
FOCUS
Venise en pince pour l’art
La Biennale d’art contemporain jusqu’au 27 novembre 2011
Venise, ce sont les innombrables ponts et canaux, les gondoliers et leur joyeux O Sole Mio, les pigeons sur la place San Marco mais c’est aussi, tous les deux ans, la fameuse Biennale d’art contemporain qui est aux arts plastiques ce que la Mostra est au cinéma. La Biennale en quelques mots : un foisonnement de pavillons à la manière d’une exposition universelle, des artistes tous plus délirants les uns que les autres, des installations grandioses, du conceptuel poussé à son maximum... Petit tour d’horizon au cœur de la cité vénitienne.
9 heures, un matin du mois d’août. La place San Marco est déjà pleine de pigeons et de touristes, l’historique et luxueux Caffè Florian sert à tour de bras des Espressos ou des Ristrettos et la file d’attente pour la visite de la basilique commence sérieusement à donner le tournis.
Les paquebots de croisière accostent le long du Grand Canal, déversant leur lot de touristes chinois se précipitant, appareil photo en bandoulière, vers le Ponte dei Sospiri (comprenez pont des Soupirs), il est grand temps de sortir des sentiers battus afin d’apprécier comme il se doit la bellissima Venizia.
Venise c’est d’abord et avant tout une ville d’art. Le Tintoret, Canaletto, le Titien, en leur temps, ont été inspirés par la cité des Doges. Il faut dire que la ville est un véritable musée à ciel ouvert : palais sublimes le long du Grand canal pour le clinquant, ruelles pavées pour l’authenticité, façades colorées pour la bonne humeur. Venise rayonne de mille feux et les artistes la lui rendent bien. Gallerie dell’Accademia, Ca’Rezzonico, Ca’Pesero, autant de musées pour admirer les peintures de Véronèse et Bellini (oui, oui, LE cocktail de tous les happy hours vénitiens – le sucré Bellini – doit son nom à un célèbre peintre vénitien). Côté art contemporain, c’est du côté des Giardini (immense parc boisé) et de l’Arsenale qu’il faut se rendre pour admirer les créations de la crème artistique contemporaine.
Un saut de vaporetto plus tard (ou quelque 30 minutes à pied pour les plus courageux), loin de l’effervescence des quartiers touristiques, le parc des Giardini accueille les œuvres de la Biennale intitulée cette année "Illuminations". Il est 9h30, la Biennale ouvre ses portes à 10h ; l’occasion de faire un tour dans le quartier... et c’est ici que se révèle Venise. Ici, une mama italienne étendant son linge par la fenêtre ; là, un Italien pur jus attablé à la terrasse d’un bistrot ; et là-bas, un petit bateau de pêche brinquebalant qui accoste sur le petit port. Vous l’aurez compris, c’est ici que tout se passe, c’est dans ce quartier populaire que Venise montre son authentique visage. On se dit qu’en juin, lors de la semaine de vernissage de la Biennale, le choc des cultures entre les artistes bobos de tous poils et les habitants du quartier doit être intéressant ethnologiquement parlant !
Boltanski excelle
10h, les portes ouvrent et il n’y a pas foule. Parfait pour prendre le temps de papillonner entre les différents pavillons sans bousculade. L’impatience me faisant trépigner, je file directement vers le Pavillon français, dédaignant honteusement tous les autres pavillons qui jalonnent mon chemin. Mais Christian Boltanski n’attend pas ! C’est lui cette année qui a été choisi pour représenter la France. L’honneur suprême pour un artiste. Un peu comme président du jury du Festival de Cannes pour un acteur ou un réalisateur ! Enfin, quoique...
Succédant à Claude Lévêque en 2009 et Sophie Calle en 2007, Christian Boltanski propose ici l’œuvre "Chance". Et on l’entend de loin... bien avant d’arriver, les rouages du mécanisme distillent un son assourdissant qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère que Boltanski avait brillamment su créer lors du Monumenta au Grand Palais à Paris en 2010. Cela semble donc être de bon augure. La "petite musique" de Boltanski semble être en marche. Il avait déçu lors de la Biennale de Melle avec ses Archives du Cœur recyclés, ici on espère qu’il va nous enchanter et nous emmener dans son monde si caractéristique.
Chacun est ainsi invité à participer à un jeu consistant à recomposer sur un écran un visage à partir de fragments de visages de bébés et de vieillards qui défilent à toute allure.
Alors "Chance" c’est quoi exactement ? Un long ruban composé de 600 visages de nourrissons qui gravitent mécaniquement le long d’un grand échafaudage. A peine nés et déjà embarqués sur le grand huit de la mort – ou de la vie. À intervalles irréguliers, une sonnerie retentit, le fracas modéré s’arrête, le ruban ralentit, le visage d’un nouveau-né s’immobilise sous l’objectif d’un appareil photo. Il est saisi, il a été choisi. Pour concrétiser cette idée de la chance, Boltanski a souhaité concrètement mettre en place une loterie pour chacun des visiteurs. Chacun est ainsi invité à participer à un jeu consistant à recomposer sur un écran un visage à partir de fragments de visages de bébés et de vieillards qui défilent à toute allure. S’il arrive à restituer un vrai visage en poussant le bouton au bon moment, il gagne l’œuvre. La vie, la mort et le hasard donc.
L’œuvre est spectaculaire, le message poignant et pour une fois plutôt positif. En effet, un décompte (à gauche et à droite de la pièce) rappelle les chiffres quotidiens de morts et de naissances, démontrant que la population s’accroît chaque jour (il y a en moyenne chaque jour 200 000 enfants qui naissent de plus que d’humains qui meurent). Boltanski surprend par ce message d’espoir, lui qui a plutôt pour habitude de parler des morts (son travail est souvent lié à la Shoah). Son installation semble dire "Nous ne serons pas remplaçables mais nous sommes heureusement remplacés". À l’image de ces deux chaises "parlantes" dispersées autour du pavillon et qui demandent, lorsqu’on s’y assoit : "Est-ce la dernière fois ?".
Même si la Biennale regorge de pépites artistiques comme le pavillon allemand (une église entièrement reconstituée dans l’enceinte du pavillon ; autel, vitraux... tout y est, la mise en scène est bluffante) ou le pavillon américain (un char d’assaut retourné sur lequel est installé un tapis de course pour remplacer les chenilles ; des coureurs se relaient pour cette course de l’impossible), le pavillon français de Boltanski se distingue haut la main. L’artiste manie le concept tout comme l’humour et tout cela via une mise en scène parfaite. Boltanski sait théâtraliser ses expositions en invitant le visiteur à être partie prenante et c’est en cela qu’il fait la différence. L’art devient un jeu sans pour autant perdre son sérieux et son efficacité dans le propos. La Biennale a porté chance à Boltanski et son œuvre nous a illuminé. Bravo l’artiste !
Delphine Blanchard
Bloc-Notes
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