
PORTRAIT
Lise, la ravissante évidence mélodique
Rencontre aux Francofolies de la Rochelle
Certains univers artistiques s’imposent à vous comme une évidence. Le monde de Lise est de ceux-là . Par excès de curiosité, nous avons profité de l’escale de la chanteuse aux Francofolies pour tenter de comprendre la beauté de son chant angélique et de ses charmants bricolages sonores. Rencontre avec une artiste époustouflante de détermination et d’émotion.
Avant-dernier jour de festival : dans les rues de La Rochelle, la tension est palpable. Demain, les Francofolies seront (déjà) terminées. Demain aussi, alors que certains attendront l’événement de cette 27e édition sur la scène de Saint-Jean d’Acre (la venue d’un certain David Guetta) d’autres seront pressés de s’enfermer pour écouter la candide Lise et ses histoires aux douces allures rêveuses. Mais pour l’heure, Lise nous attend à La Coursive. Ce soir, elle y poussera la chansonnette entre Mélanie Laurent et Yael Naim, et ce premier rendez-vous avec le public des Francos la rend un brin anxieuse mais infiniment heureuse.
« C’est beaucoup de stress ! confie-t-elle en souriant. De l’émotion aussi. Avant de faire des concerts, je n’ai pas fait beaucoup de festivals en tant que spectatrice, alors tout est un peu nouveau pour moi. Mais en tous cas, je suis très contente d’être ici, de connaître cette atmosphère. » Cette atmosphère si unique, Lise l’apprécie d’autant plus que malgré son statut d’artiste, endossé depuis peu, elle a gardé en elle cette admiration pour les autres. Demain, elle chantera en première partie de Alex Beaupain, petit génie des mots, pour lequel elle s’émerveille sans restriction. « C’est vrai qu’il y a la pression, mais il y a aussi le truc de te dire “ Tiens, je vais pouvoir assister au concert de Beaupain ! ” Demain, le concert dure 40 minutes, on l’a énormément travaillé, il y a une grosse pression mais des fois, ça m’aide beaucoup de me dire que les gens vont voir un super spectacle après, et moi aussi ! Quoi qui se passe, la soirée n’est perdue ni pour les uns ni pour les autres ! »
Lise : fille originale au bagage si classique
L’interview a à peine débuté que les raisons de notre coup de foudre pour cette débutante se laisse dévoiler. Le naturel si touchant de ses épanouissantes recettes mélodiques vient d’elle, de la fraîcheur de son jeune âge, de ses envies et de ses rêveries étourdissantes. Quand on lui demande sa formule magique pour avoir composé un disque aussi « ailleurs », elle explique s’être simplement accrochée à ses premières chansons écrites vers l’âge de 17 ans. « Je n’ai pas attendu de les corrompre ». Ces textes ont beau être vieux à ses yeux , « ils ont pris le temps de mûrir, de changer de forme . » Autre raison de cette musicalité si innovante : le piano. L’instrument et elle ne font qu’un depuis ses 5 ans. « J’ai débuté dans la musique classique toute petite, et ai commencé dans la chanson bien plus tard, sans vraiment en avoir écouté énormément, cette fraîcheur vient certainement de cette expérience. »
Comment une pianiste peut abandonner en cours de route son vieux rêve d’enfance pour les avances de la chanson ? Une question de défauts pour certains, de qualités pour les autres. « En grandissant, j’ai vu que ça n’allait pas se passer comme je le désirais car j’avais des défauts au piano, je n’étais pas assez classique, explique t-elle. J’ai travaillé dur pourtant, mais ça n’empêchait qu’il y avait un truc. [Lise claque des doigts plusieurs fois ne trouvant pas le bon mot qu’elle cherche] On me disait : “ Tu manques de rigueur ”. C’était très musical, mais ça pouvait être hors-contexte. Il y a eu un moment où j’ai dû comprendre que le piano classique ce n’était plus possible, il me fallait trouver quelque chose où je m’épanouisse vraiment et comme j’ai toujours aimé chanter en jouant du piano, la solution est venue ! » À l’écouter, on aurait presque envie de remercier les remarques déplaisantes de ses professeurs. Sans eux, elle ne serait sans doute pas devenue cette ravissante artiste timide au charme intimiste qui livre de beaux instants musicaux accompagnée, fatalement, de son plus fidèle compagnon, le piano. À l’âge où la vie se croque à pleine dents, la jeune femme s’est enfin lancée dans le grand bain de la chanson. À la fâcheuse question sur la probable douleur engendrée par l’abandon d’une carrière de pianiste, elle répond à demi-voix : « Oui, c’est un peu difficile », mais aussitôt le naturel revient au galop, « mais quand on trouve enfin le domaine musical dans lequel nos défauts sont des qualités, ça soulage ! ».
La qualité première de Lise n’est donc pas la rigueur mais l’originalité, celle d’un premier disque, sorte de coffre à trésors mélodiques qu’elle ouvre à qui veut bien l’entendre. Des chansons précieuses par l’histoire qu’elles content, des mélodies ludiques agréablement volatiles, tour à tour gaies ou mélancoliques, voguant de la langue de Shakespeare à celle de Molière, s’amusant à reprendre un classique des Pixies (« Where is my mind ») ou à redonner vie à un poème de Guillaume Apollinaire (« L’Émigrant de Landor Road »). Quand on l’interroge sur ce choix poétique, Lise justifie l’émotion de cette découverte par « le sens du poème » qui l’a pleinement « touché ». Elle a véritablement été séduite par cette vision d’un artiste qui « laisse tout tomber, abandonne l’argent obtenu de sa poésie pour un pays où les oiseaux sont muets, où le silence règne ». Un choc poétique qui l’a profondément rassuré dans son rapport à l’art, par le simple fait de se dire que le silence est toujours au dessus de ce qui est réalisé.
Le vagabondage de l’imagination en Amérique et ailleurs
Le silence, ce n’est pourtant pas son truc à Lise. Elle parle, explique, cherche ses mots entre un sourire exquis et un rire sincère, justifie son album aux ritournelles désarmantes avec précision (certainement une qualité venue de ses nombreuses années scotchée à son piano). Mais sous ses airs de jeune fille sage, elle dissimule un vrai goût pour l’aventure, cet ailleurs fait de rencontres impromptues, de libération de l’esprit et de l’imagination. Si sa première aventure musicale est si riche et intense, c’est parce que toute jeune adulte, elle s’est hasardée en terres mythiques : l’Amérique et le rêve qui va avec. « Cette aventure a été très importante pour moi, avoue-t-elle avec des étoiles dans les yeux. Là-bas, l’été j’avais un petit boulot de fleuriste, je participais à divers projets de musique. Il suffisait que je sois à Détroit pour qu’un mec me dise “ J’ai une copine qui descend au Nouveau Mexique, il reste de la place dans la voiture, tu veux venir ? ” et j’acceptais ! [...] De rester de si longues périodes, ça m’a permis de goûter à la vie quotidienne et de vivre pourtant des choses extraordinaires. » L’aventure américaine de Lise semble avoir été essentielle dans la construction de l’artiste qu’elle est devenue. Là-bas, l’écriture s’est libérée instantanément, elle pouvait divaguer comme elle le souhaitait, n’avait personne pour interrompre cette quête permanente de poésie. « Ce voyage m’a libérée. Pour moi, c’est quelque chose de très difficile d’écrire dans un milieu naturel où tu es surveillée, tu as des responsabilités. C’est beaucoup plus facile d’être impudique quand il n’y a personne qui te regarde ! ». Lise sourit à ses propres confidences.
Des chansons pour « aller mieux »
Pour l’instant, la jeune femme a mis la grande évasion entre parenthèse. La seule route qu’elle va emprunter, c’est celle d’une tournée. Quand on lui parle de la suite, on sent l’impatience monter en elle, l’envie dévorante de goûter pleinement à la scène. Oubliée la magnifique chanson-confession du disque baptisée « Le Trac » où elle dit avoir « les mains moites, les pommettes écarlates et un mal de cœur » ? Pas vraiment... Avec un rire gêné, elle explique avoir ressenti le besoin de poser des mots sur ce qui se passe avant les concerts, « ça me rendait malade ». Mais Lise espère que le moment où elle ne chantera plus « Le Trac » sur scène arrivera. D’autres chansons viendront fleurir dans son imagination vagabonde, elle n’a aucun doute là-dessus. « J’écris très peu, mais je ne m’inquiète pas. En réalité, il y a le moment de l’émotion et le moment du besoin de faire la chanson, puis l’instant où ça se fait, et tout ceci n’est pas forcément simultané. Je peux ressentir des choses, les comprendre et ne les écrire que bien plus tard, quand elles me reviendront en tête une fois assise devant mon piano. Je sais qu’un jour ou l’autre, l’émotion va ressortir. » L’émotion. Encore elle. Lise semble habitée d’émotions. Quand elle évoque Bertrand Belin ou Dominique A, quand elle bavarde sur ses excursions, courtes désillusions ou instants marquants, tout est affaire d’émotion. Quand on tente de lui expliquer que ses ravissantes chansons nous font penser à une scène du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (celle où l’héroïne énumère ses plaisirs, singuliers, simples, naïfs, ceux-là même qui nous échappent), Lise acquiesce, accepte le compliment, lui donne encore plus de consistance en nous livrant les clés de cette « évidence » magique qu’elle a conçu avec sa voix de femme-enfant et ses petites mains de virtuose. « J’avais envie de faire des chansons sur des choses que j’aime bien. Au départ, j’écrivais des chansons pour aller mieux. Il y a un petit côté mantra dans ses mélodies. Quand un truc n’allait pas : j’écrivais une chanson. Je pouvais la chanter un million de fois et je me sentais au final mille fois mieux. » C’était donc ça : des chansons pour « aller mieux ». Lise ajoute : « La chanson ça équivaut au pansement, à la pommade. C’est le moment où tu trouves pourquoi ça ne va pas et ce qu’il te faut pour que ça aille mieux. »
Le lendemain, on retrouvera l’artiste à La Coursive dans un décor qui lui ressemble tant. Épuré, intimiste, un simple piano, un bouquet de fleurs, une lumière tamisée. Lise fera son entrée sur scène avec, à coup sûr, les mains moites, les pommettes écarlates et un mal de cœur invraisemblable. Mais deux ou trois frôlement de notes suffiront à chasser l’appréhension, à faire naître l’ensorcellement par la beauté des mots, ceux qui sont conçus pour aller mieux. Sur la platine, comme sur scène, la jeune fille s’impose comme une évidence. Le genre d’évidence à ne pas perdre de vue.
Le premier album de Lise est disponible chez Cinq7 depuis juin 2011
Elle sera le 19 octobre prochain au Dynamo Café, à Nantes
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