-concerts. Je suis par exemple très admiratif du travail effectué par le TNT. Il me semble qu’il y a des structures visibles sur le plan national, mais que le travail fait par les acteurs locaux y est pour beaucoup. Ils sont essentiels à la survie de la culture.
Avez-vous des artistes en résidence ?
Nous accueillons cinq équipes artistiques par an en résidence. Trois d’entre elles sont des compagnies régionales, les deux autres ont une envergure plus nationale. On leur met à disposition la salle, et on peut apporter un financement. L’idée c’est d’accompagner ces artistes, en les diffusant, en parlant d’eux autour de nous.
Il me semble qu'il y a des structures visibles sur le plan national, mais que le travail fait par les acteurs locaux y est pour beaucoup
Vous proposez un parcours chanson aux élèves de collège de Loire-Atlantique. Comment se déroule ce programme ?
Ce parcours chanson était l’idée de mon prédécesseur. Les élèves de collège ont un programme éducatif à remplir, nous avons un projet artistique à mener dans le même temps. La question était de savoir comment pouvions-nous nous retrouver sur un projet commun ? On propose six rendez-vous répartis dans l’année à des classes de collège. Dans un premier temps, nous nous rendons dans les classes pour présenter la chanson et son histoire, et nous engageons un processus de réflexion auprès des élèves. Dans un second temps, on les invite à découvrir la salle, « les secrets de fabrication ». On évoque aussi les risques qu’il peut y avoir en écoutant de la musique trop fort. Nous avons la volonté de les prévenir. Nous organisons des pratiques artistiques. Il y a par exemple, l’artiste Christophe Bellœil qui va travailler avec les élèves sur l’écriture de textes. On leur propose de rencontrer des artistes dans leur classe, avec des questions-réponses.
Comment définissez-vous la culture ?
La culture ne se limite pas seulement pas aux arts. Pour moi la culture, c’est aussi une façon de manger, c’est tout ce qui lie les communautés à un territoire donné. C’est le socle de l’Humanité, on est tous dans une culture, ce qui montre qu’il y a une dimension anthropologique. Il y a des enjeux de pouvoirs, des enjeux économiques. A mes yeux, la culture n’est pas un supplément d’âme qui arrive après tout le reste. Pourtant, dans le contexte actuel c’est vrai que j’ai bien conscience que le besoin de culture n’est pas prioritaire.
A l’horizon 2030, à votre avis, quelle sera la place de La Bouche d’Air ?
Je ne sais pas. Est-ce que la musique vivra juste en téléchargement ou alors les gens auront toujours ce même goût pour sortir ? On assiste aujourd’hui à une culture de la chambre, où l’on a tout à portée de main chez soi, donc je me demande ce que l’on deviendra. J’espère que le spectacle vivant restera fondamental et que La Bouche d’Air aura toujours sa place. Si ça devient uniquement un financement privé on imagine qu’il n’y aura plus que la rentabilité qui compte, et à ce moment, ça n’aura plus de raison d’être. Mais je suis optimiste, car les gens partagent beaucoup aujourd’hui, via le net, les blogs. La question c’est de savoir comment on va pouvoir faire exister les formes culturelles, comment les pouvoirs publics vont faire pour soutenir les actions culturelles, et surtout faire attention à ne pas se concentrer uniquement sur les projets emblématiques et mettre de côté les autres. Nous devons continuer à avoir une identité et et la revendiquer pour continuer à exister.
Propos recueillis par Hélène Hamon
Crédits photos : La Bouche d’Air
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