
INTERVIEW
Jean-Frédéric Boeswillwald : « changer l’image du quartier  »
Depuis plus de deux ans, Jean-Frédéric Boeswillwald dit « Boes  » est le coordinateur du journal « Couleur Locale  » à Nantes. Pour que les Dervallières soient plus qu’une banlieue remplie de clichés, Boes met son journal au service des citoyens.
Fragil : Couleur Locale a vingt ans...
Jean-Frédéric Boeswilwald : vingt ans de Couleur Locale. En fêtant cet anniversaire, on a essayé de retrouver tous ceux qui ont participé au journal. Il y a 120, 130 personnes qui se sont mobilisées depuis sa création. Ça n’est pas rien, et c’est après que l’on s’en rend compte. Ça a mobilisé du monde.
Comment sont nés les journaux de quartiers ?
Dès les débuts des quartiers d’habitat social, il y avait des habitants qui écrivaient sur leur banlieue. Les Dervallières ont été habitées dès les années 1950 et il y avait un petit journal sous forme d’un collectif ou d’une association grâce aux habitants. En général ces journaux étaient éphémères parce que c’est de l’investissement humain et des moyens financiers. Avec l’arrivée de la gauche en 1989 à la municipalité de Nantes, il y a eu une réflexion locale mais aussi nationale sur ces banlieues et sur les HLM (Habitation à Loyer Modéré). La ville de Nantes a mis en place des équipes de quartiers, appelées avant DSQ (Développement Social des Quartiers) ou DSU (Développement Social Urbain). C’est dans ce cadre que la Ville a donné la chance aux gens de pouvoir s’exprimer. Monter des projets, des associations, des idées pour les Dervallières étaient possibles. L’idée d’un journal a été retenu.
Quels sont les objectifs du journal des Dervallières ?
Changer l’image du quartier. On parle du positif pour lutter contre cette apparence négative dont souffrent les banlieues. A l’époque, il n’y avait qu’un son de cloche : la presse abîmait la façade des quartiers populaires. Ils étaient associés aux problèmes. La création de Couleur Locale en 1991 c’est lutter contre cela en étant constructif. Nous avons travaillé à l’évolution positive de l’apparence des Dervallières à notre échelle. C’est aussi un intérêt pour la ville (NDLR : dans le cadre de la politique de la Ville).
Qui lit le journal ?
A priori, à peu près tous les gens qui vivent aux Dervallières. On a déjà réalisé trois enquêtes de lectorat depuis vingt ans. Je constate que c’est un des médias les plus connus sur le quartier car il est accessible et gratuit. La question économique est donc importante. Les habitants s’intéressent davantage à la presse locale que nationale. A part les enquêtes de lectorat, on ne peut pas savoir qui nous lit, et qui ne nous lit pas. Nous pouvons avoir des retours grâce aux lecteurs qui nous font part de leurs remarques. Courriers flatteurs ou critiques, les deux nous parviennent. Malgré le fait qu’il soit écrit par des habitants, certains trouvent le journal trop lisse car il est municipal (NDLR : c’est l’équipe de quartier de la Ville de Nantes qui pilote Couleur Locale). Nous ressentons une contrainte en ce moment, avec l’arrivée dans cinq mois des élections présidentielles : les contenus du journal sont relus par notre service pour des raisons strictement juridiques liées aux lois et règlements sur les élections.
Comment fonctionne Couleur Locale ?
Les habitants qui écrivent dans le journal sont bénévoles. Aujourd’hui, on a un noyau dur de quinze personnes qui ont entre 35 et 60 ans avec quelques individus qui viennent se greffer. Pour la plupart ça ne fait pas longtemps qu’ils sont à Couleur Locale. Je suis le coordinateur du journal depuis un peu plus de deux ans. On le distribue dans les boîtes aux lettres sur l’ensemble des Dervallières et une partie de la Contrie.
La hiérarchie de l'information ne nous est pas favorable
Pourquoi est-ce si difficile de mobiliser ?
Beaucoup de facteurs expliquent cela. Surtout si l’on prend l’exemple des Dervallières. Dans les années 1960 les associations du quartier étaient très fortes, elles fédéraient des centaines d’adhérents comme la CSF (Confédération Syndicale des Familles) ou l’Amicale Laïque. Ces collectifs se sont effrités au fil du temps. Le contexte socio-économique joue. Lorsque les gens sont dans le besoin, qu’ils n’ont pas de sous et qu’ils cherchent un emploi, ils pensent à autre chose plutôt qu’à se mobiliser pour des projets associatifs. Au sein du journal il y aussi une peur d’écrire, de s’exprimer devant les autres. C’est une difficulté pour les gens qui n’ont pas fait trop d’études, ça peut paraître compliqué de franchir le pas. Il y a un phénomène de repli sur soi. Depuis les années Tapie, on vante l’individualisme contre le collectif. Le chacun pour sa gueule (sic) prime.
Comment imaginez-vous l’évolution de votre média ?
L’évolution la plus souhaitable c’est que l’on se retrouve dans quelques années avec quarante bénévoles qui participent au journal. Amener toujours plus de citoyens à Couleur Locale est essentiel pour gagner en richesse mais mobiliser les habitants n’est pas toujours évident au sein des quartiers. C’est aussi le rôle de la Politique de la Ville (NDLR : au national, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances), de mobiliser les énergies pour faire en sorte que ça émulsionne (sic). Sur la forme, on retravaille la maquette du journal tous les dix ans. On a ouvert un site Internet sur la base d’un média en ligne. C’est une piste, une évolution pour amener vers quelque chose de plus multimédia.
Est-ce que le média participatif est représentatif de ce qui se passe dans les banlieues ?
On n’est pas dans l’esprit d’avoir un représentation, l’idée est sur la base du volontariat. La question s’est posée au début par rapport à la représentation politique. A l’époque, le Front National réclamait son espace au sein du journal de quartier. Très vite, des limites ont été posées. Il ne fallait surtout pas d’expression politique. Dans la construction du journal, on essaye de s’adresser à toutes les populations du quartier. Il n’est pas question de sélectionner les rédacteurs. Tous les citoyens sont les bienvenus.
C'est difficile de dire que les gens des quartiers ont une pensée uniforme sur les médias ou sur autre chose d'ailleurs
Comment intégrez-vous l’arrivée des médias participatifs sur le territoire ?
Pour moi, ça n’est pas contradictoire. On n’est pas sur les mêmes champs non plus. Un journal de quartier c’est différent d’un média culturel. Je ne vois pas de concurrence et plus il y a de médias participatifs, plus ça crée de l’émulation, de la participation.
Actuellement, quelle image les habitants des quartiers ont des médias ?
C’est difficile de dire que les gens des quartiers ont une pensée uniforme sur les médias ou sur autre chose d’ailleurs. Par exemple, au sein des Dervallières nous avons un correspondant de Ouest France, très impliqué, ce qui n’est pas le cas partout. Il a plutôt une très bonne image auprès des personnes et des associations du quartier. En même temps, suite à des articles de journalistes parus à propos des incivilités aux Dervallières, ce correspondant a été menacé par des jeunes.
Est ce que les médias jouent un rôle dans l’image que l’on se fait des quartiers ?
Oui, évidemment. Négatif ? A part certaines exceptions on parle des banlieues lorsque il y a des choses graves, des incivilités, des caillassages de bus. La hiérarchie de l’information ne nous est pas favorable. Tout ce qui est positif sur les quartiers c’est relayé loin dans le journal, alors que les faits divers ressortent, comme la mort de Toko Botowamungu en 2008. Cela a fait la Une plusieurs fois. En terme d’image, ça pèse évidemment plus à la Une qu’à la fin du journal. Mais il n’y a pas que la presse qui est à l’origine de cette image des quartiers même si elle y contribue. Il y a aussi le fait social. Les quartiers d’habitat social c’est l’endroit où se concentre le plus de misère. Et là où il y a de la misère il y a de la délinquance.
A l’avenir, le journal peut-il chercher d’autres moyens que le texte pour attirer des citoyens bénévoles ?
Ce que je dis aux gens : participer au journal, ça n’est pas qu’écrire. Pour moi ça commence juste par une participation à un comité de rédaction, être là, donner son avis. C’est déjà un début. Mais on peut aussi participer par le biais de la photo, du dessin, et même proposer des jeux. Il y a plein de voies possibles. Je rassure les gens comme cela et petit à petit ces gens là écrivent une brève. C’est un cheminement. C’est aussi ça l’intérêt de Couleur Locale.
Propos recueillis par Hélène Hamon
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