
Odorama au Festival de Cannes
Et si le ci-nez-ma avait privilégié un autre de nos sens ?
Le cinéma odorant fête ses trente ans et pour l’occasion, Guillaume Heulard et Maxime Alvarez-Perez, étudiants à l’école CinéCréatis de Nantes, lui consacre un court-métrage. Faux documentaire et critique grotesque de l’évolution du cinéma, Odorama a été sélectionné pour le festival nantais La Semaine Tout Courts, en avril dernier et sera présenté au Short Film Corner, le rendez-vous des courts-métrages du festival de Cannes du 11 au 21 mai. Rencontre passionnée.
Une fois mis à l’aise et lancés sur le sujet, en l’occurrence le cinéma, ces deux-là ne s’arrêtent plus, enchaînant références et souvenirs cinématographiques. De vrais passionnés. Normal, me direz-vous, pour deux étudiants de l’école CinéCréatis de Nantes. Qui plus est, sélectionnés pour le festival La Semaine Tout Courts, dans la catégorie Courts en Fac, du 4 au 7 avril dernier, avec leur court-métrage Odorama. "C’est sûr, pour nous, c’est un accomplissement mais ce n’est qu’un début, un premier jet qui nous servira probablement pour la suite", commentent, lucides, Guillaume Heulard et Maxime Alvarez-Perez.
Odorama, ou le cinéma à sentir à l’envi
Un court-métrage humoristique, parfois à la limite du grotesque, mais aussi critique sur l’évolution du cinéma et l’omniprésence de la 3D aujourd’hui, qui retrace, en onze minutes, les grandes étapes de l’histoire du cinéma : du muet au parlant, en passant par le succès populaire, les films d’auteur, les récompenses, la concurrence du petit écran et autres évolutions technologiques. Une véritable rétrospective imaginaire consacrée au septième art, né il y a plus de 116 ans.
J'aime regarder un film sans réfléchir, sans penser puis le revisionner en le décortiquant. L'idée est là : tendre un piège aux spectateurs, les laisser croire que c'est vrai
Car la question qui se pose, alors, est la suivante : Et si le cinéma avait privilégié un autre de nos sens ? En l’occurrence, l’odorat... À quoi aurait-il ressemblé ? Les lunettes 3D auraient-elles été remplacées par des masques à odeurs ? Le court-métrage revient ainsi sur la naissance du cinéma et son rapide succès, jusqu’aux années 1960, période de flottement et de questionnement. La faute à la télévision et à la vidéo, substituts plus confortables. Apparaît alors le cinéma odorant, véritable "bouffée d’oxygène" qui attire des millions de spectateurs. Et la référence, c’est Polyester de John Waters (1981) et ses petites capsules odorantes numérotées, à gratter. Un film devenu culte mais essentiellement perçu comme une expérience sensorielle unique, sans succès. Le court-métrage prend alors l’Histoire à contre-pied et présente ce film comme le déclencheur même d’une révolution, la naissance d’un nouveau genre. "Dans l’Histoire du cinéma, il y a eu quelques essais odorants, mais très rares. En France, les Nuls ont repris le système de cartes pour une série de sketchs, diffusés sur Canal +, explique Guillaume Heulard, avec, comme pour Polyester, une bonne odeur de merde à sentir à la fin !"
Mais alors pourquoi un tel intérêt ? "À douze ans, je suis tombé sur une émission qui parlait d’une imaginaire télévision odorante et des possibles prises d’odeurs. Cela me paraissait loufoque et intéressant à la fois et l’idée d’un faux-documentaire s’est imposé de lui-même", se souvient Maxime Alvarez-Perez. Et quelques années plus tard, il en écrit un scénario pour un court-métrage de fin d’études. "Un tel projet est difficile à porter seul, c’est pourquoi Guillaume m’a rejoint". Un court-métrage réalisé à quatre mains donc : Maxime, au scénario et à la mise en scène et Guillaume, à la réalisation. "Co-réaliser le court nous a permis de se diviser le travail et de se faire confiance". Six mois de préparation, deux semaines de tournage et trois semaines de montage seront nécessaires. "Niveau budget, c’est simple on avait zéro. À part le matériel prêté par l’école, ce qui est déjà énorme, on a dû chercher des fonds privés pour pouvoir dédommager les acteurs", explique Guillaume Heulard. La débrouille...
Odorama ou le cinéma odorant n'est peut-être pas plus ridicule que le relief 3D, au fond ?
Documenteur un jour, documenteur toujours
"J’aime regarder un film sans réfléchir, sans penser puis le revisionner en le décortiquant. L’idée est là : tendre un piège aux spectateurs, les laisser croire que c’est vrai", commente Maxime Alvarez-Perez. Et ça marche ! Odorama embarque les spectateurs dans cette troisième dimension olfactive, surréaliste, passant d’une époque à une autre, avec comme point culminant, le 11 septembre 2001 et l’interdiction de l’odorama dans le monde, synonyme de terrorisme. "Ce sont les images d’actualité les plus vues au monde et cela nous permet d’amener l’odorama au sommet de la société, d’un point de vue symbolique". La capacité d’illusion du cinéma permet, ici, un véritable coup de bluff, parfaitement orchestré par la mise en scène, le jeu des acteurs et les images d’archives, du début du XXe siècle à aujourd’hui, recréées pour l’occasion.
Mais si l’idée du documenteur fonctionne, nos jeunes étudiants n’ont rien inventé. En 1995, Peter Jackson réalise le documenteur Forgotten Silver : l’histoire d’un néo-zélandais, prétendu inventeur du cinéma mais totalement oublié et ignoré. Une référence pour Maxime Alvarez-Perez. "Il est évident que l’écriture et les effets de réel de Peter Jackson m’ont influencé, même si l’idée de l’odorama était déjà bien là". Une mise en scène classique, voire académique, est alors adoptée pour que les spectateurs y croient dur comme fer.
Les pellicules de mon enfance
"Je crois que j’ai toujours voulu faire du cinéma. J’ai même retrouvé une vieille cassette vidéo, où l’on me voit, enfant, en train de filmer avec le caméscope de mon grand-père, que j’empruntais souvent. Je réalisais déjà mes propres génériques et on peut y voir des feuilles défiler, bourrées de fautes d’orthographe", se souvient, amusé, Guillaume Heulard. Une passion qui le poussera même à sécher les cours, jusqu’à son entrée à CinéCréatis. De son côté, Maxime Alvarez-Perez puise l’inspiration dans de nombreux domaines, de la littérature à la bande-dessinée sans oublier la télévision ou encore l’art. Le processus d’écriture le touche davantage. "À partir du moment où c’est réalisé et écrit intelligemment, que la personne amène une vision pas débile et à portée de tous, je suis preneur", résume-t-il. Et de citer, comme références, David Fincher, Christopher Nolan, Alfonso Cuarón, François Truffaut, Mickael Haneke... Autant de réalisateurs qu’affectionnent les deux étudiants et qui les ont marqués.
Mais aujourd’hui, le cinéma, c’est aussi le relief 3D, cette technologie si attractive pour le grand public. "Du marketing, rien d’autre", lance Guillaume Heulard. "On cherche absolument à accoler le logo 3D sur les affiches pour attirer plus de monde dans les salles alors que cela n’apporte rien de plus au film. L’odorama, ou cinéma odorant, n’est peut-être pas plus ridicule que le relief 3D, au fond ?"
L'important pour nous, c'est surtout que le film ait une vie après, qu'il soit vu par le public
La tournée des festivals
Ridicule ou pas, reste que cela plaît. Alors, Odorama en sélection officielle de Courts en Fac, pour La Semaine Tout Courts ? "Ça fait plaisir, c’est sûr, mais l’important pour nous, c’est surtout que le film ait une vie après, qu’il soit vu par le public et ce qui est bien, dans ce genre de festival, c’est qu’il y a un réel échange", commente Guillaume Heulard, "et c’est aussi important pour nos carrières, enfin futures carrières, il faut être honnête". Tous deux espèrent percer dans ce milieu, réputé fermé ; Maxime en tant que scénariste, il travaille d’ailleurs sur différents projets et Guillaume comme réalisateur, pourquoi pas de clips vidéo. "Montrer en trois minutes ce que l’on sait faire, sa patte artistique, ça me plaît bien et David Fincher a commencé comme ça, alors..."
Mais d’ici là, leur Odorama sillonnera les festivals, notamment Ptit Clap, à Levallois et sera présent au Short Film Corner, à l’occasion du 64ème festival de Cannes, du 11 au 21 mai. L’occasion de faire réfléchir des milliers de spectateurs sur l’évolution du cinéma, son avenir. Et les laisser se prendre au piège de l’odorama et ces effluves subtiles. Magiques.
Texte et photos : Caroline Dubois
Odorama
Odorama - le film from Guillaume Heulard on Vimeo.
En savoir plus
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses