FOCUS
Prison : des murs autour de la culture
7ème "Printemps des prisons" national organisé par l’association étudiante GENEPI
Du 22 mars au 26 mars, l’association GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées) a ouvert au grand public les portes d’un univers opaque : le monde pénitentiaire. Cette année, la semaine s’articule autour de la "culture carcérale". Un thème vaste et obscur, porté sur un univers fort méconnu pour la plupart. Entre refus de bousculer un traditionalisme judéo-chrétien rigide qui exige une peine de "souffrances" exclusivement et une crise du monde pénitentiaire et politique, on se heurte à des contradictions.
C’est une notion courante : pour le sens commun, la prison représente bel et bien un univers singulier, aux dynamiques sociales propres, ancrés dans un cadre spatio-temporel spécifique.
La prison en tant que micro-société ou "société dans la société"
Le terme de "culture" englobe l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui sont communs à un groupe d’individus. Par le biais d’une relative autonomie sociale et culturelle, le milieu carcéral constitue une société dans laquelle les détenus se forgent des acquis aussi bien au niveau du langage, que de la vie quotidienne.
Pour autant, peut on parler de "micro société" ? Les sphères de vie créées par les détenus ne se substituent à celles de l’extérieur, préalablement acquises, et demeurent leur modèle de comparaison. Malgré tout, l’univers carcéral constitue une globalité propre à son milieu. C’est un univers riche qui se développe dans sa singularité, avec des moyens alternatifs et un accès, somme toute biaisé, à la culture extérieure.
Les prisons et les centres de détentions entretiennent les référents extérieurs. Parce que les sources d’informations sont différentes, et réduites en son sein, alors que cela va très vite hors-murs. Beaucoup trop vite. Les canaux de médias se multiplient, le monde évolue sans cesse. Du coup, l’incarcération isole. Pis encore, elle conforte cette impression qu’ont les détenus au sortir de leurs peines, de "débarquer" dans un monde qu’ils ne maîtrisent plus. En ce sens, la peine associée au déphasage avec l’extérieur amène un blocage psychique à la sortie, difficile à surmonter.
Au contraire, ne faudrait-il pas plutôt donner les clés aux détenus ? Comprendre le monde extérieur, c’est pouvoir l’intégrer plus facilement ; Aujourd’hui, on marque au fer rouge cette différence, ce manquement à une vie parallèle. Car être incarcéré ne signifie pas "cesser de vivre", sinon comprendre ses fautes et évoluer en conséquence, face à ce passé qui les a conduit intra-murs.
Culture carcérale et singularité
Enfermée entre quatre murs, la culture carcérale demeure pourtant riche, et d’une complexité égale aux autres : les us-et-coutumes s’improvisent, au gré d’un système D, d’un langage, à travers un accès à l’information, des activités socioculturelles et des formations proposées par des organes indépendants de l’Administration Pénitentiaire.
Durant la semaine du Printemps des Prisons, les ateliers ludiques nous font découvrir le système D crée par les détenus : écorces d’oranges en guise de désodorisant, réchaud en boites de conserve, draps hissés dans la cellule pour plus d’intimité, ou bouteille remplie d’eau maintenue par une corde pour transmettre messages ou produits de fenêtres en fenêtres.
Le parler carcéral est lui aussi le témoin d’une culture vivante, dans le but de communiquer en secret face aux surveillants. "Le mitard"(cachot), "ligoter"(lire), "arquer" (marcher) et "barraka" (la chance). Beaucoup de mots colorés, poétiques et très pointus qui s’évaporent également en dehors de la prison.
C'est avant tout dans la tête que les murs demeurent.
Les médias dans tout cela ? Rencontre avec Clémentine Danet, trésorière au GENEPI de Nantes, bénévole depuis deux ans. Commençons par la télévision : "depuis 1982, les détenus peuvent louer la télévision pour un prix auparavant très inégal selon les zones, et fixé à 8 euros par mois, cette année" informe Clémentine. Puis, viennent les journaux et magazines "la presse écrite est contrôlée par l’appréciation discrétionnaire, et triée afin de maintenir l’ordre de sécurité interne" Les journaux trop engagés, critiquant l’institution sont exclus.
Une appréciation discrétionnaire subjective, finalement : les critères de choix pour le maintien de la sécurité sont établis sans en avoir constaté réellement les conséquences directes sur le comportement de détenus. "L’accès au monde extérieur s’améliore, mais il reste beaucoup à faire.". Le web reste peu accessible voire inexistant en milieu carcéral. À l’heure ou l’internet est l’une des premières sources d’information, de liberté d’expression, il semble nécessaire pour les détenus d’en avoir un accès plus ouvert, bien que contrôlé, ne serait-ce que pour préparer leurs embauches futures et trouver du travail. Une action qui réduirait cette "fracture numérique" tout en facilitant la réinsertion.
Une crise de ces institutions françaises rigides, face à l’ouverture des pays voisins
La France des prisons est en crise :des centres qui implosent face à la surpopulation, une misère carcérale de laquelle découlent la violence, la récidive, et le suicide.
Autant de maux, de clichés cristallisés par l’opinion publique autour d’affaires telles que Tony Meillon. C’est un cercle vicieux, entretenu par un gouvernement à travers des incarcérations massives et des libérations sauvages, sans volonté d’anticiper la réinsertion et d’en garantir un suivi personnalisé. Le taux de récidive n’en est pas réduit pour autant, au contraire. Le fossé s’accentue pour ces détenus, démunis au sortir de leurs peines.
Au fond, pourquoi priver les détenus d’une ouverture, d’une liberté plus grande, ainsi que de conditions de vie propices au maintien d’une vie saine ? "La société française est marquée par une vision judéo-chrétienne qui considère que la peine est synonyme de souffrance" souligne Clémentine ; dès lors, il faut payer ses péchés et tenter de se racheter en passant par la case "souffrir". De-ci, de-là, les consciences ont du mal à passer outre cette idée de devoir payer pour ses fautes, qu’en prison on ne vit plus, on survit. Pas d’épanouissement, mais de la privation. Certains s’interrogeront peut-être : Quel est l’intérêt d’une peine si le détenu continue à vivre décemment et "normalement" ?
L’intérêt ? Il trouve sa justification autrement. Prenons l’idée de prison ouverte : au Danemark et en Finlande plus de 30% des places du système carcéral sont en régime pénitentiaire ouvert, ainsi qu’en Suède, en Angleterre et en Suisse. En France, seulement une prison n’est pas construite sur le modèle “traditionnel” des prisons fermées. Elle est en Corse, à Casabianda. Une avancée, bien que dissimulée par l’administration pénitentiaire. Le terme « établissement ouvert » désigne un établissement pénitentiaire dans lequel les mesures préventives contre l’évasion ne résident pas dans des obstacles matériels tels que murs, serrures, barreaux ou gardes supplémentaires. On découvre que sans ce renforcement sécuritaire et l’approche déshumanisée du détenu, les maux "violences, récidives, et surpopulation et suicide" disparaissent.
Comme nous le rappelle Clémentine "Avant toute chose, une peine est synonyme de privation d’aller et venir. Aujourd’hui la durée de peine moyenne est de 9,4 mois en France. En 9 mois, on a déjà largement le temps de se désocialiser complètement. Cela ne sert à rien de priver les détenus de tout ! " C’est avant tout dans la tête, que les murs demeurent. Dans les prisons ouvertes, les détenus organisent eux-mêmes leur vie collective, qui nettoie, fait la cuisine, décidant du menu, même si le budget est limité. Ce modèle d’établissement favorise le respect de la dignité humaine et des droits des détenus plus facilement que tout autre type de prison. C’est un établissement qui encourage le travail des détenus, la formation et se base sur la normalisation pour se rapprocher le plus possible de la vie libre. Un système alternatif et salutaire pour ce système en crise ? Certainement. Il faut juste assouplir certaines mentalités traditionalistes.
Des organismes indépendants qui estompent ces déficiences, mais pour combien de temps ?
Outre ce système porteur d’espoir, d’autres organismes interviennent chaque jour envers les détenus pour améliorer leurs conditions et leur épanouissement psychique et le développement plus équilibré de ces détenus. Le GENEPI développe des activités socio-culturelles (arts plastiques, culture générale, ouvertures aux arts...) à travers les interventions des bénévoles en centres d’arrêts et de détention. Les détenus y participent de leur propre chef selon leurs intérêts personnels. L’académie nationale, le CNED, sont des organismes qui interviennent au niveau de la formation. Pour ces formations qui ne concerne qu’1% des détenus, il est en effet possible d’obtenir des diplômes, en suivant des cours à distance, et ainsi de préparer leur retour dans un monde toujours plus complexe et difficile.
N'hésitons pas trop longtemps, ça chauffe, et le progrès n'est plus qu'à deux pas.
Malheureusement pour ces actions bénéfiques, une nouvelle loi est apparue qui compromet ces activités fructueuses : l’Administration Pénitentiaire a récemment développé une loi, l’Obligation d’Activité. Introduite à l’article 27 de la loi du 24 novembre 2009, elle contraint les détenus à participer de façon obligatoire aux activités proposées par ces organismes, au lieu de porter la loi sur un accroissement et une diversification de ces activités. Or, du fait du caractère bénévole et volontaire, des ces activités, le GENEPI s’oppose et menace de mettre en suspens ses interventions dans les centres de détention. "Nous proposons ces activités, mais cela reste une initiative personnelle que de participer à nos ateliers." nous livre Clémentine. Sur le site du GENEPI on y trouve un article qui s’oppose à cette loi, en voici un passage : L’association ne peut que déplorer le fait que les droits que reconnaît la société à chaque travailleur ne soient reconnus aux personnes incarcérées qui exerceraient une activité professionnelle durant leur peine, et que le droit commun n’ait toujours pas sa place en détention. Si l’on contraint les détenus, c’est l’effet inverse qui en découle et qui s’oppose à ces valeurs. Le détenu, forcé d’y participer, n’y verra pas la source d’un épanouissement ni la notion de plaisir, mais encore une fois une tâche imposée, pénible, et décidée contre leur gré.
Au travers de cette semaine du Printemps des Prisons, l’univers obscurs des murs s’est éclairci, dévoilant l’ampleur de ses enjeux. Il y a un manque de visibilité-miroir (en ces prisons et à l’extérieur).
L’évolution est délicate, hésitant entre les modèles alternatifs invoquant un petit effort d’adaptation de notre société, et les institutions traditionnelles se rigidifiant. La régression versus le progrès. N’hésitons pas trop longtemps, ça chauffe, et le progrès n’est plus qu’à deux pas.
Pauline Bataille
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