
PHOTOGRAPHIE
À mort la mort
La Quinzaine photographique nantaise (QPN) présente une quinzième édition où la mort côtoie la fête, l’errance et la folie. Visite sélective des expositions présentées au Lieu Unique et à l’Atelier.
« Dans une perméabilité de cette pulsion de vie et de cette pulsion de mort, je peux basculer de quelque chose de très vif et spontané à un retrait brutal. » Lors de l’inauguration de la QPN, la photographe Laëtitia Donval a en quelque sorte défini les contours dans lesquels prennent place la plupart des travaux présentés au cours de cette quinzième édition, placée sous le thème générique « À la vie, à la mort ».
Dans ses trois séries Nerves, Fest et La maison, exposées au LU, Laëtitia Donval juxtapose cinq années de sa vie partagées entre une période « faite de pas mal de brutalité dans [s]a manière de vivre et dans [s]a manière de photographier », qui la conduira à l’hôpital psychiatrique (série Nerves), et un retour nostalgique, plus introverti, vers sa maison familiale en Bretagne.
Visages inconnus
Dialoguant avec les images de Nerves, la série de Rimaldas Viksraitis propose une plongée aux limites du reportage gonzo dans le quotidien d’une Lituanie rurale et bruyante, peuplée d’animaux, de vieilles motos, de bonnes femmes alcoolisées à demi-nues et de gamins qui se promènent la clope au bec. Héritière du réalisme social du XIXe siècle, sa photographie en noir et blanc inscrit des personnages quotidiens, presque proches, dans un environnement empreint d’étrangeté. Et c’est peut-être dans cette distance, finalement, que le spectateur croit reconnaître les fêtards et les marginaux de Laëtitia Donval.
Dans la salle de projection, on retrouve The Ballad of Sexual Dependency, la célèbre soirée diapo trash de Nan Goldin. À travers ces presque sept cents images, la photographe américaine construit un lieu intime et domestique où des visages inconnus finissent par devenir à leur tour familiers. Où le sexe, leur sexe, apparaît dans toutes ses dimensions, quotidienne et spectaculaire, fertile et festive, baroque et déglinguée. On se croirait dans une chanson de Klaus Nomi, et on n’est pas surpris de le retrouver dans la bande-son. Le montage colle à la chronologie de l’existence : après la rencontre vient la violence, après le mariage viennent les enfants d’un siècle qui sent le tabac froid et le sperme. À la fin, les enfants ont grandi. Sur leurs muscles sont apparu des tatouages, et si on y regarde de plus près, on peut discerner la marque douloureuse d’une seringue.
« Des gens qui ne savent plus trop d’où ils sont »
À l’Atelier, Collecting my kisses réunit des photographies de trois séries de Jeffrey Silverthorne consacrées à la mort, dont le célèbre Morgue Work réalisé à la morgue de Rhode Island entre 1972 et 1974. Que ce soit à travers la photographie documentaire pure, la mise en scène ou le collage, l’auteur dresse le portrait métaphorique d’une société américaine hantée par la violence et les échos lointains de la guerre du Vietnam. Teinté de surréalisme, l’univers de Jeffrey Silverthorne dégage parfois une vague odeur de décomposition, qui rappelle l’atelier de Géricault peignant des restes humains pour parfaire les détails anatomiques du Radeau de la Méduse.
À travers une séquence d’accrochage très pédagogique, Une ligne d’erre [1] de Philippe Bazin figure à la fois les normes que produit l’institution (école, hôpital, hospice, prison, etc.) et la pulsion d’errance que contient en germe toute tentative de formatage social. La ligne apparaît ainsi à travers les portraits en noir et blanc issus du projet La radicalisation du monde auquel Bazin a consacré plus de vingt ans de travail. Autour de cette séquence horizontale, des paysages vides évoquent les traces de ce que sa photographie devient aujourd’hui, tout en proclamant la difficulté d’appartenir à un territoire. « Je croise des gens qui ne savent plus trop d’où ils sont, explique Philippe Bazin. Comme s’il était devenu impossible que les deux figures – le visage et le paysage – coïncident dans la même image. »
En revanche, la série My Little Dead Dick du duo sino-américain Madi Ju/Patrick Tsai se révèle peu convaincante : l’exercice n’est pas nouveau, qui voit deux jeunes photographes raconter leur rencontre dans une écriture vaguement inspirée par l’iconographie d’Internet, là où ont eu lieu leurs premiers échanges. Au final, on peine à mesurer l’épaisseur d’un temps trop court – environ une année – et sur lequel repose pourtant la trame du projet.
Alban Lécuyer
La QPN se tiendra jusqu’au 16 octobre dans une demi-douzaine de lieux d’exposition. Outre à l’Atelier et au LU, les expositions sont visibles au Temple du Goût, à la billetterie du Grand T (passage Pommeraye), à la galerie photo de la Fnac, à la galerie Confluence et à la galerie du Rayon Vert. Toutes les infos sur le site de la QPN www.qpn.asso.fr
[1] Oxymore emprunté à Fernand Deligny, éducateur spécialisé dans la France de l’après-guerre, qui désignait ainsi les déambulations des jeunes autistes dont il avait la charge.
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