
Débat culture
Le spectacle, ça se partage !
Rencontre avec Jean-Paul Davois, directeur d’Angers-Nantes Opéra
Musique, théâtre, poésie, arts visuels et danse. Plus qu’un simple divertissement, l’opéra est un genre musical dont la diversité a assuré sa survie depuis près de quatre siècles : de l’Eurydice de Peri et Caccini (représentée en 1602, cinq ans avant l’Orfeo de Monteverdi) au Lorenzaccio de Bussoti (1972), pour ne citer que lui. Mais ce mélange audacieux peut-il survivre face à l’engouement pour les musiques actuelles, face à la création de nouveaux espaces comme la Fabrique ? À l’horizon 2030, on peut se demander s’il nous sera donné à voir une mutation de cette forme culturelle ancestrale ou sa disparition. Jean-Paul Davois, directeur d’Angers-Nantes Opéra, confie ses inquiétudes tout en gardant bon espoir pour l’avenir...
Fragil : Qu’est-ce que la culture pour vous et quel est son rôle ?
Jean-Paul Davois : C’est une question complexe. La culture c’est tout ce qui va nous permettre de comprendre notre histoire. Je pense résolument que de tous temps ce sont les artistes qui ont fait évoluer la civilisation vers ce qui devrait être notre idéal à tous : la paix sur la terre. Je parle de la paix au sens le plus noble, qu’on soit capable de vivre ensemble sans qu’il y ait besoin de lois et de contraintes, que chacun soit capable de considérer la position du voisin comme possiblement intéressante et pouvant faire évoluer la sienne. C’est ça, pour moi, l’objectif de la culture.
Mais il reste du chemin à faire avant qu’on y arrive. Cette rivalité entre ce qu’on dit « moderne » (les musiques actuelles) et ce qui s’est fait dans le passé (et qu’on représente beaucoup ici), est, à ce titre, attristante, parce qu’on oublie l’apport de ce qu’il y a eu avant. Pour faire évoluer la civilisation, il faut qu’à un moment le fils dépasse le père, mais il ne faut pas qu’un moment le fils se dise : ce qu’est mon père n’a pas d’intérêt, je veux être autre chose que je vais inventer de toute pièce. Ça n’est pas possible ou alors on fait n’importe quoi, y compris ce qui a déjà existé dont on ne s’est pas suffisamment renseigné. C’est à ça que ça sert la culture, apprendre à progresser et vivre ensemble.
Selon vous, y-a-t-il à Nantes des vecteurs culturels immanquables ?
À partir du moment où un spectacle est intelligent, honnête et sincère, il peut absolument toucher tout le monde !
Toutes les initiatives sont intéressantes : chacune a son importance à un moment ou à un autre. On entend souvent dire que Nantes est la ville de la culture, je trouve ça un peu abusif. Il y a d’autres villes qui font des choses formidables ! À Nantes, on s’appuie surtout sur l’évènementiel, comme de beaux et grands évènements qui sont, par exemple, Les Allumées et Royal de Luxe, mais on en oublie de transmettre le goût et l’envie de participer, ce qui est notre seul devoir, en tous cas vis-à-vis de la jeune génération. C’est un travail difficile, souterrain et peu spectaculaire qui n’est peut-être pas suffisamment pris en compte...
Les œuvres que vous diffusez sont souvent déconsidérées par les non-initiés, que faites-vous pour y remédier ? Et même, doit-on y remédier ?
Oui, il faut y remédier sans tomber pour autant dans le socioculturel (même si cette démarche est assez complémentaire). À partir du moment où les gens ne viennent pas simplement parce qu’ils ont une image qui n’est pas juste, c’est désolant.
L’opéra a cette qualité, par rapport à toutes les autres disciplines artistiques du spectacle, d’être finalement la plus facile d’accès. On le voit bien quand on arrive à faire venir des gens qui ont cette idée-là. Dans presque 100% des cas, ils disent en sortant : « c’est formidable, si j’avais su que c’était comme ça plus tôt ! ». Donc oui, il faut changer cette image, sans nier le fait que l’accès à la culture demande une démarche intellectuelle. Il faut donc aussi lutter contre la paresse intellectuelle. À partir du moment où un spectacle est intelligent, honnête et sincère, il peut absolument toucher tout le monde !
Quelle est la part de mixité du public ? L’Opéra n’est-il fréquenté que par des riches de centre-ville de plus de 50 ans ?
Ce qu’il nous manque à Nantes, c’est justement un lieu dans lequel tout le monde puisse converger et se retrouver pour faire des activités culturelles multiples.
Aujourd’hui, c’est non pas la bourgeoisie du centre-ville qui fréquente l’Opéra mais plutôt la classe moyenne. On est loin de l’idéal qui serait, pour moi, que dans nos salles on retrouve toute la population de Nantes dans ses composantes économiques, sociales, raciales, etc. Il y a du chemin à faire avant d’arriver à ce que les gens de Malakoff se sentent à l’aise pour venir au centre-ville (et ça n’est pas seulement le cas pour l’Opéra).
On parle beaucoup de la gratuité (notamment sous la pression des musiques actuelles), c’est pour moi une idée insupportable, parce qu’on creuse encore plus l’injustice et l’inégalité. On ne peut pas imaginer un spectacle auquel toute la ville de Nantes pourrait aller ! L’idéal serait que les gens payent en fonction de leur coefficient fiscal. En attendant, on est une des maisons françaises qui a les tarifs les plus bas : la place que nous vendons aujourd’hui 55 euros est, par exemple, à 95 euros à Avignon.
Comment voyez- vous la culture à Nantes en 2030 ?
Mon souhait pour 2030, c’est que les gens fréquentent de plus en plus l’Opéra, à condition qu’on nous en donne les moyens financièrement ou en terme d’espace. Si en 2030 il n’y a pas de salle de 1500 places [1], c’est que quelque chose ce sera mal passé. On peut espérer et travailler pour qu’il y ait de moins en moins de cloisonnements, tant au niveau de l’âge de fréquentation de l’Opéra que de la Fabrique.
À l’heure où l’on parle beaucoup de culture de proximité, ce qu’il nous manque à Nantes, c’est justement un lieu dans lequel tout le monde puisse converger et se retrouver pour faire des activités culturelles multiples. Parce que le spectacle, ça se partage ! L’idéal serait de faire construire sur l’Ile de Nantes, un grand théâtre, à la fois lié à l’Europe et tourné vers l’Atlantique où seraient réunis le Grand T, l’ONPL, le CCNN et l’Opéra !
L’avenir de l’opéra se trouve-t-il dans la projection en direct dans les salles de cinéma (comme c’est le cas avec les productions du Metropolitan Opera dans les salles Cinéville) ?
Malheureusement oui. C’est dérangeant parce que ce n’est, quelque part, plus du spectacle vivant. Les diffusions du Met sont peut-être en direct, mais avec toutes précautions prises, comme remplacer la soprane une heure avant si l’on sait que celle qui devait chanter ne sera pas à la hauteur. Le risque (contre lequel il va falloir se battre), c’est que ça remplace définitivement la production en direct, et qu’il n’y ait plus que quelques maisons-musées (avec la même importance qu’on attache au musée du Louvre) où l’on monterait les cinquante œuvres les plus importantes.
Les tarifs pratiqués par les propriétaires de ces réseaux de cinémas (de l’ordre de 25€ la place) se rapprochent du prix que les gens payent ici pour voir un spectacle en direct. C’est une manne économique formidable ! Et en même temps, c’est l’époque qui est comme ça et il ne faut pas négliger que ça peut avoir une vertu pédagogique. Par exemple, je vais au cinéma voir La Traviata [2], je découvre l’opéra et je vais prendre un abonnement au théâtre Graslin. Mais je pense que c’est plutôt l’inverse.
Ce que j’aimerais pour l’avenir, c’est plutôt que l’on filme les spectacles ici et qu’on les diffuse dans les cinémas de la région, pour que les gens qui n’ont pas pu voir ce spectacle monté près de chez eux puissent le voir.
Propos recueillis par Julianne Coignard
Crédits photo : Aurélie Crouan
[1] 780 à l’heure actuelle, ndlr.
[2] La Traviata est un opéra en trois actes de Giuseppe Verdi.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses