
Débat Quartier
Guillaume Bruslé : « Un autre monde que le leur  »
Malakocktail est le journal de quartier de Malakoff porté par l’équipe de bénévoles et Guillaume Bruslé. Coordinateur depuis sept ans, il s’attache à représenter le quartier sans clichés, avec les 12 membres du comité de rédaction. L’information est publiée dans un trimestriel papier très attendu par les habitants qui font confiance à ce support d’information.
Fragil : Vous êtes le coordinateur du journal Malakocktail, le journal de quartier de Malakoff. Quel est votre rôle ?
Je suis coordinateur de Malakocktail depuis sept ans. Mon travail, c’est d’être rédacteur en chef, mais sans l’aspect « chef ». Malakocktail est un média collaboratif. Mon rôle est d’accompagner les bénévoles dans la production et le suivi de contenus. Nous sommes une équipe qui travaille ensemble. L’essentiel c’est l’action citoyenne, la participation à la vie locale par le biais de l’écriture.
Quel est le rôle du journal ?
Notre journal est un lieu de réflexion sur la vie du quartier, sur les enjeux territoriaux, politiques, sur notre manière de vivre. Le journal c’est le relais de l’actualité locale et il doit faire la lumière sur les initiatives et projets locaux. Bien sûr il y a une part de journalisme participatif mais l’enjeu n’est pas centré uniquement là-dessus. Nous ne voulons pas brandir l’étendard du journaliste. Même si la parution n’est que trimestrielle, il est en lien direct avec l’actualité associative, surtout qu’à Malakoff il y a beaucoup d’associations. Nous ne souhaitons pas être apparentés à un outil de communication de l’institution, bien que nous devons être le relais d’informations d’ordre institutionnel. Par exemple lorsqu’il y a des travaux ou des chantiers en cours, nous devons l’évoquer. Il est vrai que nous devons faire du tri car il y a une richesse d’informations à Malakoff.
Quels sont les objectifs du journal ?
Lorsque l'on fait un article il ne s'agit pas de pointer du doigt quelqu'un
L’important est de relayer l’actualité du quartier. Malakocktail est présent pour faire circuler la parole, et aussi pour former l’esprit critique des habitants. Faire partager les connaissances, échanger, engager des réflexions collectives. Nous ne sommes pas un atelier d’écriture, même si nous sommes amenés à écrire.
Comment fonctionne le journal ?
En ce qui concerne l’équipe nous avons deux cercles de collaborateurs. Le premier cercle comprend toutes les personnes régulièrement impliquées, c’est-à-dire le comité de rédaction. Il y a douze personnes. Les adhérents à Malakocktail sont très actifs et impliqués dans le quartier. Le deuxième cercle comprend les collaborateurs ponctuels. L’équipe est composée des habitants du quartier de Malakoff qui ont entre 40 et 80 ans, à part deux personnes qui ont moins de trente ans. Les retraités sont plutôt en majorité, et ce sont des femmes avec des parcours parfois très différents. Il y a très peu de personnes d’origines étrangères. Deux personnes sont présentes depuis la création du journal. Pour ce qui est du journal en lui-même, Malakocktail édite moins que les autres puisque 3200 exemplaires sont distribués. Il y a entre 16 et 24 pages. Le format trimestriel nous convient car il nous permet d’avoir un recul sur les évènements. Le coût total d’un journal est d’environ 5000 euros.
Comment se déroule un comité de rédaction ?
On va dire que les réunions de rédaction s’apparentent à un « joyeux bazar ». Le comité de rédaction est animé car les échanges sont libres. On se réunit à la maison de quartier de Malakoff trois à quatre fois par numéro. La réunion débute à 18 heures et termine vers 20 heures. On se donne rapidement des nouvelles avec les bénévoles. Nous évoquons aussi ce qui se passe dans le quartier. J’ai souvent des sujets à proposer aux contributeurs, puis nous prenons un temps pour faire un tri dans les sujets à traiter. Nous nous répartissons ensuite les tâches. Personne ne s’enferme dans une rubrique.
Pouvez-vous savoir qui lit Malakocktail ?
Nous n’avons pas d’idée très précise sur nos lecteurs. On a réalisé des études de lectorat par le passé. Cette enquête avait révélé que le journal de quartier est le premier média lu. Au sein du quartier, certaines personnes ne lisent presque pas, et notre journal arrive directement dans leur boîte aux lettres. Forcément, je pense que les habitants aiment cela, surtout que c’est de leur quartier dont on parle. Nous avons des retours ponctuels qui sont, dans l’ensemble, positifs. Nous aimerions avoir plus de critiques car nous sommes très friands de cela. C’est aussi de cette manière que l’on peut se remettre en question. J’ai une certitude, c’est que nous sommes lus par les institutions.
Le journal dispose-t-il d’une ligne éditoriale ?
Notre ligne éditoriale n’est pas clairement formulée. En fait, nous avons déjà commencé à travailler conjointement, nous, les cinq journaux de quartier sur une charte éditoriale. Il faut redéfinir des points, comme les limites à ne pas dépasser, est-ce que le journal s’ouvre exclusivement aux habitants du quartiers ou aussi aux autres ? Revoir notre rôle de relais de la parole citoyenne. Tous les journaux de quartiers fêtent leur vingt ans cette année. Pour Malakocktail ce sera en juin 2012. C’est l’occasion de travailler ensemble, avec les autres journaux pour se tracer une ligne de conduite.
Avez-vous déjà connu des situations de conflits ?
Je pense que les gens se sentent loin des médias. Les journalistes donnent l'impression qu'ils appartiennent à un monde différent
Nous sommes dans un contexte social où les problèmes personnels interviennent et peuvent s’interposer dans le journal. Mais j’avoue qu’il y a peu de situations difficiles. Les personnes qui sont autour de la table sont ouvertes au dialogue. Par contre nous rencontrons des gens vexés suite à un papier par exemple. Nous avons déjà oublié des associations dans un article. Récemment, un commerçant du Pré Gauchet s’est plaint. Nous avons réalisé un dossier sur les différents commerçants du quartier du Pré Gauchet, non loin de Malakoff. L’un d’entre eux s’est trouvé moins bien traité que les autres. Dans ce genre de situation, j’essaye de protéger le rédacteur, être le médiateur. Il arrive que nous nous heurtons à la sensibilité de certaines institutions, des individus se sentent personnellement visés. Pourtant, lorsque l’on fait un article il ne s’agit pas de pointer du doigt quelqu’un.
Quelle image les habitants des quartiers ont des médias ?
J’ai l’impression qu’il y a ou plutôt qu’il y avait une défiance assez partagée des habitants à l’égard des médias. Mais je suis convaincu qu’ils ne sont pas si nombreux. Il y a eu des expériences malheureuses à Malakoff. Par exemple, lors des dernières présidentielles, un jeune journaliste de Ouest-France avait pris l’initiative de venir discuter avec des gens du quartier à propos de leurs orientations politiques. Cette discussion était informelle. Mais suite à cela, un article est paru, les gens se sont sentis piégés, et finalement personne ne s’est reconnu dans ce papier. Malakocktail avait donc publié un article suite à cet incident. Je pense que les gens se sentent loin des médias. Les journalistes donnent l’impression qu’ils appartiennent à un monde différent. Mais Malakocktail n’est pas associé à cela.
Est-ce que les médias jouent un rôle dans l’image que l’on se fait des quartiers ?
Les médias ont une responsabilité dans l’image que l’on a des quartiers populaires. Il n’y a aucun doute sur l’influence des médias, la question c’est plutôt dans quelle mesure. Je pense que le monde médiatique est peu maître de cette influence, mais son rôle a contribué à l’image négative des quartiers populaires. Par exemple, certaines personnes ne veulent pas mettre les pieds à Malakoff, par crainte, parce qu’ils ont lu des articles négatifs. Je pense que cela tend à changer. Il y a une différence entre la représentation et le réel et les gens savent la faire. Je crois que la double page sur des incivilités a plus d’impact que la double page sur l’association qui s’implique.
Qu’est-ce qui fait la spécificité de votre journal ?
Nous attachons une grande importance aux photos, aux visages qui apparaissent dans le journal. On sait que les adultes, les enfants aiment retrouver des gens qu’ils connaissant dans le journal du quartier. Il faut aussi savoir que tout le monde ne parle pas le français, et que les gens s’attardent davantage sur les images. L’image est une accroche très forte.
Êtes-vous devenus des spécialistes du quartier ?
Il est important de parler ouvertement de ce quartier que l'on connaît bien
Nous ne sommes pas des spécialistes mais on essaye aussi de se pencher sur la vie du quartier, la violence, les questions de générations, les questions sociétales. Nous sommes très ouverts à d’autres types de contributions au journal qui n’ont rien de commun avec le format habituel, comme des fictions, des récits, des témoignages. Parfois, certains articles ne sont pas en lien avec le quartier mais nous pensons qu’ils méritent d’être publiés. Il est important de parler ouvertement de ce quartier que l’on connaît bien. Après l’incendie du centre socioculturel en août 2010 et du centre commercial en 2011, on s’est dit que nous avions un rôle à jouer. Depuis, nous signons collectivement un article qui paraît à chaque numéro. Lors de cet article nous posons des questions aux lecteurs, nous tentons de répondre à certaines questions avec nos mots. Il fallait partager ouvertement, surtout qu’il y avait une fâcheuse tendance à en parler, mais « sous le manteau ».
Est-ce que Malakoff est un quartier différent ?
Malakoff est un quartier qui a connu a des changements physiques importants. Le quartier a aussi un positionnement géographique particulier, puisque il se situe en centre-ville, et c’est un enjeu politique important. Le cadre est atypique, il y a la gare, la Loire. C’est très enfermé, assez petit. Il y a environ 3200 personnes à Malakoff, je pense que c’est ici que « l’effet village » est plus important.
A l’avenir, songez-vous à d’autres formats ?
Le journal est chevillé au quartier. J’aimerais consacrer du temps pour travailler sur d’autres formats que le journal papier, ou d’autres périodicités. Je manque de temps et ça me frustre, mais je réfléchis sur des formes alternatives. Le web m’intéresse notamment, et l’idée est de s’en servir pour qu’il ne soit pas qu’un calque du papier. On voudrait réfléchir à la création d’un outil sur les réseaux sociaux. Pour l’avenir, je ne me positionne pas trop, l’important c’est de donner toujours du sens.
Propos recueillis par Hélène Hamon
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