
CARNET DE FESTIVAL
Route du rock été 2011 : veni vidi vici
Combats de boue et péripéties techniques au programme de cette 21ème Route du Rock à Saint Malo (12/14 aoà »t). Mais surtout une sélection alléchante de groupes rock, folk et électro : des têtes d’affiche attendues au tournant (The Kills, Battles, Sebadoh, Electrelane....) et des jeunes pousses prometteuses, comme Suuns ou Mondkopf. Trois jours intenses et émouvants au cours desquels on dort peu, mais on réfléchit quand même, la preuve.
Nantes, la 21ème édition de la Route du rock s’est achevée il y a une semaine. La pluie tombe drue sur la ville encore désertée, l’été s’achève, le ciel violet ecchymose charrie des torrents de souvenirs. A peine une semaine et pourtant ces quelques jours semblent si loin. Cette année fut l’occasion pour la néophyte enthousiaste et curieuse que je suis de me frotter à ce mythique festival pour la première fois, et on le sait, les premières fois, ça ne s’oublie pas...
Face à moi, les vieux briscards du festival, les habitués-on-ne-me-la-fait-plus ou ceux qui jurent chaque année leurs grands dieux que c’est la dernière fois qu’ils viennent... et reviennent. Nantais, Parisiens, Toulousains, Bordelais et j’en passe, en bref la jeunesse européenne indie de tous les horizons, en transhumance vers l’eldorado malouin, débarque dans le site bucolique du Fort de St Père. Duvet sur le dos, armée de packs de bière et de bottes de pluie, les festivaliers sont prêts à en découdre pour 3 jours intenses et arrosés.
A deux pas, le village de Châteauneuf d’Ille et Vilaine, décor idyllique dont les rues tranquilles résonnent encore des basses échappées de la scène, lorsque 3 jours plus tard nous quitterons le site à l’aube, après une after de clôture survoltée, pendant laquelle bénévoles, vip divers et (a)variés se mêlent dans la boue et l’amour au son du mix très éclectique des Los Curators.
Lever de soleil et pureté, la lumière délicate du petit matin semble flouter les contours du spectacle de carnage qu’est maintenant le site du Fort. Dans un océan de boue à demi séchée, des ilots de terre émergent, jonchés de déchets, on démonte déjà, tracteurs et machines sortis, et les stands de foire affichent leur façade fermée. Plus de lampions, plus de flonflons ni de larsens, mais dans nos têtes, la fête continuera encore un bon moment.
Je fais moins ma malouine...
La réputation de ce festival qui a fêté ses 20 ans en 2010 le précédait bien évidemment, et c’est avec une soif de musiques et d’instants magiques que j’aborde ces 3 jours, bien décidée à faire fi du climat, de la fatigue et de tout ce qui pourrait venir gâcher cette parenthèse tant désirée, et tant vantée.
Ceux qui l’ont faite, la Route, les vrais de vrais, m’ont bien briefée : ça va être quelque chose ce festival, il ne faut rien en louper, tout supporter. Pourtant, malgré une préparation digne d’un trekk au Pérou, barres énergétiques et lingettes pour bébé comprises, la Route a eu raison de moi, enfin, d’une partie trempée et frigorifiée de moi.
Car ils avaient bien raison, les vétérans, la Route, elle te prend, elle te rince. Dans tous les sens du terme.
L’année prochaine, on ne me la fera pas, fini les velléités esthétiques de citadine, ça sera parka de vrai marin breton, ou rien. Ou si, pourquoi pas cette espèce de charmant poncho adopté par de nombreux festivaliers, qui vous transforme illico en une bête à bosse étrange. Étrange peut-être, mais au sec la bête, elle.
Au-delà de ces moments dignes d’un mauvais film de guerre des années 70, ces visages hagards à peine reconnaissables errant dans un paysage de chaos percé de lumières et de cris, repousser ses limites et encaisser, c’est que de l’eau après tout soldat...au-delà, qu’il y a t-il ?
La musique, bien sûr. Ah oui, la raison de notre présence.
N’étant pas une habituée de ce festival, je vous épargnerai le fameux « c’était un très bon cru » de rigueur, pour un laconique : il y avait à boire et à manger.
Cette Route 2011, dont la programmation avait pour piliers des poids lourds de la scène rock et éléctronique (Sebadoh, The Kills, Battles, Aphex Twin, Mogwai) m’a permis de faire de très belles découvertes, et de retrouver de vieux amours encore bien verts (Lou Barlow si tu me lis saches que ton t-shirt no-look tâché et tes lunettes qui tombent, ce n’est pas un obstacle pour moi).
Découvertes et temps suspendu
Au rayon des très belles surprises, il y a eu notamment la prestation impressionnante délivrée par Josh T. Pearson et Chelsea Wolfe le dimanche après-midi, prestation peut être un chouïa favorisée par le cadre sec et confortable du Palais du Grand Large...mais alors vraiment peu, les américains donnant une leçon de beauté et de minimalisme qui a laissé le public comme hypnotisé (bien que j’ai pu entendre au sortir du concert de Josh T. Pearson un perfide, mais pas si faux « J’ai l’impression d’avoir entendu une seule chanson de 55 minutes »).
Une seule chanson peut être, mais alors quelle chanson. On l’écouterait bien en boucle, rêvassant à de grands espaces où souffle un vent brûlant, la rudesse et les excès de l’âme texane, le dénuement quasi mystique d’une voix et d’une guitare caressée entre des instants de silence religieux. “The preacher” avais-je envie de le surnommer, tant la chaleur de son contact avec le public, dans un français hésitant et potache, contrastait avec la stase imposée par son chant puissant. Sans aucun doute un des ces moments parfaits, où l’attention et l’esprit s’immobilisent pour ne plus entendre que l’épure, les milliers de sentiments glissés entre deux notes.
Chelsea Wolfe aussi nous a captivés, envoutante prêtresse au visage masqué de dentelle noire, accompagnée de rythmes organiques, doux et sombres. L’univers gothique qui émane de ses morceaux en demi-teintes agit comme un philtre troublant. De sa voix écorchée, belle comme un rose fanée, elle égrène des ambiances down tempo, parsemées de frissons murmurés et d’éclats lumineux au cœur des ténèbres.
De la difficulté du retour des dinosaures
Le recueillement et la fatigue de cette après-midi sombre contrastaient sans nul doute avec l’incroyable magma sonore du reste du festival et les innombrables riffs de guitares dont l’écho perdure dans la mémoire. Sans compter les airs légers et faciles de Cults dont le tube « Go outside » a squatté nos têtes embrumées jusqu’à la fin du festival.
Des moments suspendus, hors de tout, il y en a eu bien d’autres, qui laissent un goût prononcé : un goût de bubble gum acidulé et subtil pour Electrelane, de retour sur scène après 4 ans. Le soleil qui se couchait lentement au-dessus de nous nimbait la scène de pastels délicieux, quand leur set a débuté. L’énergie et la fraîcheur étaient encore intactes dans le public, et le chant de sirènes de Verity Susman et Mia Clarke créait un enchantement que tous ont ressenti. L’excitation de savoir que ce n’était que le début de l’aventure et la féerie de leurs morceaux aux montées irrésistibles m’ont vraiment marquée.
Come back magistral, peut-être plus impressionnant au fond que celui de Sebadoh. Des monstres sacrés du lo-fi, tant attendus, et un peu décevants pour les fans de la première heure dont je fais partie.
Le plaisir évident et nonchalant d’un Lou Barlow décomplexé, évoluant de façon maladroite mais libre, la proximité des 3 musiciens regroupés sur le devant de l’immense scène et visiblement complices, tant d’éléments qui, associés aux classiques de “Bakesale” et “Harmacy”, leurs albums les plus connus, n’ont pourtant pas réussi à dissiper une étrange impression de platitude.
On se serait imaginés hystériques de retrouver ce groupe culte, mais les versions lapidaires et rêches de leurs titres n’ont pas permis de restituer le raffinement de leurs compositions. Le choix d’une interprétation brute de décoffrage, certes fidèle à leur esprit d’origine, a sûrement influencé ce jugement (ou peut être avons-nous tout simplement vieilli, et la reformation de nos héros d’antan laisse t-elle toujours une impression douce-amère). Sentiments mitigés donc sur ce retour, et gêne de voir ce groupe mythique écarté de scène sur un signe d’un technicien, timing serré oblige.
Dans la catégorie réapparition mi-figue mi-raisin, je ne peux faire l’impasse sur le live interminable d’Aphex twin, expérience ultime digne d’un teknival, qui avait pourtant bien commencé. Il a en mis du temps à apparaître le gourou de l’électro barrée, annonçant le show par des message cryptés mystérieux, sur des murs d’écrans géants. L’impatience monte, un peu plus et on se se serait crus devant une reprise des 4’33’’ de John Cage... On peut cependant saluer un travail intéressant de V-Jing impliquant le public, bien dans la lignée expérimentale et dérangeante de sa musique.
Le set entamé décortique ses sons barbares et jouissifs, rythmiques en boucles saccadées et cut up multiples dont il a le secret. Mais les enchaînements sont pauvres, la cohérence faible, comme si le sale gosse déballait sans réfléchir tous les jouets raffistolés qu’il a dans son coffre magique, alignant les styles et les possibilités techniques sans avoir grand chose à dire au final.
Manque d’une ligne directrice, et emballement épuisant qui nous fait peu à peu basculer du côté d’une hard tek bien fade, indigne du maître quelque part. DJ Perçeuse ou Aphex twin, c’était un peu le jeu des 7 erreurs, mais l’un dans l’autre, ça a diverti plus d’un festivalier titubant.
Démons et merveilles
Les prouesses électroniques étaient plus selon moi à chercher du côté d’Etienne Jaumet, Mondkopf et Dan Deacon. Ces mages synthétiques ont pétri nos oreilles et nos corps épuisés de leurs sortilèges irrésistibles, chacun dans sa spécialité.
Machines vintages aux sonorités psychédéliques orchestrant une cold-disco surchauffée chez la moitié de Zombie-zombie, ou ambiances saturées et rythmiques martelées chez le jeune prodige Mondkopf, assurant son live avec une véhémence contagieuse malgré une panne technique.
La palme de l’envoûtement total revient sans conteste au sorcier du circuit-bending et de l’hybridation sans limite. Dan déconne sévère, et personne n’a pu résister à la tornade bien trop brève qui a dévasté la petite scène le dimanche soir. Invectivant la foule, pasteur égaré scandant des slogans et des psaumes sans queue ni tête, ses morceaux tumultueux et insolents lui servent presque de prétexte à une union orgiaque avec le public. Conquis, épatés, le souffle coupé par ce déchainement ludique, on ne peut que se joindre au rituel.
Même si on est pas loin parfois de faire tourner les serviettes, surtout quand l’animateur nous enjoint de tourner sur nous-mêmes les bras levés, on adhère à son énormité dionysiaque. Et nous voilà en train de poser une main sur la tête d’un(e) inconnu(e), et d’explorer nos souvenirs les plus honteux, yeux fermés.
Décadence et communion improbable, ne le répétez pas à vos parents, mais c’est mieux qu’un samedi soir à l’église.
Rendez-moi mon canapé
Et puis il y a tous les bords de route, ceux qui ont délivré des prestations honnêtes mais pas folichonnes : Cat’s eyes, où l’ex batcave Faris Badwan, adouçi par l’amour vraisemblablement, fascine toujours autant par son charisme et sa voix d’outre-tombe, mais dont les compositions ressorties du garage laissent un souvenir, comment dire...poussiéreux.
Les joyeux drilles à barbe, Fleet foxes et autres Other lives, tout heureux et fraternels au milieu de leur étalage d’instruments variés, au point qu’il ne manquait que les prix dessus pour se croire chez Michenaud. Belles démonstrations en tout cas de violon-pipeau-cello-xilophone-trompette-claviers, la cavalcade passe et je m’esquive discrètement.
Mogwai, et je baille (toujours discrètement). Suuns, Low, splendides et psychédéliques, bien entendu, pourtant j’en retiens pas mal de longueurs et un côté un peu mollasson qui aurait été mieux apprécié dans un bon fauteuil qu’après 4 heures debout, ou sous la pluie drue (et sans stimulants). Hélas pour eux, et pour moi.
Car c’est là qu’on touche aux limites du festival, et du festivalier débutant. Difficile de tenir et d’apprécier à leur juste valeur tous les concerts, malgré une bonne volonté hors du commun. Alors il faut faire des choix, et on n’en retient finalement que quelques lueurs qui émergent d’un ensemble parfois vague.
L’errance et les conditions particulièrement éprouvantes nous testent et parfois nous font abandonner : samedi soir, quel immense regret de ne pas avoir vu Battles, dont je me languissais. La pluie et la température ont eu raison de moi et j’en ai encore honte...
Mais malgré de brefs moments délicats comme ceux-ci, la Route du Rock demeure un formidable bouillon de cultures et de rencontres, source de surprises inoubliables et de rêves qui perdurent.
Trois jours, c’est ce qu’il a fallu aux spectateurs de la Route du rock pour construire le monde. Et le quatrième jour ? Et bien, le quatrième jour, ils se reposèrent.
Au final, l’expérience donne quand même à penser, se questionner sur ce qui fait l’essence même d’un festival, en dehors de la programmation musicale. L’anarchie joyeuse et pathétique qui envahit progressivement le site donne des airs déformés, braillards au rassemblement d’amateurs éclairés. Comme si la musique, petit à petit, perdait de ses droits face aux dérèglements multiples.
Quand viennent les confidences de fin de verre, un éclair de lucidité jaillit dans la nuit, on se dit qu’au fond, ce qui définit aussi le festival, ce n’est pas que la musique, mais les corps et les contacts. Des corps pressés, qui se cherchent dans la foule, se bousculent, se soulèvent et pogottent, se heurtent et s’attirent. Une grande marée humaine dont les sens en éveil absorbent chaque seconde avec plaisir.
Il y a enfin le fait de vivre ensemble pendant quelques jours, dans un camping improvisé aux allures de colonie de vacances sans éducateurs ni garde-chiourme. Tout ceci construit une divagation merveilleuse, un épuisement dont on peine à se remettre, mais dont on redemande !
Rien de plus précieux donc, que de vivre un festival comme celui-ci au moins une fois dans sa vie, pour observer la ronde humaine et lui trouver, même sous un ciel gris, tant de charme.
Il fallait le faire, et je le referai, parole de combattante.
Georgina Belin.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses