17 octobre 1961 : une mémoire, deux films
Alors que le massacre de dizaines d’Algériens dans les rues de Paris au soir du 17 octobre 1961 n’a toujours pas été reconnu par l’Etat français, deux films sur le sujet sortent en salle 50 ans plus tard : "Ici, on noie les Algériens" de Yasmina Adi et "Octobre à Paris" de Jacques Panijel. Deux films à l’histoire et aux contenus différents, complémentaires, pour un devoir de mémoire encore très douloureux.
19 octobre 2011, cinéma le Concorde à Nantes. A la suite de la projection d’Ici, on noie les Algériens animée par le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), un spectateur prend la parole. « J’ai les boules. Nous ne sommes que deux représentants de la communauté algérienne présents ce soir. Cette histoire, nous, on ne la connait pas. Pourtant mon père était à Paris en 1961, il a vu ce qui s’est passé, mais c’est impossible de lui faire dire quoi que ce soit sur le sujet. C’est le trou noir. Je vais essayer d’emmener mes parents voir ce film, mais je ne suis pas sûr qu’ils acceptent. Si on veut comprendre l’état d’esprit des jeunes issus de l’immigration aujourd’hui, il faut avoir ça en tête : on a toujours vu nos parents muets sur leur histoire et sur leur rapport à la France. »
17 octobre 1961, rue de Paris. La guerre d’Algérie vit ses dernières heures, ses dernières tractations. L’Etat gaulliste et le Front de libération national s’affrontent aussi bien sur le territoire algérien que sur le sol français. Au soir du 17 octobre, le FLN appelle les Algériens de Paris à manifester contre le couvre-feu visant la communauté, décrété par le préfet de police de l’époque : Maurice Papon. Pacifiquement, 30 000 Algériens investissent les rues de la capitale française. La répression est sanglante. Les policiers, chauffés à blanc, frappent, tuent, torturent. Des dizaines de cadavres sont jetés dans la Seine. On ne connaitra jamais le nombre exact de victimes : 100, 200, davantage ? Le bilan officiel fait état de… deux morts et une centaine de blessés. Les sévices continuent durant toute la semaine qui suit, 11 000 Algériens étant arrêtés puis parqués à plusieurs endroits de la capitale, notamment au Palais des sports. Certains seront tués, d’autres expulsés en Algérie. Depuis, aucune reconnaissance ni réparation officielle de la part de la République française.
Crime d’état
La mémoire de ces tragiques évènements a été mise en sourdine, tue, par les autorités bien sûr, mais aussi par les victimes…
Cinquante ans plus tard, deux documentaires sortent en salle sur le sujet. Réalisé dans la foulée des évènements par Jacques Panijel, Octobre à Paris, aussi fou que cela puisse paraître, n’a jamais fait l’objet d’une sortie nationale dans les salles de cinéma en cinquante années d’existence. Victime de la censure gouvernementale jusqu’en 1973, le film ne sera pas projeté par la suite parce que son auteur exigera tout au long de sa vie que soit inscrit en préambule « crime d’Etat ». Ce que les autorités lui ont toujours refusé. Jacques Panijel est mort le 10 septembre 2010 sans avoir pu assister à la sorte nationale de son film. Le documentaire restitue les évènements du 17 octobre avec des témoignages des participants à chaud, et une série de photographies. Par ces témoignages, Octobre à Paris constitue un document d’archive unique.
Réalisé cinquante ans plus tard par Yasmina Adi, cinéaste d’une trentaine d’années, Ici on noie les Algériens arrive comme un complément au documentaire de Jacques Panijel. Un complément mémoriel qui dénonce de fait la non-reconnaissance des évènements par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1961. Les procédés sont les mêmes que ceux d’Octobre à Paris : témoignages et photographies. Ce qui frappe, c’est la dignité de ces personnes, de ces veuves notamment, qui cinquante ans après les faits réclament toujours la reconnaissance du préjudice qu’elles ont subi. Leur parole est aujourd’hui précieuse puisque pendant ces cinquante années, la mémoire de ces tragiques évènements a été mise en sourdine, tue, par les autorités bien sûr, mais aussi par les victimes… Un silence que, peut-être, ce cinquantenaire viendra briser à l’aube d’une nouvelle élection présidentielle.
Pierre-Adrien Roux
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[1] Il n’y a que sept bobines d’Octobre à Paris de Jacques Panijel en circulation en France. Le film devrait arriver à Nantes d’ici deux mois. Ici on noie les Algériens de Yasmina Adi est quant à lui visible en ce moment au cinéma le Concorde. Mediapart a lancé un appel à la reconnaissance officielle de la tragédie su son site.
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