
Carnet de festival
Soy 9 : électro, folk, rock et magie noire
Dix ans que l’association Yamoy défend la musique indépendante à travers l’organisation d’événements musicaux, misant aussi bien sur les découvertes que les artistes de référence. Pour la neuvième année et comme à son habitude, le festival Soy investit la ville de Nantes dans des lieux hétéroclites, allant des plus classes (Château des ducs de Bretagne, Pannonica) en passant par les classiques (Stereolux, Lieu Unique) jusqu’aux plus sombres (Blockhaus DY10, Floride). Fragil s’est immiscé dans les recoins du festival pour vous proposer un petit tour d’horizon de ces cinq jours de concerts, du 27 au 31 octobre.
Une performance de Lawrence English, ça ne s’oublie pas, ça vous marque à vie… L’Australien a ouvert le festival dans la salle de conférence de la médiathèque Jacques Demy : un petit lieu cosy qui donne envie. Le musicien arrive sur scène, s’installe derrière ses machines et nous propose de fermer l’œil car il paraît que sa musique ne s’écoute pas avec les yeux : le public approuve, les mirettes se ferment, la lumière tombe et le voyage commence.
Qu’allons-nous vivre : une expérience unique ou bien une folie furieuse ? Le scepticisme est de rigueur. Le son démarre lentement, ça monte, ça descend : un vrombissement incessant résonne. Ça vous enveloppe et vous vous sentez partir vers des contrées lointaines, bercés par le creux des vagues. Tout d’un coup, le vent se lève.
Timidement d’abord, puis, il finit par se mettre en colère et vous colle au siège. Ça balance, de gauche, à droite, le navire fend la mer, la tempête pénètre votre univers et vient vous frapper jusqu’au creux des oreilles. Vous sursautez, restez cramponnés au fauteuil, et finalement vous pensez : « Mais quelle galère ! » Puis le vent se calme, le ronronnement disparaît et la terre semble proche. Calme et volupté emplissent la salle de concert : vous êtes bercés par une symphonie au doux parfum de rêverie qui vous emmène jusqu’au plus profond de vous-même (et jusqu’au sommeil pour certains). Vous êtes dans les nuages, portés par une brise légère, la musique vous baigne. Puis, c’est l’heure de l’atterrissage, malheureusement c’est déjà la fin du périple. La lumière vient violemment vous frapper les pupilles pour vous signifier que c’est la fin du rêve. Vous vous pincez : mais si tout ça était réel…
A l’assaut du donjon
Samedi après-midi, la forteresse du Château des ducs de Bretagne est assiégée par une armée pacifique et musicale d’envergure internationale : en première ligne, le belge Innercity (remplaçant Rene Hell), suivi par l’irlandais Cian Nugent, et enfin l’américain Steve Gunn. Electronique rêveuse et folk à tendance rock : la musique est leur seule arme. Le premier à s’attaquer à la scène de la Tour du Fer à Cheval est Innercity. La salle est pleine, le silence de rigueur et l’oreille bien tendu. On attend posément tout en admirant la table sur laquelle trônent mondes et merveilles électroniques : le graal attend patiemment son chevalier. Il arrive enfin, devant un auditoire avide de découverte.
Son visage se couvre d’un masque : l’homme se change en monstre. La mélodie démarre, lentement le son prend forme et se découvre dans un registre de berceuse, doux et volatil : le public est conquis. La créature mixe les sons de ses cassettes, effleure les touches de son clavier, avec calme et minutie. Une flûte fait son apparition sur la bande son accompagnée d’un maracas qui bat la mesure : le monstre devient alors homme orchestre. Verdict : un son planant qui nous apaise.
Puis c’est au tour de Cian Nugent. Le guitariste arrive devant un auditoire toujours aussi attentif. Il se présente d’une voix posée, puis il s’assoit et attrape sa guitare sèche dans un silence religieux. Une prestation pour le moins reposante, au cours de laquelle on aura pu apprécier le jeu du guitariste teinté de folk song, caressé par une voix chargée de mélancolie. Le charme a opéré.
Les quatre hippies fusionnent rock, dub et électro avec un soupçon d’expérimentation. Le tout bercé par un psychédélisme ambiant des plus fulgurants.
Nous resterons dans l’univers du folk avec le dernier musicien : Steve Gunn. Là encore, un chanteur et une guitare acoustique, mais ici, batterie et guitare électrifiée viennent s’incruster. Ça démarre dans l’intimité : Steve est en tête à tête avec ses six cordes. Cian Nugent aurait-il été cloné ? Pas tout à fait : le batteur fait son entrée et la guitare commence à s’énerver. La voix devient plus rauque, ça tape, la cadence s’accélère, on sent que ça va monter. Malheureusement, la guitare électrique reste abandonnée. Mais parfois, il faut savoir patienter : Cian Nugent débarque et s’empare de l’objet tant désiré : attention, ça va cogner ! La folk se transforme en rock, allant jusqu’au post, et flirtant même avec le psyché : les murs du château ont tremblé.
Uniques en leurs genres
Pour cette quatrième soirée du festival, rendez-vous dans le temple du Petit Beurre, le L.U. Le bar est bondé et les dernières places difficiles à se procurer, mais heureusement je suis accrédité. 20 h 30 : la porte s’ouvre, le public pénètre dans la sacro-sainte grande salle du lieu, comme a son habitude parée de tentures colorées. Les premiers arrivés jonchent le sol, près à se lever dès la première note lâchée. L’atmosphère est posée, on prend son temps pour siroter. 21h, les fauves sont lâchés : Gala Drop fait sont entrée. Sur scène, cinq portugais censés nous délivrés un son électro qui aurait soit disant séjourné sous les tropiques (définit comme électro tropicale). Une musique qui aurait donc pris racine sous le soleil du Portugal si je comprends bien ? Les instruments sont en effet métissés : synthé, congas, basse, guitare, et machines. Tout ce qu’il faut pour nous faire transpirer. Les quatre hippies fusionnent rock, dub et électro avec un soupçon d’expérimentation. Le tout bercé par un psychédélisme ambiant des plus fulgurants. On se laisse emporter dans ce tourbillon sonore coloré, laissant sa marque sur nos fronts mouillés : tropicale.
C’est maintenant au tour de Silver Apples, duo new-yorkais mythique des années soixante ayant été l’un des premiers à insuffler au rock un soupçon d’électronique, et ainsi défini comme précurseur du Krautrock. Simeon Coxe est désormais seul aux machines (le batteur Danny Taylor étant décédé en 2005), et malgré son âge avancé, le vieux briscard manipule toujours avec autant de dextérité son synthé : 9 audio oscillateurs et 86 potentiomètres. Sur cette grande scène, le vieil homme demeure seul, derrière un amas électronique. Cette musique qu’on aurait pu qualifier de futuriste dans les années soixante, résonne aujourd’hui comme un témoignage du passé : des rythmiques minimalistes aux sonorités vintages , annonçant les prémices de l’électro. Des morceaux industriels aux boucles hypnotiques, rappelant une musique techno qui martèle et qui vous entraîne, on pense à Kraftwerk. Parfois la mesure est moins cadencée, mais les sons n’ont de cesse d’osciller, tendant même jusqu’à l’acidité. Le tout, accompagné par une voix quelque peu fatiguée, mais qui reste cependant fidèle au passé. A travers son concert, Simeon Coxe nous projette quarante ans en arrière. Epoque où l’expérimentation était maîtresse et où la performance électronique ne se résumait pas simplement à la programmation informatique, mais bel et bien à la manipulation en temps réelle : longue vie à vous Mr Coxe.
Le diable en personne
L’américain Burial Hex ne pouvait pas rêver mieux qu’un vestige de la Seconde Guerre Mondiale, le Blockhaus DY10, pour accueillir son art sataniqu Un lieu sombre et exigu se prêtant merveilleusement bien à la noirceur de sa prestation. La scène, placée au fond de la salle, prend des allures de cérémonie incantatoire lorsque son instigateur, Burial Hex, dispose des bougies autour. Le public est massé devant la scène, la lumière s’éteint et laisse se découvrir dans la pénombre, un synthétiseur et autres équipements électroniques : Burial Hex arrive. Il lance la musique et quitte ses instruments pour se poster devant le public. Il lève ses bras en l’air en tenant dans ses mains deux rectangles marquées d’un éclair : la foudre va s’abattre sur nos têtes, l’heure du jugement dernier a sonné ! Une avalanche de sons apocalyptiques assène nos oreilles, rythmée par les gestes du maître. Drone mortuaire et saccades arythmiques s’entrechoquent : la fin du monde semble proche ! L’artiste relâche quelques instants le toner et s’installe au piano. Mais le répit sera de courte durée. Il s’empare du micro pour clamer sa haine sur une symphonie noire et bruitiste. Le regard possédé, il brandit une flamme au-dessus du public, comme pour le défier. Burial finira par reprendre possession de son corps, se réveillant sous un toner d’applaudissement. Le prince du Mal aura finalement choisi de nous épargner.
Texte et photos : Jonathan Gerin
Bloc-Notes
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