
CARNET DE FESTIVAL FIF 85
Walter Murch et Ingrid Caven, monstres sacrés du cinéma
Leçon de montage et concert sur bandes lors du Festival International du Film de la Roche sur Yon
Un festival du cinéma, ce sont des avant-premières mais également des films rares que l’on voit peu sur les écrans et des rencontres avec des gens qui comptent dans le milieu. Retour sur de jolis moments de cinéma avec Walter Murch et Ingrid Caven.
Il faisait beau ce week-end là, une aubaine pour les invités du festival du film de La Roche-sur-Yon qui ont découvert la ville sous son meilleur jour. Assis en terrasse autour d’un verre, on croise le réalisateur Bertrand Bonello ; à l’entrée du théâtre, voici Ingrid Caven incognito ; on entend dire que Bernadette Laffont serait en train de manger des huîtres à quelques mètres de là… les personnalités du cinéma ont donc investi la ville pour le plus grand plaisir des badauds.
Leçon de montage par Walter Murch
Walter Murch, ce nom ne vous dit probablement rien mais le Monsieur est pourtant une légende dans le domaine du montage cinématographique. Si je vous dis Apocalypse Now, Ghost, Le Parrain 3, Le Patient anglais… tous ces films vous parlent certainement, vous en connaissez les réalisateurs mais pas l’artisan qui a travaillé image par image pour le montage final. Walter Murch est donc le monteur de tous ces films là et bien d’autres.
Sur la scène du Manège, il est venu parler de son travail, de l’évolution du métier, de la différence entre montage analogique et montage numérique. Une heure et trente minutes passionnantes à écouter celui qui a travaillé avec les plus grands. "La recette du montage est simple, c’est un peu de plomberie où l’on gère la masse d’info contenue dans tous les tuyaux, de l’écriture où l’on a coutume de dire que le montage c’est la troisième version de l’histoire après le scénario et le tournage et enfin c’est une pincée de performance pour faire entendre une petite musique au film, un peu comme le timbre du violon dans l’orchestre" explique le pédagogue Walter Murch. Son Mac trônant sur le pupitre pour faire défiler images et fichiers numériques, le monteur n’est pas avare d’anecdotes pour bien faire comprendre son métier ou plutôt sa passion.
Le montage analogique c'était quand même encombrant. Sur Apocalypse on avait 500 km de pellicules ; le film entier pesait 700 kg de pellicules. Vous voyez un peu le truc !
Apocalypse Now c’était en 1979 mais on sent encore l’influence qu’a eu ce film et le travail avec Francis Ford Coppola sur Walter Murch qui délivre quelques détails techniques : "Le montage analogique c’était quand même encombrant. Sur Apocalypse on avait 500 km de pellicules ; 10 minutes de film représentaient 5 kg donc à la fin du montage, le film entier pesait 700 kg de pellicules. Vous voyez un peu le truc !" Et quand un spectateur dans la salle lui confie qu’il n’a pas aimé la dernière demie-heure, il lui demande si il a vraiment eu carte blanche pour le montage. Walter Murch de répondre : "Quand on trouve un film réussi, c’est forcément grâce au talent du réalisateur et quand on le trouve mauvais, c’est à cause du travail du monteur… forcément !" Où l’on sent l’ingratitude de ce métier, comme tout travail de "petites mains" mais les mains de Murch sont d’or et, à 68 ans, il nous promet encore de beaux montages à venir.
Quand Ingrid Caven chantait…
Le lendemain, direction le théâtre pour une rencontre très attendue avec la présidente du jury Ingrid Caven. Les passionnés de cinéma sont là mais surtout les fans de l’énigmatique actrice. Car la projection qui se prépare est quasi-inédite, même Bertrand Bonello le reconnaît : "Ce film que vous allez voir, je le montre très peu, il n’est pas sorti en salles, je me contente de le présenter de temps en temps comme ici car c’est un objet cinématographique à part". Alors qu’est-ce que cette mystérieuse séance ? Et bien c’est la projection de la captation qu’a fait le réalisateur Bertrand Bonello d’un des derniers concerts de "la Caven" à La Villette à Paris.
Bertrand Bonello et Ingrid Caven, sur scène avant le début du film, se remémorent le point de départ de cette idée. "Ingrid faisait deux dates à la Villette, deux soirs de suite, c’était il y a trois ou quatre ans. J’ai assisté à la première représentation et je suis sortie de là complètement bouleversé, je n’avais jamais vu un show comme ça, à la fois punk, rock, classique… je retrouve Ingrid et son mari Jean-Jacques [ndlr : Schuhl, l’écrivain qui lui a consacré un roman] à l’issue du concert pour boire un verre et je leur dis que c’était un moment rare. Jean-Jacques m’explique que c’est dommage car le spectacle va devoir s’arrêter, faute de salles qui veulent programmer un concert aussi atypique. Je lui demande alors si on peut en garder une trace… et là, véhément, il me répond "Ah ça non, pas de trace, c’est un spectacle vivant, pas de trace" Bon, tant pis, je repars chez moi. À deux heures du matin, je reçois un coup de téléphone, c’était Jean-Jacques qui me demandait si je pouvais penser à une captation pour le soir d’après"… Et Ingrid Caven d’ajouter : "Il ne m’avait même pas demandé mon avis !" Et voilà comment ce projet fou est né, Bonello est parti acheter dans la journée deux petites caméras et le soir même il tournait. "Vous allez voir, c’est simple, c’est sobre car je n’ai pas voulu ajouter d’artifices, c’est Ingrid dans toute sa splendeur"…
Les lumières s’éteignent, le film débute et Ingrid Caven s’installe là, juste devant, pour regarder avec son public ce concert dont, nous non plus, nous ne ressortirons pas indemnes. Au-delà du concert qui est absolument lumineux, à la fois déjanté et très classique, une véritable performance en somme, ce sont les réactions d’Ingrid Caven qui sont fabuleuses. On se doute qu’elle n’a pas revu ce film depuis quatre années et elle réagit à ses mimiques, à certaines intonations, à ses postures… On se surprend à regarder Ingrid Caven se regardant elle-même sur l’écran et cela, c’est un de ces moments magiques que seul un festival de cinéma peut provoquer.
Delphine Blanchard
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