
Portrait
Les Dures à queer : unE autre monde est possible
Collectif « trans, gouines, pédés, visibles et fières  » né à Nantes en 2009, les Dures à Queer s’illustrent dans les rues et sur internet par des actions provocantes et décalées, manient l’humour pour « réduire en bouillie la binarité du genre  » et défendent les droits des personnes lesbiennes, gays, bi et trans. Et surtout, le droit de chacun à affirmer son identité au-delà des normes et des rôles imposés.
Un nom qui claque, intrigue et pose le cadre. Jeu de mots, résistance, féminisme. Mais au fait, qu’est-ce que le queer, un terme qui évoque souvent les paillettes plutôt que la pensée ? Un bref rappel de la notion s’impose pour y voir plus clair.
Le queer : une théorie qui bouscule les normes
À la base, le terme queer est en anglais une insulte qui fait référence à ce qui est étrange, hors norme. Quand la distinction entre sexe et genre a été théorisée aux États-Unis dès les années cinquante, autour de travaux à la fois médicaux et psychosociologiques sur l’intersexualisme et le transsexualisme, le terme a été repris car il désigne ainsi tout ce qui porte le trouble dans l’ordre binaire et normatif des genres.
Un des ouvrages fondateurs de la théorie du queer paru en 1990 s’intitule d’ailleurs Gender Trouble : le trouble dans le genre. Judith Butler, philosophe féministe américaine et professeur à Berkeley, y déconstruit les injonctions normatives qui constituent les sujets sexuels et met en avant le jeu qui existe toujours entre genre et sexualité.
La théorie du queer est donc une théorie transversale qui vise à questionner et démonter les catégorisations sociales d’identité, en refusant de classer les identités selon des raisonnements binaires comme le rapport masculin/féminin. Elle n’est pas seulement une pensée et une pratique valorisant des sexualités alternatives ou minoritaires mais bien un chantier de déstabilisation de l’hétéro-normativité. Militant à la base, le mouvement queer est aujourd’hui relayé par un nombre important d’essais, surtout nord-américain. Cette théorisation universitaire offre un spectre très large, qui englobe autant les problématiques de genre, de féminisme, que les problématiques LGBT (lesbiennes gays bi trans).
La théorie du queer : un chantier de déstabilisation de l’hétéro-normativité
Aller à la rencontre des Dures à Queer, c’est emprunter des voies moins normées, des chemins de traverse. Et déjà, abandonner certains clichés en chemin : en premier lieu, celui qui assimilerait militantisme et rigorisme, combat politique et monotonie, ou pire, cliché parmi les plus résistants, féminisme et viragos. [1] Pas de méthodes poussiéreuses ici : le combat de l’égalité des droits et du décloisonnement des genres, les Dures à Queer le mènent avec inventivité, une bonne dose d’humour et une grande souplesse dans leurs actions. Découverte de ce mouvement impertinent et audacieux.
Au commencement, une envie de militer autrement
Lorsqu’on les retrouve au premier étage d’un bar du centre-ville de Nantes, le ton est donné. Dans cette salle où le collectif organise ses réunions hebdomadaires, l’ambiance est chaleureuse, agitée, bouillonnante même. Autour de la grande table qui s’avère être un billard, les blagues fusent pendant que l’on s’installe, on sent une complicité forte entre les 5 personnes présentes. Au sein de cet aperçu du collectif, des personnalités et des attitudes complémentaires. Des « petits nouveaux » encore réservés, attirés par la possibilité de militer autrement et l’ouverture apportée par le mouvement, aux plus anciens, qu’on sent aguerris dans leur discours, habitués à porter une parole militante articulée, dans divers espaces publics ou médiatiques. http://dures-a-queer.tumblr.com/
Hélène, une des fondatrices du mouvement, distribue bons mots et sourires, le regard pétillant derrière ses lunettes aux montures colorées, mais c’est avec une précision toute didactique qu’elle prend la parole pour revenir en quelques mots sur la naissance du collectif.
Nées en 2009, les Dures à Queer ne sont pas une association loi 1901, précision importante qui apporte un premier éclairage sur leur mode de fonctionnement : « Bien sûr, on a réfléchi à se monter en association, surtout quand on a eu des problèmes juridiques, des plaintes contre certaines personnes à l’issue d’actions, ou pour gérer la trésorerie. Mais ça ne correspond pas vraiment à notre mode de fonctionnement d’avoir un bureau, un Conseil d’administration... Nous sommes plutôt spontanées, dans un mode collégial ». C’est aussi de manière spontanée et progressive que s’est formé ce groupe de personnes qui incarnent une diversité de positionnements, d’expériences, de points de vue…et de genres. En commun un désir de lutter contre les oppressions subies par celles et ceux dont les choix intimes et identitaires ne correspondent pas à une norme hétérosexuelle et aux standards des rôles genrés.
Parmi les membres les plus récents, Thomas, arrivé il y a 2 mois, nous confie ainsi le parcours qui l’a mené jusqu’à cet engagement, d’une éducation féministe à la découverte des « gender studies » (le courant universitaire américain rassemblant les réflexions sur la notion de genre http://www.scienceshumaines.com/les...) et à un questionnement personnel : « Je me définis aujourd’hui plutôt comme queer que comme homo, c’est pour ça que je suis allé vers les DAQ, j’ai eu peur qu’on me dise ailleurs “mais en fait tu n’es pas vraiment gay”. Si j’ai été élevé dans le féminisme, je me suis rapproché des Dures A Queer parce que dans les autres collectifs, je ne me reconnaissais pas autant ».
Hélène insiste également sur le contexte qui a engendré le mouvement. « Ce qui est important dans la fondation, c’est qu’on a fondé les Dures A Queer à une période où on était sous Sarkozy et où il y avait une grosse frustration, presque une rage des pédés, des gouines et des trans de pas être entendus, d’être méprisés. C’est parti à la base d’un groupe de personnes à Nantes qui tournaient autour de l’association Mix-cité http://www.mix-cite.org/presentatio..., assez diverses, étudiantes, instit, de milieux différents. Avec une envie qu’il y ait une parole militante à la Marche des fiertés de Nantes, on s’est regroupés et ça s’est fait de manière très fluide, on a rien contrôlé en fait, mais on avait envie de faire des choses ensemble. »
A l’occasion de la gaypride, la première action du mouvement annonce déjà la couleur : décalage, visibilité et provocation ludique sont incarnées par Wonderqueer, super héro-ine non genrée qui se bat contre les personnalités politiques ayant fait preuve de « LGBT-phobie » dans les médias. Mobilisant une quinzaine de personnes, l’initiative engendre de nombreux retours positifs, donnant le départ d’une série d’actions de rue à Nantes, sur le même mode coloré et original.
Travestissement des codes et réactivité à l’actualité, un héritage revendiqué
Parmi ces campagnes, les DAQ caricaturent en janvier 2013 la rhétorique du progrès qui domine les discours politiques depuis plusieurs années. Le diction populaire « On n’arrête pas le progrès » y sert alors des revendications radicales : PMA pour toutes les femmes, droit de vote pour les étranger-e-s. Sans oublier la note parodique moquant la publicité et la presse féminine avec le malin « L’égalité, notre secret beauté ». Autre série, le détournement du logo du célèbre film Ghostbusters, icône de la culture pop des années, 80, avec « Homophobes busters », une campagne de « nettoyage » à l’encontre des actions ouvertement homophobes dans l’espace public. Ou encore le « Queernaval » à l’occasion du carnaval de Nantes en février 2012.
Exemple marquant, la création du« Kit de démission des maires » http://demission-pour-tous.com/, un pack clé en main à destination des maires qui ne voudraient pas célébrer de mariage entre personnes de même sexe. Élaboré « dans un principe de simplicité », on y retrouve l’esprit rusé des DAQ, pour qui rancune et haine ne sont définitivement pas au programme. Au contraire, « on a vraiment eu de la peine en voyant ces maires qui devenaient hors la loi, on sentait leur souffrance » s’amuse encore Hélène. Dans les rues, le rose est leur couleur, sur les pancartes, les tenues, les banderoles, clin d’œil second degré aux stéréotypes de la féminité.
Si cette manière d’agir est leur signature - finesse et provocation face aux incompréhensions monolithiques - elle se situe aussi dans un héritage revendiqué et fondateur. Comme le rappelle adroitement Philippe, lui aussi engagé depuis les débuts, « il y a chez les Dures à Queer une manière de militer qui est assez large. Elle est sérieuse mais en même temps on ne se prend pas au sérieux. Tout ça c’est quand même un héritage de nos parents, tatas, d’Act up, de grandes furies qui travaillaient dans les médias, d’artistes, d’activistes féministes qui faisaient du détournement de publicités… Nous sommes les enfants de tous les gens qui ont milité depuis 40 ans et qui militent toujours, qui essaient de trouver des moyens efficaces de porter une parole politique. »
Il y a chez les Dures à queer une manière de militer qui est assez large. Elle est sérieuse mais en même temps on ne se prend pas au sérieux
Pensé par une majorité de vingt et trentenaires, le mouvement s’affirme aussi rapidement ancré et actif sur internet : lettres ouvertes sur leur tumblr, visuels libres, appels relayés via les réseaux sociaux. Ce fonctionnement double (espace public-espace numérique) est indispensable pour répondre à la transversalité des espaces d’expression politiques dans l’univers médiatique. Il est celui d’une génération aux manettes d’un nouveau militantisme numérique. Pour Neil, actif depuis environ 1 an auprès des Dures A Queer, la référence à la culture pop est une évidence, « C’est un réflexe maintenant d’utiliser le net, une manière hyper efficace de se rendre visible aussi. Et puis notre génération c’est la génération des jeux vidéo et ça fait partie de ce qu’on veut justement apporter dans le militantisme, cette culture-là. »
Jouer l’équilibre entre espaces publics et numériques
Lors des débats qui ont précédé le vote la loi sur le mariage pour tous, leur présence sur les réseaux, via facebook notamment, (ou le groupe compte plus de 800 membres) a été un moyen intelligent de créer de la confusion et de la réflexion face à la montée en puissance des mouvements opposés au projet de loi. Philippe se remémore cet épisode intense dans le combat des DAQ pour l’égalité des droits.
« Quand on a constaté que la manif pour tous prenait du pouvoir grâce à ce biais on s’est dit qu’on devait contre attaquer comme ça : on a pris des noms de domaines et de pages Facebook qui ressemblaient à ceux de groupes gravitant autour de la Manif pour tous, on a fait des faux groupes. On en a mis en place quelques-uns puis d’autres en ont rajouté, ça s’est fait tout seul. http://dures-a-queer.tumblr.com/pos.... Ce qui nous intéressait à ce moment c’était à la fois de montrer le ridicule de la Manif pour tous dans leurs collectifs fantômes et en même temps de créer de la confusion auprès d’eux, diffuser des faux tracts où on disait des énormités et que les gens croyaient. Montrer l’irréalité de leurs revendications. »
A l’occasion de leur dernière action de rue, « Trans Invaders » http://dures-a-queer.tumblr.com/pos..., le réseau social a encore une fois été un canal précieux pour la diffusion du message. Organisée le jour du T-dor [2], cette performance de « visibilité pure » est la dernière action coup de poing des Dures A Queer.
S’étalant sur des mètres de palissade de chantier au pied d’une station de tram très fréquentée, les affiches ont suscité les réactions des passants. L’ingrédient essentiel : un art de la confrontation tout en audace et pédagogie. Présent lors de cette opération, Morgan y a puisé fierté et enrichissement. La rencontre avec les passants a généré des échanges surprenants. « On a eu des retours positifs des gens autour de nous. Il y avait une réelle volonté d’en apprendre plus sur les trans. On avait distribué un tract qui expliquait ce qu’était le T-dor et précisait certains éléments de vocabulaire, les différentes possibilités de genre qui pouvaient exister. Face à cela, les gens étaient vraiment en demande et on tombait presque à pic ! »
Ce qui nous a frappés c’est que sur la question trans il y a surtout de l’ignorance
Si cette journée a conforté les membres dans la nécessité d’informer et de donner à voir avec positivité, les actions éducatives ne sont pas pour le moment la forme première choisie par les Dures A Queer.
Comme le précise Neil, également présent lors du T-dor, « les actions à la rencontre des gens ça demande énormément d’énergie et d’assurance. C’est donc important mais ça peut coûter. Le mieux c’est finalement de mélanger actions de visibilité pure et dure et diffusion. Et puis, les réactions violentes ou dures dépendent des questions qu’on aborde : ce qui nous a frappés c’est que sur la question trans il y a surtout de l’ignorance. Même si il y a des préjugés qu’il est important de déconstruire, on est moins confrontés à un avis déjà formé, négatif ».
Union et ouverture contre sexisme ordinaire
De « L’union chaste des objets contre le mariage homosexuel », à leur action la plus récente, les Dures A Queer se jouent donc des frontières et des degrés de lecture, sans pour autant en oublier sérieux et débats de fond. Comme le rappelle Hélène, « on a fait beaucoup d’actions de rue sur Nantes mais très vite on a commencé à se rapprocher des Panthères roses http://www.pantheresroses.org/, car nos lignes politiques sont très proches. On a commencé à faire avec elles une plateforme pour l’égalité des droits : un site avec différentes revendications dont le but était d’exprimer des revendications assez larges et partagées par plusieurs associations, collectifs, syndicats ou partis politique en France, afin de les soumettre au gouvernement ».
Ainsi, les alliances avec d’autres mouvements se font surtout sur des sujets spécifiques. « On peut aller voir d’autres collectifs, d’autres assos, pour des alliances ponctuelles, par exemple le Purple Block (NDLR : le Purple Block sera samedi 18 janvier 2014 à 14h place du Pilori pour la distribution du premier numéro de leur fanzine « LE SUPER POUVOIR DES TRANS ‘pendant les soldes’ ! » http://purple-block.tumblr.com/ ou le collectif Ouiouipoui https://www.facebook.com/Collectifo.... Ce sont des alliances qui doivent se faire pour élargir à la fois les actions, la parole et l’efficacité, précise Philippe, même si on aime bien avoir une indépendance sur nos sujets et nos actions. »
La nécessité de l’union et de l’ouverture apparaît importante au collectif, ce dans le cadre d’une pensée globale du système de genres, de classes et identités, où tout est lié. « On se définit comme un collectif féministe de trans de pd et de gouines, reprend Hélène, mais c’est évident que notre lutte découle totalement des luttes féministes. On a des oppresseurs communs avec d’autres associations, je ne sais pas si c’est une question d’élargissement ou pas mais tout est imbriqué, le sexisme, l’homophobie, le capitalisme, le racisme...on se rend compte que c’est les mêmes ficelles qui sont tirées derrière ces mots. Nous on aimerait revenir à la racine et lutter contre le sexisme.
Notre lutte découle totalement des luttes féministes...et l'oppression du sexisme ordinaire est présente pour tout le monde, pas seulement pour les femmes ou les lesbiennes
L’oppression du sexisme ordinaire est présente pour tout le monde, pas seulement pour les femmes ou les lesbiennes. Quelqu’un qui a envie de bouger là-dessus se reconnait dans nos actions. Les groupes autour de la Manif pour tous se sont certes décrédibilisés car ils sont clairement soutenus par l’extrême droite et ça a ouvert les yeux de certaines personnes. Mais le sexisme ordinaire il est là et la plupart des personnes vont se dire que “ naturellement ”c’est une femme qui va faire la vaisselle à la fin d’un repas ou qui va se lever pour amener les plats... »
Sur ce point, tout le monde autour de la table est d’accord, l’ouverture de ce combat va au-delà des revendications indispensables pour les droits des personnes LGBT, c’est aussi une question de statuts et de stéréotypes qu’il est urgent de pointer du doigt, par le pastiche ou les échanges.
Philippe surenchérit, « Hélène parlait du sexisme ordinaire, mais c’est pareil pour l’islamophobie. Au fond, c’est la banalisation d’une idéologie, avec les DAQ on veut essayer de contrer la banalisation des idéologies oppressives de manière globale ».
Quand on aborde la question des rôles et de l’aspect performatif du genre, les anecdotes fusent pour évoquer combien au quotidien il est délicat de vouloir figer les identités. Ainsi Philippe, malgré sa carrure imposante, nous fait part de sa perplexité face au rôle de l’homme qu’il serait censé incarner du haut de ses 35 ans : « Le “tu seras un homme mon fils” c’est fou…parfois je me sens comme un petit garçon par rapport à tous ces gens qui arrivent à se définir et se dire voilà aujourd’hui je suis un homme comme ça.
Il faut bien voir que le sexisme c’est une oppression aussi pour les mecs, même ceux qui se considèrent comme hétéros, de devoir jouer ce rôle-là, avoir cette figure-là. L’important c’est vraiment de déconstruire les stéréotypes, de mettre en place la fluidité et dans la manière d’agir, et dans la manière de militer et dans la manière de vivre. Pour en terminer avec toutes les choses qui nous oppriment au quotidien et dont on n’a pas forcément conscience, c’est important de les pointer du doigt et les réactiver au sein d’un collectif, de les travailler. »
Fluidité et communauté
L’important c’est vraiment de déconstruire les stéréotypes, de mettre en place la fluidité dans la manière d'agir, dans la manière de militer et dans la manière de vivre
Collectif à géométrie variable, les Dures A Queer fonctionnent depuis les débuts sur des principes de modularité et de volontariat, en tirant parti de ce que chacun peut apporter au débat et aux actions. « Ce n’est pas grave si des tendances s’inversent au sein des Dures A Queer, car des personnes s’investissent sur le moment, font des actions, chacun apporte sa petite pierre. Bien sûr c’est plus ou moins régulier mais on a un réseau qui nous suit et un réseau d’amis. C’est pour ça que même si on a un fil rouge, une identité, une politique, les personnes peuvent facilement venir et s’emparer des sujets ou en proposer. »
Pour autant, s’engager auprès des Dures à Queer, même ponctuellement, implique tout de même plus qu’une envie de défendre le droit à l’égalité. C’est avant tout le combat d’une communauté de personnes dont les choix identitaires les exposent au rejet, à la méconnaissance et à l’animosité. Ainsi, si la posture est celle d’un collectif ouvert et accueillant, qu’en serait-il des personnes qui souhaiteraient s’y impliquer sans se revendiquer LGBT ou queer ?
Leur réponse est intéressante : « Les personnes qui se définissent politiquement comme étant gouine trans ou pd ou plusieurs à la fois, toutes celles là peuvent venir militer. »
Se définir « politiquement » comme gouine ?
Philippe nous éclaire sur cette idée : « il faut pouvoir accepter que politiquement, dans l’espace public, tu te définis comme étant quelqu’un de trans pd gouine, après les pratiques personnelles ça relève de l’intime ».
« En fait, précise Hélène, il y a deux buts quand on fait une action, le but principal à mon avis c’est nous de se sentir fortes et de prendre le pouvoir, sur tout ce qui nous oppresse en général dans la vie. Par exemple sur Trans Invaders le but premier était vraiment que les personnes trans puissent se sentir fortes. On a fait plein d’actions où on devait hurler dans la rue “Je suis gouine et je suis fière !”...là le but premier c’est avant tout de se sentir fortes par rapport aux insultes etc. Après ça peut être couplé avec une action éducative, et c’est super, le fait de s’adresser aux personnes et d’avoir un rôle éducatif, c’est important aussi. Ça marche bien quand on tracte notamment. »
Une chose est certaine : les actions visibles et atypiques des Dures à Queer peuvent avoir un impact différent, que l’on décide de s’engager ou non avec elles.
Combien de genres, une fausse question ?
Au final, on a là un mouvement hybride, prenant racine sur des éléments communautaires mais déployant son action bien au-delà. Pour les résumer, l’idée de fluidité, qui revient souvent dans leur propos peut être un bon guide. Ne pas se limiter aux cadres habituels, flouter les limites, être dans l’entre-deux. Dans la théorie du genre, la mobilité personnelle est un élément fondamental : « Non seulement, la "théorie du genre" ne nie pas la (ou les) différence(s) des sexes, mais encore ne vise-t-elle pas à uniformiser les comportements en pulvérisant les constructions sociales existantes. L’enjeu du "genre", c’est avant tout de faire reconnaître que ces constructions sont précisément "construites", qu’elles sont culturelles et contextuelles et non pas "naturelles" ou "normales". Que partant, il est possible d’y échapper comme à tout déterminisme, pour se tracer un parcours plutôt que subir un destin. » [3]
Se tracer un parcours. Le pronom réfléchi est ici essentiel. Pour Hélène, c’est bien dans l’auto-détermination et le libre choix qu’on touche au cœur même de leur combat. Il n’est pas ici question pour les Dures A Queer de militer pour un hypothétique monde sans case, car comme le rappelle dans un soupir Morgan « c’est une utopie d’abolir les genres, il y aura forcément des gens pour réinstaller cette binarité, c’est la nature humaine... ».
Et même, la binarité que le Dures A Queer caricaturent peut parfois être nécessaire. Neil nous le rappelle à propos :« Quelque chose m’a frappé quand j’ai commencé à me poser des questions sur mon parcours trans, c’est que la binarité du genre chez les trans elle peut être très importante en fait, ça peut parfois être sujet de discorde, car c’est important pour une pers trans, pas forcément conscientisée sur le sexisme, de rester dans une limite bien définie, de se rattacher à un rôle de genre dans un stéréotype... »
prendre le pouvoir c’est aussi détourner les choses qui nous arrivent
Alors, toujours avec le souci de ne « confisquer la parole de personne », la voie choisie est claire. Ainsi, pour Hélène, « au fond c’est une fausse question de se dire “est ce qu’on veut un monde où il n’y ait plus de genre ou plein de genres ?” L’important ce ne sont pas les cases, mais de choisir et de s’autodéterminer. Et surtout, que ça ne soit ni l’état ni les médecins qui t’imposent ta case. Ce qui compte c’est que personne ne t’impose qui tu dois être, après qu’il y ait des cases ou pas peu importe il y en aura toujours pour nous définir. Le problème et la violence viennent bien à partir du moment où c’est d’autres personnes qui te définissent, ou le gouvernement, la médecine... »
Face à cette violence réelle, « prendre le pouvoir c’est aussi détourner les choses qui nous arrivent. Je n’ai pas forcément l’impression d’être une personne opprimée tous les jours, parce que je me mets des carapaces bien sûr. Mais on assume totalement la prise de pouvoir par l’humour. Et de manière générale la joie de vivre ! On peut être victime de sexisme, de transphobie de lesbophobie, d’homophobie, se faire insulter dans la rue quasiment tous les jours et être heureux ! On veut montrer qu’on est heureux et que ça n’empêche pas de vivre ! »
Une belle note pour clore cette rencontre avec ce collectif chez qui la lutte est aussi prétexte à sourire. Sans positivisme béat, les Dures A Queer luttent pour un grand OUI, figures d’un militantisme nouveau, décomplexé et contagieux.
Georgina Belin
Photos et visuels : les Dures à Queer
Bannière : Georgina Belin
Le blog des Dures à Queer : http://dures-a-queer.tumblr.com/ Leur page Youtube : https://www.youtube.com/user/lesdur...
[1] Femme d’allure masculine, autoritaire et criarde. Source : dictionnaire Larousse
[2] Transgender Day of Remembrance ou la Journée du Souvenir Trans, en hommage aux victimes de crimes,de violences, maltraitances et persécutions transphobes
[3] source : http://blog.francetvinfo.fr/ladies-...
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