ENTRETIEN AU LONG COURS
Fabrique de l’Ile : le jardin extraordinaire de Mire
C’est un étrange espace qui se dessine devant les visiteurs de la nouvelle Fabrique de l’Ile de Nantes depuis le 30 septembre. Entre le complexe futuriste de Stereolux et le bâtiment de Trempolino qui émerge d’un blockhaus, apparaît alors une zone intrigante, à la fois terrain vague et chantier. C’est le Jardin C, site de tous les possibles que Mire, association de cinéma expérimental et d’image en mouvement a investi avec dans son panier un riche programme d’ateliers participatifs et de projets artistiques.
Ce qui frappe désormais au premier abord, c’est l’incroyable container habillé de sacs noirs qui occupe une partie du terrain. Dès la mi-octobre, les membres de l’association, rejoints par des volontaires dynamiques, se sont réunis au sein d’un atelier dit Subotnik (le subotnik est "un temps de travail collectif et bénévole autour d’un espace public ou commun" nous apprend Mire) afin de recouvrir peu à peu le container de ballots de terre et de graines d’où sortiront bientôt de jeunes pousses.
Un chantier qui fait suite à l’atelier Milieux hostiles mis en place depuis le mois de juin 2011 en collaboration avec Matthieu Picot (Campo, paysagiste) et Julien Perraud (Raum architectes), temps de réflexion collectif d’où est née l’idée de délimiter cet espace d’entre-deux par l’utilisation de chevaux de frise. Elles aussi de construction maison, ces barricades d’un autre temps déroutent le regard et ravissent les visiteurs. Depuis leur installation, jeunes et moins jeunes les ont facilement apprivoisées, les transformant rapidement en bancs improvisés, ou en structures parfaites pour la grimpette et le défoulement des petits.
Tout dans ce néo-jardin encore en devenir nous interpelle, de son aspect brut et sauvage à son appropriation par un public déjà désireux de comprendre et de faire. Lors de l’inauguration, les pièces artistiques présentées ont intéressé et attiré un public important, à l’instar du goûter créatif du dimanche, envahi par une foule d’enfants impatients.
Depuis, le jardin n’est pas en sommeil, les idées et les envies fourmillent, il suffit pour s’en convaincre, de jeter un œil au programme chargé de l’association pour les mois à venir. Mais rien n’est figé ni déterminé, selon une volonté d’ouverture et de work in progress chère à Mire ; au contraire les questions se multiplient pour savoir comment occuper, animer, faire vivre ce jardin. Des questions, nous avons aussi pu en poser à Miles McKane, programmateur artistique de l’association, que nous avons rencontré entre deux pelletées de terre.
Fragil : Miles McKane, d’où est née cette idée de Jardin, par rapport au parcours de Mire et comment s’insère-t-elle dans le projet de la Fabrique ?
Miles Kane : Dans le projet Fabrique, à partir d’un certain moment, quand le site a été décidé, Mire a toujours voulu avoir un espace extérieur, une sorte d’espace tampon entre le bâti et le territoire, un endroit qui était un peu neutre. On a travaillé avec des programmateurs culturels et on avait beaucoup discuté l’idée de la friche et de la post-friche. On avait parlé des espaces « durs « et des espaces « mous », et donc ce jardin semblait être un espace mou où on pouvait faire des choses qui seraient moins identifiées par le projet « dur ».
Aussi, Mire a commencé très tôt à aller sur le territoire afin de montrer des films et travailler avec des endroits, des sites spécifiques. Ça nous a amenés à une réflexion, on s’est demandé : à qui parle-t-on et comment est perçu le film ?
Par exemple on avait fait une nocturne avec le Musée des Beaux Arts. On avait délocalisé le musée dans un hangar de construction de bateaux, et on y a montré un film qui se passait dans une fonderie. On était alors dans une situation industrielle, avec le film d’une artiste qui parlait aussi d’un processus industriel. On a eu une audience qui était là pour le film et une audience qui était là pour le lieu, son passé : le patrimoine industriel. Un mélange de population donc.
Depuis le début vous avez voulu établir ce contact avec les publics ?
Oui, si on reste dans une situation de salle de cinéma on n’ouvre pas !
Dans le cinéma expérimental, il y a la partie film et il y a aussi la partie presque sociologique : le cinéma expérimental a survécu depuis les années 20, ça fait presque 100 ans que les gens font du cinéma expérimental ou des expérimentations. Il y a cet aspect un peu communautaire, de l’entraide. Il faut prendre en charge soi-même une partie de la production et de la distribution, des questions-réponses.
Si on regarde ce qu’on fait, on ne devrait peut-être pas regarder que le résultat, c’est-à-dire le film, mais aussi comment on le fait. Cela nous semblait donc logique d’ouvrir vers le public.
C'est aussi un espace qui met les artistes et les populations dans une situation atypique.
Dans le projet Fabrique, on sait qu’il devait y avoir trois bâtiments. Pour différentes raisons ça n’a pas été construit et on trouvait que si on entrait dans le bâti, on restait plutôt dans la démonstration que dans le faire. On trouvait que c’était très important dans ce projet que le faire, la création, le processus soient vraiment lisibles.
On a également découvert que le sol du site est assez pollué, parce que c’est un ancien site industriel. Et nous dans notre laboratoire on utilise des produits chimiques, donc on est pollueurs aussi...ça nous a amenés à une réflexion sur le cinéma. C’est aussi une industrie en train de changer : le support argentique et la pellicule sont en train de partir, comme les grosses industries de l’acier, les chantiers navals ont disparu. On était sur un parallèle entre plein de processus, de technologies, donc le jardin est devenu une chose logique pour nous.
C’est aussi un espace qui met les artistes et les populations dans une situation atypique. C’est quelque chose dont on a pas mal discuté, la friche et ce qui était spécifique à cette culture friche.
Dans la friche, souvent on était dans une situation où on était obligés de faire avec des données qui étaient un peu disproportionnées par rapport à l’activité : j’ai pratiqué pas mal de friches et quand on se retrouvait dans des espaces, des hangars comme Alstom, avec de telles proportions, ça induisait une idée d’abord de survie parce qu’il faisait super froid en hiver. On était face à des problématiques et des situations de dangerosité. Ça induisait aussi un côté social, on faisait à manger ensemble ; ça rassemblait les gens, donnait un peu de chaleur, c’était pas mal aussi ces pratiques-là.
Ce projet de jardin est donc né aussi d’une connaissance et d’un intérêt pour les friches ?
C’était l’apport culturel de la fin des années 80-début des années 90, que j’ai connu personnellement. Dans ces squats il y avait un vaste réseau, des gens qui pratiquaient le cinéma expérimental, la musique expérimentale et là aussi on trouvait un mélange entre des pratiques d’artistes, de plasticiens, de cinéastes et de musiciens. Donc quand on parle de transversalité aujourd’hui, c’était tout à fait ça. C’est un peu la base d’une certaine culture contemporaine. Il y avait un aspect assez brut et en même temps des artistes qui essayaient de réfléchir à des systèmes de production.
Et par rapport au projet de la Fabrique, comment vous positionnez-vous ?
C’est une chance pour nous. Ça fait 8 ans qu’on travaille sur le projet donc ça a eu une influence sur la structure de Mire et son orientation. On a travaillé sur la conception du projet avec les 5 autres assos, on se sent tout à fait légitimes dans ce projet bien sûr.
Il ne faut pas oublier que la Fabrique c’est un projet et ce n’est pas que des bâtiments : la spécificité du projet c’est cette volonté d’ouvrir vers le public, d’essayer de faire vivre le lieu tout au long de l’année, au quotidien.
Dans ce rapport au public, le Jardin est un peu la première « œuvre » qu’on voit, vous êtes une sorte de porte d’entrée. Dans cette optique, avez-vous prévu des animations régulières sur le site ?
Pour l’année prochaine on essaie de mettre en place des modules, qu’on va animer au départ. Mais on aimerait bien que ces modules soient appropriés par d’autres gens ; faire des choses à midi par exemple, je trouve qu’il y a pas grand chose à midi culturellement à Nantes. On voudrait mettre en place par exemple un module qui s’appellerait Club sandwich. Les gens pourraient venir proposer des animations, d’écoute de musique, de vidéos...ceci ouvert à d’autres associations.
On travaille aussi le côté purement jardin : il y a des contraintes, par rapport au sol, à la position, au fait que c’est un espace public. Cela passera par des ateliers qu’on va mener, comme celui avec Raum, qui a créé l’installation des chevaux de frise. Là on était partis de quelque chose de très théorique et on a terminé tout le monde avec une perceuse, en train de construire, de faire.
On va commencer aussi un atelier qui s’appelle Marges propices (du 21 au 27 novembre), où on va regarder ce qu’il y a dans le sol. Avant, il y avait un canal qui passait ici par exemple, on observe aussi comment les gens traversent le jardin, il y a une forte diagonale. On essaie vraiment de garder ces processus ouverts et puis aussi inviter des artistes, créer ce frottement entre artistes, utilisateurs et « jardiniers ».
Est-ce que ces ateliers sont ouverts à toutes les personnes intéressées ?
Bien sûr ! On a eu le grand public pendant l’inauguration, mais aussi des gens qui étaient plus dans des métiers culturels. Avec l’atelier d’Isabelle Dehay, on a touché là un autre public, pas mal d’ados, qui se sont super bien appropriés l’outil, très vite.
On essaie de voir qui vient, qui fait quoi, avec quoi ils sont à l’aise. Ça nous aide à cibler un peu plus, en communication mais aussi dans la réalité de l’atelier. Adapter les temps au public : les ados ça sera le week-end ; pour un public plus âgé plutôt en semaine ; à midi pour ceux qui travaillent dans les bureaux autour.
Si on prend par exemple l’animation qui aura lieu le 24 décembre, « Nouvelle Lune », cela amène à poser un regard différent sur les rythmes du vivant, sur la vitesse de la ville et son rapport aux rythmes naturels.
On est dans des cycles naturels ici certes, même si on n’est pas vraiment dans la nature bien sûr.
Par exemple, les trois fenêtres qu’on voit sur le container, sont destinées à accueillir l’œuvre d’un artiste anglo-canadien. C’est une pièce sur laquelle on travaille depuis 3 ans : il va y avoir une caméra posée sur un lampadaire du pont Anne de Bretagne, et des câbles optiques qui amèneront le signal de la caméra jusque dans le jardin. Sur les trois moniteurs, on verra un paysage de Loire. Cet artiste travaille beaucoup avec les temps et la nature, les différentes vitesses de perception qu’on peut avoir de la nature.
Avec un logiciel, il repeint ce paysage, fait de la peinture numérique, et joue sur les trames de l’image : au lieu d’aller de plus en plus vite (par exemple la première photographie c’était 8 heures de temps de pose alors qu’ici ça prend 3 ans à faire !), il ralentit à des vitesses différentes.
Avec trois vitesses de rafraîchissement de l’image différentes : une fois par jour ; toutes les quelques heures ; le temps d’une marée ; une autre peut-être une semaine ou un mois...et donc on verra les différentes choses qui bougent, le fleuve, le ciel, mais aussi les bâtiments ou le quartier en construction de la butte Sainte Anne, qui lui ne bouge pas. La temporalité est donc déjà inscrite dans le projet du jardin.
La nouvelle lune est aussi la phase où il n’y a pas de lune donc la nuit est noire. C’est ce dont on a besoin pour projeter un espace noir dans la nature, parfait pour nous.
On a été amenés bien entendu à une réflexion sur le rituel. 2011 était aussi le moment d’une réflexion sur la nature : comment la nature est perçue dans les films ? C’était la thématique de la programmation de l’association fin 2010, son fil rouge. Donc fin 2011 va être plutôt rituelle et païenne, sur les cycles de la nature et du vivant.
Est-ce qu’à travers ce projet vous voulez mettre le doigt sur des préoccupations écologiques ? Comment voyez-vous ce rapport entre la création expérimentale et l’idée d’une conscience, d’une implication ?
Ah c’est une grande question aujourd’hui... Pourquoi en ce moment tout ce qui est un peu expérimentation et recherché se rapproche de ces questions ?
On a vécu cette fin de l’industrialisation, on a vu ce que ça a laissé, mais aujourd’hui on voit très bien que le numérique n’est pas plus propre que ces technologies-là. Il y a le fait aussi pour nous d’une continuité avec le land art et l’art conceptuel des années 60 et 70. On a vu qu’il y avait des problématiques de pollution, de relation avec l’environnement.
Aujourd’hui dans l’urbanisme et avec le projet Fabrique il y a une nouvelle réflexion. Ce n’est pas que le bâtiment, c’est aussi le territoire. On voit les artistes qui commencent à faire des balades etc.
Quand, dans les années 80-90 avoir une friche, un grand lieu, des mètres carrés, c’était quelque chose qui pouvait rendre légitime des recherches artistiques, maintenant ces friches n’existent presque plus. Donc l’artiste est en quelque sorte poussé dehors, il doit s’approprier le territoire, il est obligé de réagir.
Mais pouvez-vous avoir un message, attirer l’attention sur des enjeux écologiques, sur la mémoire du sol en un sens ?
Je ne peux pas dire qu’on n’a pas un message mais...quand on travaille dans des processus ouverts, on donne la possibilité à des gens de voir ou de ne pas voir. Le processus d’expérimentation pour nous c’est avant tout de mettre en mouvement un questionnement.
C’est pour ça que pour nous le jardin est important, pour rendre visible. On a beaucoup parlé d’ouverture dans les discussions, ce n’est pas contre les bâtiments bien sûr mais pour nous, c’ est peut-être le côté non théorique de la Fabrique.
Il y aussi autre chose : on se sent très exposés, on est très visibles. Ce n’est pas 100% confortable, en même temps c’est nous qui nous sommes mis dans cette position donc on l’assume. Avant, Mire était une association qui avait une réputation mais qui faisait des choses très intimes, toujours très soucieux de l’accueil, que les gens partent avec une compréhension peut être pas complète, mais une opinion ; là on s’expose et on va voir comment ça fonctionne.
cet aspect brut c'était un peu faire le pari que les gens voient ça comme un possible, et pas comme un délaissé.
Au quotidien, que va-t-il se passer, une sorte de veille, comme dans tout jardin ?
Ce sont des questions qu’on se pose nous-mêmes. Comment organiser ça ? Comment rendre le jardin ouvert et actif sans être dans une position de gardiennage ? On a pas tout a fait les réponses. On va d’abord le rendre actif à des périodes, commencer par des rendez-vous. On a pensé, un moment essayer d’avoir des activités comme une Amap, où on créerait une régularité.
Concrètement, quand sera planté le jardin ?
Au printemps 2011 sûrement. Là on fait deux ateliers pour savoir ce qu’on va faire. On commence par la dé-pollution par les plantes. On sait très bien que c’est assez symbolique mais c’est toujours pareil, si personne n’essaie ça ne sera jamais fait. Ici il y assez de terrain pour amener des tests.
Ce jardin pour le moment est plus du côté du terrain vague, c’est ce qui est fascinant, tout est possible encore.
On avait décidé, dès l’atelier Milieux hostiles de réceptionner le terrain tel qu’il était laissé à la fin du chantier. Il y avait encore des camions et pelleteuses le jour-même de l’inauguration ! On a travaillé à enlever les plus grosses pierres mais cet aspect brut c’était un peu faire le pari que les gens voient ça comme un possible, et pas comme un délaissé. C’est toujours dans le positionnement de Mire : on joue sur ce fil. Est-ce que c’est perceptible ou est-ce que ce n’est pas perceptible ?
Comment allez-vous continuer à faire ce rapport entre art vidéo et jardin ? Articuler les deux ?
On a des artistes qui vont travailler sur le côté chimique. Ils vont enterrer des films, pour voir ce comment ça réagit avec le sol. Deux autres adhérents travaillent sur un procédé de développement de films avec des produits non polluants comme le café ou la vitamine C. On va aussi inviter un artiste allemand qui fait une transition entre analogue et numérique.
Votre position se rapproche de celle de Fertile, qui avait investi la carrière Miséry en 2009 (http://www.fragil.org/focus/1664) partagez-vous leur idée de laboratoire social dans la friche, face à l’aménagement du territoire planifié ?
Oui, d’ailleurs on travaille avec Matthieu, qui fait partie de Fertile. On a commencé l’atelier avec Raum et Campo et ensuite on va continuer avec Fertile pour la réflexion sur le jardin. Il y a un truc magique dans la carrière Miséry c’est vrai. Les villes deviennent de plus en plus organisées. J’ai vu les grandes villes changer, Londres, Paris, New York...les espaces non définis ont vraiment disparu. Je suis convaincu qu’il faut ces espaces, ces respirations, des espaces où on peut être curieux.
Ici à Nantes, il y encore beaucoup d’espaces entre et le rapport au temps est différent aussi. Je trouve que c’est bien parce que ça laisse différentes interprétations, différentes esthétiques entrer aussi dedans. Quand on voit les « quartiers » où tout était pensé et à quel point maintenant cela crée des problèmes pour les habitants...
Les villes deviennent de plus en plus organisées, j'ai vu les grandes villes changer, Londres, Paris, New York...les espaces non définis ont vraiment disparu. Je suis convaincu qu'il faut ces espaces, ces respirations, des espaces où on peut être curieux.
Ce n’est pas parfait ici mais c’est ça qui est bien, si c’était trop pensé ça serait faux. Nantes est une ville où on peut faire des trucs un peu fous et où les gens vont dire why not. Ça ne marche pas tout le temps bien sûr mais je crois qu’il y a une sorte de confiance de la ville. Le négatif c’est qu’il y a un aspect de récupération : est-ce que c’est la volonté de la ville ou la volonté du milieu alternatif ?
Et d’un point de vue plus global, comment voyez-vous la culture à Nantes aujourd’hui et son évolution à l’échelle de 2030 ?
Il y a ce côté culture comme image de marque de la ville de Nantes. On a eu des artistes qui sont venus de Grenoble et se sont dit « c’est complétement fou ce truc ». A Grenoble il y a la Mjc Malraux qui a été rénovée mais là c’est autre chose... en même temps ils sont face à une mairie qui les aide peu et donc il ont quelque chose contre quoi s’opposer. En fait la création c’est toujours un processus de questionnement : pousser des limites. Donc dans un contexte plus consensuel, comment retrouver une dynamique de production ? Ne pas juste tomber dans la monstration ?
C’est ça qui nous fait peur : que Nantes devienne un endroit un peu vitrine : plus de producteurs exécutifs de pièces que « les mains dans le cambouis ». C’est ce que je trouve peut-être un peu dangereux : qu’il y ait une sorte d’importation de matière grise, avec les outils pour la réalisation des choses, mais que le processus de création « primitif » soit un peu oublié...
Le rapport au public aussi vous préoccupe ?
C’est ce qui est peut-être arrivé au 104 à Paris : comment montrer le processus de création ? Et c’est ça qui n’a pas marché. Ils n’ont pas assez pensé un projet qui incluait le public mais plus un projet pour les artistes. Ils ont terminé avec des artistes dans des ateliers qui étaient en train de faire des trucs incompréhensibles. Il n’y avait pas de médiation culturelle.
Je crois que c’est un peu ce qui est arrivé par rapport au bâtiment C, comment ouvrir ce mécanisme à des citoyens qui paient des impôts, qui paient pour ces équipements ? C’est plus facile quelque part de montrer des œuvres lorsque le public a quelque chose de tangible que d’avoir un procédé intangible qui va porter ses fruits plus tard. C’est difficile oui, mais c’est vraiment nécessaire.
C'est plus facile quelque part de montrer des œuvres lorsque le public a quelque chose de tangible que d'avoir un procédé intangible et qui va porter ses fruits plus tard. C'est difficile oui, mais c'est vraiment nécessaire.
Il y a aussi le problème de la vitesse avec laquelle les outils changent. En 8 ans le changement technologique a été énorme, les outils techniques de création d’image ont beaucoup évolué. Donc on se demande comment intégrer ça dans le développement d’un projet culturel. Nous, pour le jardin on a dit qu’on serait là pendant 5 ans, et après on verra. On ne veut pas bloquer la machine et dire « Mire est là jusqu’à la retraite » ...
Comment percevez-vous la richesse du milieu associatif nantais, ainsi que le positionnement que ces petites structures peuvent avoir dans leur rapport aux institutions culturelles ?
Il faut qu’elles soient pris en compte bien sûr. Pourtant, je suis un des rares qui ne cogne pas contre le Voyage à Nantes. Je trouve ce projet intéressant parce que ça amène vers un plus grand territoire. Il y a des défauts certes, comme celui de créer un club « inclus-exclus » mais je crois que si des projets comme ça n’existaient pas, les petites structures auraient plus de mal à survivre.
Mais il faut faire attention aux grosses locomotives aussi. Tout n’est pas rose non plus ! Mire était un peu le « gueuleur » lors des réunions du projet Fabrique. Chacun, petit à petit a endossé un rôle ; Mire n’était pas le seul à protester bien sûr mais à un certain moment on savait que c’était nous qui allions dire « non »...
Mais plutôt qu’être à tout prix dans l’opposition, c’est surtout être vigilant, et avoir une place aussi pour s’exprimer. Si on est systématiquement dans l’opposition on s’exclut et on devient aussi hermétique que ce qu’on reproche aux autres.
Envisagez-vous le futur culturel de Nantes de manière plutôt optimiste alors ?
Vous savez, j’étais en Angleterre dans les années Thatcher. J’ai vu la privatisation de la culture. J’ai vu des associations se casser la gueule parce qu’elles essayaient de capturer du financement ou du mécénat. Elles sont allées dans certaines directions pour plaire, et ont perdu le pourquoi de leur existence. Des pans de l’art expérimental ont disparu parce qu’ils n’avaient plus de financement et ont essayé d’être autre chose que ce qu’ils étaient.
Donc il faut soutenir les associations oui, mais il faut aussi voir dans le système de subventions quelles sont les structures qui peuvent être économiquement « viables » et quelles sont les structures qui ne peuvent pas être auto-financées. Ça passe peut-être par le financement de projets plus que de structures individuelles.
L’emploi est aussi toujours le grand problème : les emplois jeunes avaient donné un boost à des assos, comment retrouver cette dynamique ?
La vie associative est beaucoup professionnalisée également. C’est difficile pour les associations : à un moment ce sont les salariés qui sont en train de gérer l’association et de prendre les décisions, de diriger l’association...alors que l’association c’est un collectif. Quel poids a donc le salarié face aux autres membres ? Après, il y a un moment quand on a des salariés où il faut aussi faire tourner la machine pour avoir les subventions et des emplois. Cela va changer le fonctionnement de pas mal de structures culturelles, ou même sportives. Il faudra observer ce développement dans les années à venir.
Par rapport au quartier de la création, je trouve dommage que ça ne puisse pas réinjecter de l’argent dans les projets artistiques qui ont lieu ici. Il y a un modèle à trouver pour dans l’avenir, lier les projets. Le modèle anglais était très libéral certes, mais on prenait un bâtiment où il y avait à la fois des espaces loués et des espaces culturels ouverts à tous. Et les profits du restaurant ou du bar finançaient le fonctionnement d’une autre partie, d’un jardin par exemple. Est-ce qu’on peut faire ça au niveau d’un quartier ou au niveau de la métropole ? Est-ce qu’il y a un autre modèle économique à trouver ?
Enfin, par rapport à l’horizon 2030 je penserais aussi au nomadisme : je crois que plus on va dans le virtuel plus on va aussi dans une dématérialisation des espaces de représentation. Or, dans un rapport au territoire, je vois Nantes-Saint Nazaire comme un couloir vert. Il y a déjà le côté fluvial avec Estuaire, mais je pense vraiment à un développement de cet aspect.
Propos recueillis par Georgina Belin
Le site de Mire :http://mire.potager.org/
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