
Cosmopolis, Maghreb : Regards sur... Paroles de...
Le Maghreb et ses femmes : liberté, religion et rêve-olution
Rencontre avec Wassyla Tamzali
Fervente défenseure des droits des femmes et algérienne de surcroît, Wassyla Tamzali est l’invitée rêvée pour une soirée conférence-débat sur le thème des femmes au Maghreb. Organisée dans le cadre de Maghreb Regards sur... Paroles de..., du 7 avril au 7 mai 2011, à Nantes, la rencontre a donné lieu à un vif échange sur la place des femmes dans le monde arabe, le rapport à la religion, à l’Islam et l’importance des révolutions arabes dans leur reconnaissance.
Ancienne avocate, journaliste, écrivaine, directrice des droits des femmes à l’Unesco, figure éminente du féminisme mais algérienne avant tout... Wassyla Tamzali est tout à la fois. "Je suis le fruit d’un métissage et quand on parle de mixité, je me sens concernée", lance-t-elle, en guise d’introduction. Face à elle, un public essentiellement féminin. Le sujet s’y prête : "Dignité et unité des mouvements des femmes au Maghreb". Certaines sont d’origine maghrébine, algérienne, berbère ou tunisienne... "Mais toutes différentes". Le débat se veut large, abordant aussi bien la condition des femmes au Maghreb que la question du port du voile, de la religion, du rapport homme/femme sans oublier l’actualité, brûlante, de ces derniers mois.
Le féminisme, elle y tient
Militante des droits des femmes, au sein même de l’Unesco pendant 20 ans, Wassyla Tamzali tient à ce combat. Pour elle, les femmes sont le paramètre clé qui établit la relation entre les deux rives de la Méditerranée, nord et sud. "Quand on parle d’Islam, on ne parle que de la question des femmes". Une hiérarchie sexuelle qui prend forme au sein même de la cellule familiale et de la société. "Les hommes dominent les femmes et on observe une forme d’adoration vis-à-vis de ces derniers". Une voix s’élève dans la salle. Le Maghreb n’est pas une exception sur ce point, précise une femme. Des rires fusent dans la salle. Mais Wassyla Tamzali ne perd pas le fil de sa pensée. "Il ne faut pas oublier la notion d’égal car, même aujourd’hui, ça ne passe toujours pas d’être l’égal de ses frères, de son mari..." Même chez nous...
Car la France n’est pas épargnée. La Une de Libération du 2 avril dernier titrait alors "Le retour des 343 salopes". Quarante ans après le premier manifeste (1971 dans le Nouvel Obs) sur le droit à l’avortement, un nouveau Manifeste des 343 voit le jour. Nous sommes en 2011 et l’égalité des sexes n’est toujours pas acquise, aussi bien dans les têtes que dans les faits. "En Italie, on scande, encore aujourd’hui, "ni mère, ni putain" dans les manifestations féministes", souligne Wassyla Tamzali. La route est longue et pourtant, de grandes avancées ont été faites, au niveau des institutions. "Le droit européen est un modèle, un exemple pour les droits des femmes mais, même avec ça, cela ne fonctionne pas à voir la pyramide des salaires dans nos sociétés..."
Le plus dur, aujourd'hui, est de passer de la libération à la liberté
Révolutions arabes : l’histoire en marche
L’actualité se mêle très vite au débat. Comme une évidence pour cette Algérienne, qui jette un regard personnel sur ces événements. "C’est l’Histoire qui se remet en marche". Tous sont des pays décolonisés qui ont connu des mouvements de violence, notamment en Algérie, pour la libération du territoire. Et aujourd’hui, on assiste à une lutte pour la liberté. "Dans ces pays arabes, pendant cinquante ans, on a observé des opérations forcenées, de la part des régimes autoritaires, pour arrêter l’Histoire, pour empêcher toute forme d’expression et de liberté et le plus dur, aujourd’hui, est de passer de la libération à la liberté".
Et quand on l’interroge sur la situation en Algérie, ce n’est qu’une question de temps pour elle. "Nous ne sommes pas face à un phénomène domino, à savoir quel pays est le suivant sur la liste, mais plutôt face à un effet tâche d’huile, qui se propage inévitablement". Et le contexte algérien diffère, de part son histoire. "Ce qui arrive en Égypte est arrivé en 1988 en Algérie, avec vingt ans d’avance"
Pourquoi, en 1789, y-a-t-il eu révolution en France et non en Italie, par exemple ? C’est une alchimie magique qui fonctionne, à un moment précis, sans que l’on sache pourquoi
Mais où sont les femmes dans ces révolutions ? "Il est vrai, qu’instinctivement, on les cherche dans les manifestations. Sont-elles voilées ? Il y a beaucoup d’interrogations sur ce qui va advenir", interroge Wassyla Tamzali. Se dirige-t-on vers une possible évolution ou régression de la condition des femmes ? Un glissement sensible à surveiller de près. Ce rendez-vous avec l’Histoire amuse, dans un sens, Wassyla Tamzali : "Pourquoi, en 1789, y-a-t-il eu révolution en France et non en Italie, par exemple ? C’est une alchimie magique qui fonctionne, à un moment précis, sans que l’on sache pourquoi". Et l’année 2011 sera celle du Maghreb, de ces anciennes colonies, trop longtemps bridées par des monarques-dictateurs, et qui se soulèvent par la seule force du peuple. "On peut parler de réelle révolution car on entend, pour la première fois, des revendications libertaires, avec en tête une nouvelle génération, très éduquée et qui est en train de faire exploser ces cadres figés depuis 50 ans. C’est dans ce mouvement que les femmes pourront s’exprimer et construire un certain féminisme. Il faut que, dans ces pays, on accepte la liberté de conscience, la liberté de croire ou non". Un lourd verrou à faire sauter.
Islam et liberté de conscience
Libertaire : ce qui prône une liberté absolue et rejette toute autorité alors en place. "Un terme encore étranger pour ces pays, souligne Wassyla Tamzali, et dans ce sens, ces revendications sont vécues comme une menace, un danger".
Avec ces révolutions arabes, l’euphorie a d’abord gagné la majorité, les Occidentaux en tête, mais très vite, "certaines images ont fait peur, comme ces milliers d’hommes, dans la rue, en train de prier". La peur de cet islamisme radical qui prendrait le pouvoir dans ces sociétés, à peine libérées. Pendant des années, des dictateurs, tels que Moubarak ou Ben Ali, ont été tolérés - voire soutenus - par les pouvoirs occidentaux, soit-disant remparts contre la montée de l’islamisme et du terrorisme. Pour Wassyla Tamzali, "on ne peut pas dissocier islamisme et pouvoir en place, il y a collusion et on a clairement laissé la rue aux islamistes".
Le voile, en soi, ne me dérange pas, mais ce sont les discours tenus à ce sujet qui me dérangent et peuvent être dangereux
La conséquence ? Le contrôle de la conscience par la religion. "Comme l’opium du peuple, pour reprendre Karl Marx, la religion est alors un moyen de contrôle social total. On sacralise la condition des femmes, en disant que Dieu ne cautionnerait pas tel comportement", s’alarme Wassyla Tamzali. Et de rappeler, qu’il y a quelques années, le port du voile était justifié pour des raisons sociales, alors qu’aujourd’hui, la justification religieuse a pris le dessus. "Certains modèles deviennent alors des règles de conduite dangereuses comme le fait de porter le voile. Une femme non voilée est une femme "nue" selon une expression arabe. Pour ces femmes, c’est un choix libre d’être voilées mais cela ne les conduit pas vers la liberté", souligne-t-elle, parlant de dérive comportementaliste.
Un spectateur interpelle alors l’invitée sur la notion de féminisme islamique, en opposition au féminisme dit "occidental". "Une usurpation, s’insurge Wassyla Tamzali, on ne peut pas construire les bases d’un certain féminisme sur le religieux". En l’occurrence, sur la lecture qu’en fait le Coran. Et le danger, selon elle, relève essentiellement de la diffusion de ces idées par les médias, spécialistes ou universitaires. "Le voile, en soi, ne me dérange pas, mais ce sont les discours tenus à ce sujet qui me dérangent et peuvent être dangereux".
Féministe militante, Wassaly Tamzali est bien consciente que son combat est loin d’aboutir. Beaucoup reste à accomplir, dans de nombreux pays. Et face à ce constat, elle s’avoue parfois déprimée, en colère, pour reprendre le titre de son dernier livre. "La femme du XXIe siècle ? Malheureusement, c’est une femme qui se bat encore pour se faire reconnaître en tant que femme".
Texte et prise de son : Caroline Dubois
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