
CARNET DE FESTIVAL FIF 85
Jung et Freud convoqués pour la première soirée du FIF 85
J+1 : la cérémonie d’ouverture
Le Festival international du film de La Roche-sur-Yon (FIF 85), c’est parti ! Six jours de cinéma dans la ville la plus cinéphile de France. Pas de strass ni de paillette mais de la compétition internationale avec des films pointus, des cartes blanches avec des films populaires, des rétrospectives pour (re)découvrir des pépites du cinéma et un jury présidé par la légendaire Ingrid Caven.
Depuis quelques jours, La Roche-sur-Yon change d’humeur. Napoléon doit partager sa fameuse place avec un grand chapiteau bleu. L’esplanade du Manège, si déserte d’habitude, est devenu "THE place to be". Des petites pancartes "Direction FIF" pullulent à tous les coins de rue. On sent un petit vent d’effervescence dans la ville yonnaise si souvent calme.
Et si je vous vois d’ores et déjà sourire à l’idée qu’un festival international a lieu à La Roche-sur-Yon, pourtant, c’est largement justifié. Pour la deuxième année consécutive, selon une étude du centre national du cinéma (CNC), la ville arrive en tête du classement des villes les plus cinéphiles en France. Rien que ça. Avec 11,22 entrées par habitant par an, la ville napoléonienne explose tous les scores, comparée à la moyenne nationale de 3,37 entrées par habitant par an. Il faut dire qu’avec un multiplexe programmant têtes d’affiches et blockbusters et un petit cinéma art et essai proposant des films sortant des sentiers battus, les Yonnais ont la possibilité de choisir mais surtout de passer de films grand public à des propositions plus singulières.
Ingrid Caven, égérie de Fassbinder
Revenons au festival et à sa compétition internationale. Qui dit compétition dit jury. Cette année, c’est l’immense Ingrid Caven qui le préside. Née à Sarrebruck en Allemagne, elle est actrice de cinéma et de théâtre, chanteuse… et héroïne de roman ("Ingrid Caven" de Jean-Jacques Schuhl a reçu le Prix Goncourt en 2000). Elle a joué dans neuf films de Rainer Werner Fassbinder – dont elle fut l’épouse de 1970 à 1972 – tourné pour Werner Schroeter, Jean Eustache, Daniel Schmid, Raoul Ruiz… Lors de la cérémonie d’ouverture, ce petit brin de femme, fleur au chemisier, s’est exprimé avec gentillesse : "La Roche-sur-Yon, j’ai dit oui parce que ce nom sonnait bien…" On se doute bien que ce nom ne lui inspirait rien du tout mais on voit là toute la simplicité et la délicatesse d’une immense actrice. À ses côtés, le cinéaste et producteur québécois Denis Côté ; la metteuse en scène et auteure Célia Houdart ; le critique d’art et organisateur d’expositions Bernard Marcadé ; le réalisateur Matt Potterfield (qui avait reçu le prix du jury lors du dernier festival). Un jury réunissant des artistes tous plus talentueux les uns que les autres pour une compétition qui s’annonce riche en découvertes.
Cronenberg en avant-première
Cette année, pas de film en compétition dès la cérémonie d’ouverture mais une avant-première : "A dangerous method" de David Cronenberg qui sortira dans les salles françaises le 21 décembre prochain. David Cronenberg, on le connaît pour "Dead Zone", "La Mouche", "Crash", "eXistenZ"… des films sombres, mêlant fantastique et horreur qui montrent le corps dans son état le plus violent, souvent mutilé et martyrisé. Changement de registre avec ce film d’époque dont l’action se déroule dans les années 1900 et à la mise en scène plus conventionnelle. Mais le sujet principal rapproche le réalisateur de ses thèmes de prédilection que sont le double et la métamorphose. Ici encore, c’est une histoire de double : Carl Jung (joué par Michael Fassbendrer) et Sigmund Freud (Viggo Mortensen). Ou comment l’on voit les prémices de la "psy-analyse" se muer en psychanalyse et prendre de plus en plus d’importance dans un monde régit par la médecine traditionnelle.
Très réussi, le film de Cronenberg – même s'il doit fantasmer quelques scènes entre Jung et Freud – est historiquement très intéressant.
L’histoire en quelques mots : Zurich, 1904. Carl Jung, 29 ans, psychiatre, est au début de sa carrière et partage sa vie avec sa femme, Emma. S’inspirant des travaux de Sigmund Freud, Jung tente le traitement expérimental connu sous le nom de psychanalyse sur Sabina Spielrein, âgée de 18 ans (interprétée par Keira Knightley, absolument bluffante dans ce rôle difficile). Jeune Russe, cultivée, qui parle l’allemand, Sabina a été diagnostiquée "hystérique". Lors de ses séances avec Jung, elle parle de sa jeunesse gâchée par les humiliations et un penchant sexuel sadomasochiste. Grâce à leur correspondance, Jung parvient à une grande complicité intellectuelle avec Freud, sur le cas de Sabina. Freud demande à Jung de traiter un collègue, Otto Gross (Vincent Cassel, parfait comme à son habitude), toxicomane et polygame. Sous son influence, Jung va balayer sa propre éthique et se laisse aller à son attirance envers Sabina. C’est le début d’une liaison dangereuse…
Très réussi, le film de Cronenberg – même s’il doit fantasmer quelques scènes entre Jung et Freud – est historiquement très intéressant. Comment la complicité est née entre Jung et Freud. Comment le maître (Freud) se fait peu à peu distancer par le disciple (Jung). Comment leurs avis divergent quant à la relation entre sexe et psychanalyse : il est bien connu que pour Freud, le sexe régit tout ; pour Jung, la sexualité est importante dans le psychisme de l’homme (il reconnaît que la base des névroses se situe dans les fantasmes sexuels de l’enfant) mais ne représente pas toute la vie psychique. Elle peut prendre une allure plus spirituelle.
À partir de 1911, Jung prend également de la distance avec les théories de Freud sur l’interprétation des rêves. Pour lui les rêves ne sont pas que réalisation de désir ; ils se réfèrent au symbolisme, aux mythes, à l’histoire de l’humanité.
Une histoire de la psychanalyse passionnante donc pour les 50 ans de la mort de Carl Jung en cette année 2011. Une avant-première qui montre que le cinéma c’est aussi mieux comprendre l’histoire et le monde qui nous entoure. Bon choix pour l’ouverture du FIF 85 !
Delphine Blanchard
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