
DEBAT CULTURE
Fauteuils branchés : l’idée d’une véritable création partagée
Dominique Huchet est professeur de guitare. La musique, bien sà »r, elle lui permet de gagner sa vie, mais pas seulement. Pour lui, c’est aussi une manière de partager. A travers sa dernière création intitulée Fauteuils Branchés, le public s’empare de l’œuvre du créateur pour devenir acteur et pas seulement spectateur. Un objet sonore unique en son genre traduisant l’idée qu’aujourd’hui, l’artiste n’est pas forcément le seul maître de sa production. Rencontre sur chaises musicales.
Dominique Huchet pratique la musique depuis quarante ans. La composition musicale, il la réalise en réseau, à travers l’échange et le partage de fichiers entre internautes via le Peer to Peer. Il conçoit sa musique avec un logiciel libre intitulé Jeskola Buzz : "Plus j’ai avancé musicalement, plus les programmateurs se sont intéressés à mon travail. Je peux leur demander de me créer des machines virtuelles spécialement pour ma musique. Ils en ont déjà conçu six de manière totalement gratuite. Ensuite, mes montages sont utilisés par d’autres musiciens car je leur propose de les utiliser." Une création musicale et informatique qui se fonde sur la mutualisation et le partage des compétences. De formation musicale classique, le développement de l’informatique lui a permis de faire de la musique électronique à moindre coût : "L’achat des synthétiseurs revient cher". Son travail de création musicale s’articule autour de l’idée de chaos et d’aléatoire.
Des fauteuils pour le public
Le jeu vidéo m’a inspiré. Je souhaite créer des univers musicaux que l’on puisse explorer à son gré.
Dominique Huchet travail sur la musique électronique générative qui utilise des algorithmes mathématiques pour produire automatiquement des mélodies. Mais cette forme musicale (inspirée par la grammaire générative de l’américain Noam Chomsky) qui s’auto-génère reste cependant peu démonstrative. Partant de ce constat, Dominique a imaginé l’intervention d’un utilisateur dans le processus de restitution musicale, à travers l’interaction entre le public et la musique. Premier essai : un micro mis à disposition du public. Chacun parle, puis les sons sont enregistrés et superposés de manière aléatoire, créant une mélodie. Autre expérience : une souris informatique laissée à la merci des spectateurs, leur permettant d’interagir et de manipuler les sons au gré de leurs envies.
Aujourd’hui, le travail de Dominique a atteint sa maturité et s’intitule Fauteuils Branchés. Ces trois chaises musicales montées sur ressort sont comparables à des joysticks. Elles sont reliées à une interface informatique permettant aux personnes assises de déclencher, suivant l’inclinaison qu’elles donnent au fauteuil (avant, arrière, gauche, droite), quatre boucles sonores différentes, avec une intensité variable : "Le jeu vidéo m’a inspiré. Je souhaite créer des univers musicaux que l’on puisse explorer à son gré." Les trois fauteuils utilisés simultanément permettent la création de véritables mélodies : ici le public est plus qu’un simple spectateur car il s’empare de la musique créée par le compositeur, pour devenir a son tour « musicien ». Le fauteuil représente un objet simple détourné de sa fonction : une idée qui rejoint l’informatique à travers l’esprit hacker qui consiste à détourner des systèmes pour en faire autre chose. Dominique Huchet a choisi de fabriquer un moyen de production musicale destiné au public, cassant les codes établis par la création artistique, qui vise à fabriquer une œuvre contrôlée et interprétée seulement par son initiateur : "Le temps où le créateur imposait tout est révolu. Il faut arrêter de prendre les gens comme des spectateurs dociles. Ils doivent être acteurs. L’intérêt est de développer au maximum la richesse de l’interactivité dans le but de satisfaire au maximum l’utilisateur. Aujourd’hui, l’interaction entre le public et l’œuvre dans des domaines comme la vidéo ou les arts plastiques est grandissante : la société organisée sur un modèle pyramidale montre son échec, à l’image du livre Le Crépuscule des idoles de Friedrich Nietzsche".
Cette idée de création musicale collective existe au sein même du processus de création des fauteuils : "Le projet des fauteuils a débuté en janvier 2011. Il est né d’une réflexion entre moi-même et Bruno Lefebvre, anthropologue à la faculté de Nantes, sur le sujet du corps en tant que vecteur de sons. Puis, des ouvriers-techniciens des Machines de l’Ile ont travaillé sur l’assemblage, et notamment la soudure. Au départ, je faisais essayer les fauteuils aux gens qui passaient chez moi et je les avais aussi installés à l’école de musique où j’enseigne la guitare. C’est le travail avec l’utilisateur qui fait avancer le projet. Enfin, l’association Ghetto Art m’a proposé de présenter les fauteuils sur le Maillé-Brézé (ancien bateau de guerre transformé en musée naval), lors du festival Spot organisé à Nantes en septembre dernier."
« Le temps où le créateur imposait tout est révolu. Il faut arrêter de prendre les gens comme des spectateurs dociles. Ils doivent être acteurs.
Tous des musiciens
Avec ses fauteuils musicaux, Dominique Huchet rend la création musicale accessible au plus grand nombre et participe à une démocratisation de la musique rendue possible grâce à l’outil l’informatique. On peut comparer ce concept à l’avènement de la techno, créée par des autodidactes, et échappant aux milieux institutionnels de la musique.
Pour lui, "il n’y a pas vraiment d’outils de créations musicales développés autour du grand public". Il souhaite combler ce vide avec ses fauteuils : " Ce sont des instruments non-conventionnels, mais avec lesquels on peut réaliser de la musique conventionnelle : du jazz, de l’électro, ...". En tant que professeur de musique, il sait que les enfants mettent du temps avant de s’astreindre à une discipline musicale : "Le conservatoire, c’est dur et classique, alors que mon système est simple et novateur". Ces fauteuils permettent de créer des sons de manière instantanée sans posséder de compétences musicales : une approche ludique de la musique à travers des déplacements du corps qui crée des sons et des émotions que l’on partage à plusieurs. L’auditeur prend ici la place du compositeur : "Je suis un musicien, c’est un moyen de faire jouer ma musique en faisant quelque chose qui se tourne beaucoup plus vers l’utilisateur. Des femmes vraiment très éloignées du domaine musical ont essayé les fauteuils et elles ont été fasciné par le fait de s’asseoir et de faire de la musique."
Un avenir radieux
Maintenant, la priorité pour Dominique, c’est de perfectionner son invention : la rendre plus stable pour multiplier les possibilités de mouvement, améliorer la sensibilité du système de déclenchement des sons. La fabrication des fauteuils par des entreprises est quelque chose qu’il aimerait concrétiser.
Dominique travail sur un projet de spectacle autour des Fauteuils Branchés en partenariat avec l’association Ostinato (organisatrice du rendez-vous musical mensuel au Cellier : Le Concert du Dimanche). Ce projet vise à faire collaborer sur scène et devant un public, un percussionniste vénézuélien assis dans un fauteuil musical et des spectateurs qui prendraient places dans d’autres chaises du même type. Une participation entre artistes professionnels et spectateurs lambdas qui viserait à briser la frontière entre scène et public : le spectateur devient acteur du spectacle qu’il est venu voir.
Mais ces fauteuils, au-delà de leur caractère spectaculaire et innovant, n’auraient-ils pas d’autres vocations ? "Comme je travaille dans une école de musique, je sais que l’approche d’un instrument est compliquée pour les gens « normaux » et donc aussi pour les handicapés. Mais lors de l’installation des fauteuils sur le Maillet-Brézé, des trisomiques sont venus les essayer et m’ont félicité en me disant que c’était super". Les sons ont un côté curatif, les fréquences influent sur le corps humain, comme par exemple la musique chamanique utilisée dans des situations précises. Dominique souhaite donc monter un projet dans le secteur du handicap et peut-être aussi dans le domaine de la réinsertion sociale.
Ces fauteuils pourrait même devenir un sujet d’étude anthropologique mené par Bruno Lefebvre (cité plus haut), car ils permettent d’analyser le comportement des gens entre eux de part leur utilisation collective. Ils ont d’ailleurs déjà servi à analyser la manière dont ils interagissaient sur les systèmes de communication entre un père et son fils.
Une création qui commence à avoir un certain succès : "Des danois m’ont demandé s’ils pouvaient utiliser mon projet pour le mettre en vitrine sur leur site internet". Et pourquoi pas un festival nantais dédié à la création numérique ? "L’année prochaine, avec l’association Ghetto Art, on va essayer d’exposer les fauteuils au festival Scopitone ".
Dans le futur Dominique se verrait bien léguer son projet, pour partir vers de nouvelles aventures : "J’aime travailler sur la nouveauté". Un désir profond qui colle parfaitement à l’idée de création partagée : créer une œuvre artistique pour permettre aux autres de devenir acteurs de cette même création.
Texte et photos : Jonathan Gerin
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