
PORTRAIT
L, la belle personne de la chanson française
Rencontre aux Francofolies de la Rochelle
Depuis quelques mois, elle est partout. Dans les bacs avec Initiale, sur les ondes avec le subtil «  Mes Lèvres  », à la une de Télérama affichant audacieusement «  La Chanson française c’est L  ». Elle, c’est Raphaë le Lannadère alias L. L comme liberté, lumineuse, littéraire. C’est ainsi qu’elle nous ait apparu quelques heures avant son concert aux Francofolies de La Rochelle. Une artiste valsant avec grâce entre la romance amoureuse et les histoires d’engagement. Sur ses lèvres, un bonheur revigorant, une lucidité touchante, une nécessité pressante de coups de foudre littéraires, amicaux, musicaux.
L’année passée, L était l’une des heureuses élues du Chantier des Francos [1]...
Un an plus tard, elle n’est plus la même... aux yeux des médias seulement. Prix Barbara obtenu en juin dernier, prix Félix-Leclerc remis aux Francofolies deux jours plus tôt, le succès de sa chanson française engendre la curiosité, l’admiration parfois, et la trentenaire le vit plutôt bien. « Je suis ravie et très heureuse. J’espérais peut-être tout ça quelque part. Il y a deux ans c’était très difficile, aujourd’hui enfin c’est complètement différent... ». Les traits de son visage ont beau être fatigués, ils ne laissent paraître que ce sentiment de satisfaction. Chacune de ses réponses est propice à un « c’est chouette ! » des plus touchants. Son retour aux Francofolies, le concert du soir, la première partie d’un grand artiste ne la paniquent aucunement. « Pour l’instant c’est chouette. La salle est magnifique, l’acoustique superbe, on joue trois quart d’heure et c’’est une durée qui permet véritablement de raconter des choses. Enfin, on joue avant Maxime Le Forestier, et ça me plaît drôlement. Je pense que les gens venant le voir pourront être séduits par notre univers. »
L’univers de la jeune artiste est un monde où l’on joue collectif. L est singulière mais ne voyage pas en solitaire. Elle trace sa route artistique avec sa bande, et chez elle le « on » est naturel. Naturellement attendrissant. « Quand je me pense sur scène, je me pense avec eux, ce sont des musiciens exceptionnels et aussi mes amis. Le disque, il s’est élaboré de façon familial avec BabX et sa bande qui est aussi la mienne. ». BabX [2], ami de longue date et frère de musique, c’est le chef d’orchestre maniaque et élégant qui a taillé son petit joyaux musical brillant dans la pénombre. Le disque de L c’est aussi lui, et quand on demande à la principale intéressée comment l’ambitieux tandem a abouti à cette succession de titres nocturnes, incroyablement lumineux dans le ressenti à l’écoute, elle répond instantanément : « On bosse ! ». Le travail d’orfèvre en quête permanente de l’émotion poétique et musicale s’élabore sur la durée. « C’est énormément de travail, de réflexions, des avancées, des retours aussi, poursuit-elle. L’avantage d’avoir des vrais compagnons de route dans la vie c’est le partage des découvertes, des écoutes de chacun ».
Une gracieuse initiale s’inscrivant avec plaisir dans la grande chanson française
L c’est une voix, mais bien avant cela, une oreille attentive et sensible et ce dès le plus jeune âge. Dans sa discothèque familiale, il y a avait foule de grands. Barbara et Brel en tête. Elle précisera amusée de la coïncidence : « Je crois même que ma mère écoutait Barbara quand elle me portait dans son ventre, donc ça remonte à très loin. Avec Billie Holiday ce sont mes deux mamans musicales ! J’ai un rapport émotionnel très particulier avec leurs musiques, je les reconnais immédiatement n’importe où, en deux notes ! ». Les confessions avancent naturellement, et confirment le portrait qu’on se faisait de cette artiste, belle personne passionnée et passionnante, chez qui le mot est roi... comme jadis il l’était chez les grands artistes français. Elle cite Barbara, Ferré bien-sûr. N’oublie pas les Anglo-Saxons, des Beatles à Radiohead. On écoute avec plaisir l’énumération de ses influences, ses sources de création. Elle ne joue pas l’artiste cérébrale, elle l’est.
Elle ressasse les lectures marquantes non pas pour les citer mais pour les diffuser, pour continuer à faire vivre l’émotion magique qui s’en échappe. Elle a « dévoré » Antonin Artaud, Georges Bataille, Marguerite Duras, mais aussi Aimé Césaire, Aragon, Baudelaire et ses Fleurs du Mal, le « grand choc » de sa vie ! L’émotion est le maître mot de cette nouvelle grande dame de la chanson. Une émotion chipée à un événement du quotidien, un souvenir familial, une lecture. Une émotion planant sur tout un disque où on semble croiser au détour de certains titres le spectre de Barbara. Comment ne pas parler de cette filiation ? Comme la dame en noir, L berce ses compositions dans l’obscurité de la nuit parisienne, vertigineuse, douloureuse, et dans cette pénombre si féconde L, gracieuse initiale, fait surgir la luminosité du texte. Et tant mieux si on voit surgir dans son œuvre débutante tout l’historique de la chanson française. On pointe du doigt son côté « rétro », et elle l’assume avec ce regard exalté qui n’appartient qu’à elle. « Je trouve ça réellement chouette de s’inscrire dans une tradition, je ne vois pas le mal là-dedans. Il me semble que les groupes anglais s’inspirent des Beatles, et je ne vois pas pourquoi nous devrions renier les nôtres. Je vis en 2011, j’écoute Björk et Radiohead et dans ce disque je pense qu’il y a autre chose qu’à proprement parler des valses et de la musette ». Tellement d’autres choses...
S’engager par le texte, par l’émotion, comme une nécessité
On pointe du doigt son côté « rétro », et elle l'assume avec ce regard exalté qui n'appartient qu'à elle.
L’amour des mots épouse chez la jeune artiste l’amour de la musique, passion incommensurable, qu’elle apprend à maîtriser vers l’âge de 20 ans, époque de son entrée chez Les Globes-trotters. Dans cette école, Martina Catella, sa professeur d’ethnomusicologie, l’amène à la découverte du monde entier par le prisme du chant. « On s’est baladé à beaucoup d’endroits sur cette planète et j’ai pu récolter multiples chants polyphoniques, explique-t-elle. C’était merveilleux comme expérience, j’ai pu chanter avec d’autres des chants corses ou tziganes, du gospel. Ces musiques m’ont fortement appris pour l’aspect technique. Ensuite elles ont aussi grandement nourri mes idées, ma façon de faire des chansons » . Après avoir obtenu l’explication de ce qui fait le charme d’Initiale, ce collage de styles sans frontières, si inventif, sur lequel vient se poser un chant envoûtant, il fallait frôler l’insaisissable pour le commun des mortels : le processus d’écriture d’une chanson. La réponse fuse : « C’est toujours l’émotion ! Ce qui m’a émue, ce qui me bouleverse. Des choses qui se passent dans le monde ou à l’inverse tout près de moi, des souvenirs, des choses qui me manquent terriblement ». L cite « Petite » en exemple, titre engagé, où un homme tombe follement amoureux d’une prostituée sans papiers. Puis elle parle, avec soucis de lisibilité, de cet autre titre, « El Djazaïr », qui ne figure pas sur l’album mais qu’elle aime interpréter sur scène avec ses compagnons. Dans ses yeux, l’engagement se lit, vital et nécessaire. « Cette chanson est née après une lecture merveilleuse, un récit contant l’engagement de deux appelés en Algérie. L’un qui arrive et assiste le soir-même à une scène de torture, et qui quitte l’armée, déserte pour rejoindre le FLN. Ce sont des histoires qui m’ont beaucoup touchée. El Djazaïr parle vraiment de l’engagement ». L entretient cette grande caractéristique de la chanson française : s’engager. S’engager par le texte, par l’émotion. Là où certains artistes rechigneraient à endosser cette étiquette, L l’approuve sans hésiter. Artiste engagé elle l’est : « ce n’est pas un gros mot je crois. Ce n’est jamais au premier degré chez moi, car je trouve qu’il est très difficile. Les chansons justement touchent l’émotion et je trouve ça pas mal de saisir un prétexte, une histoire d’amour et d’amitié, aboutissant à un engagement final dans le texte ».
Pour la suite, L reste vague. Elle divague avec plaisir. Une tournée dès la rentrée « merveilleux, selon elle, parce que l’on va pouvoir avancer musicalement tous ensemble ». Un peu d’écriture pour les autres peut-être, mais attention pour cela il lui faut des « coups de foudre ». Écrire pour un autre art certainement, le théâtre, pourquoi pas. Pour l’instant, elle a juste envie de se « nourrir un peu, de chercher de nouvelles matières, de voir autre chose que la chanson ». L donne une image d’elle qui colle parfaitement à ses mots, aventurière de la musique, curieuse des choses de la vie, une jeune femme sereine à l’élégance flagrante et modeste. Une ultime question s’impose à elle : s’imaginerait-elle emprunter le même parcours que ces artistes qui débutent sur une des scènes gratuites des Francofolies, passent au Grand Théâtre de La Coursive l’année suivante, pour finir fatalement sur la grande scène de Saint-Jeand’Acre face à 12 000 personnes quelques années plus tard ? « Non pas du tout, dit-elle avec un léger sourire. Mais un ami m’a raconté que Barbara était venue chanter là, elle est restée toute la journée sur cette scène à écouter le vent, la mer, à laisser les techniciens installer le plateau. De savoir que finalement des gens l’ont écoutée elle là-bas, je me dis que c’est peut-être possible. Mais a priori mes chansons comme ça en plein air... ». Elle ne finira pas sa phrase. Peut-être parce qu’elle est de l’ordre du fantasme artistique. Peut-être aussi parce qu’elle sait que chaque endroit, chaque scène possède une émotion différente. Mais si Barbara l’a fait, L peut sans aucun doute le faire. Happer, elle aussi, les âmes et consciences de 12 000 personnes. C’est tout ce qu’on lui souhaite : toucher le plus grand nombre avec sa qualité artistique qui n’appartient qu’à elle.
Initiale de L (Tôt ou Tard)
L sera le 29 novembre prochain en concert à la Salle Paul Fort à Nantes.
[1] Le Chantier des Francos : Depuis 1998, tout au long de l’année à La Rochelle, Les Francofolies proposent des ateliers et des résidences de travail accompagné par des professionnels professionnels permettant d’optimiser, perfectionner et affiner le projet artistique d’un point de vue scénique. Ce projet s’adresse (gratuitement) à tous les artistes émergents de la scène francophone qui répondent aux critères artistiques du Chantier. Ils ont fait escale au Chantier : L, Cascadeur, Arnaud Fleurent-Didier, le Prince Miiaou, Emily Loizeau...
[2] BabX, de son vrai nom David Babin, talentueux auteur-compositeur-interprète français qui a notamment travaillé avec Camélia Jordana ou Julien Doré. Son Myspace
Bloc-Notes
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