
FOCUS
Apocalypse jetzt
Expo 21 min à Pol’N : les corps se chassent
L’exposition 21 Min Infusion présentait les travaux de huit plasticiens membres du collectif Extra Muros, en résidence à POL’n. Construites autour du rapport au temps et à l’espace, dans un aller retour permanent entre la France et l’Allemagne, leurs œuvres entrent curieusement en résonance avec l’état du monde et ses défaillances.
C’est un jour ordinaire et un nuage de particules radioactives survole la France. Aucun rapport avec l’exposition 21 Min Infusion du collectif franco-allemand Extra Muros. Aucun rapport, sauf l’idée d’explosion. Sauf l’épuisement des ressources fossiles. Sauf les corps difformes et les membres amputés.
L’Allemand Andy Kania présente ses photographies de marginaux croisés dans la rue. Prises au flash, elles nous ramènent à l’échelle de temps d’une rencontre qui, sans l’intervention du photographe, n’aurait pas eu lieu. Le portrait du vieil homme aveugle, qui braque un revolver en direction de ses yeux, raconte pourtant toute l’histoire de l’Allemagne à travers les insignes épinglés sur sa veste. Des décorations de l’époque prussienne, de la République de Weimar, du IIIe Reich ou de l’ex-RDA ; des capsules de bière aussi. D’autres ont perdu un bras, leur maison ou l’usage de leurs jambes. Les corps prennent l’épaisseur géologique de l’accident ou de la maladie qui les a tordus, parfois sectionnés. On se rappelle Eugène William Smith et Le bain de Tomoko, les enfants empoisonnés par les rejets de mercure de l’usine Chisso, dans le Japon des années 60. Chez Andy Kania, Tomoko se retrouve à errer une bière à la main dans les couloirs sales du métro de Leipzig.
Ronny Szillo juxtapose l’esthétique maya et la lumière électrique[...] pour nous rappeler que, l’air de rien, la fin du monde approche.
L’installation du Franco-Québécois Guillaume Krick Gisement exploitable, nous parle de l’épuisement des ressources naturelles. Lors de l’inauguration de l’exposition, un glaçon de 200 litres d’eau en forme de diamant surplombait un réseau de tuyaux et de barils à l’effigie du pétrolier Elf. Le glaçon a fondu pendant quatre jours, remplissant inexorablement les bidons d’essence. Du liquide s’échappait de l’installation et se perdait ? Pas grave. Ce n’est que le gâchis des ressources naturelles. Ce n’est que de l’eau, du diamant ou du pétrole. D’ailleurs, dans RON N.Y. 2012 Ronny Szillo juxtapose l’esthétique maya et la lumière électrique – donc nucléaire – pour nous rappeler que, l’air de rien, la fin du monde approche. Par terre, les LED brillent un peu trop, comme des barres d’uranium qu’on aurait bêtement omis de confiner.
Accidents nucléaires
Plus loin, on rencontre Juliane Glauert devant l’une de ses aquarelles, Panique à Wall Street (2010), extraite du chapitre La forme du monde économique. Une superposition de contextes anachroniques, où l’Apocalypse d’Angers côtoie le Wall Street d’Oliver Stone et un Bûcher des vanités hystérique. Où les prophètes passent des ordres de bourse pour tenter d’éteindre l’incendie qui ravage leur idole monétisée. On se croirait dans une pub télé pour une grande compagnie d’assurance allemande, où les apôtres du capitalisme découvriraient au centre de la table de réunion un gouffre qui mène tout droit aux enfers. On a déjà vu ce trou béant chez Enki Bilal. C’était une autre guerre. C’était déjà par là que tout commençait de s’effondrer.
Une autre série de Juliane Glauert s’intitule La forme du monde scientifique. Depuis quelques jours, elle sait qu’elle va devoir réactualiser ce chapitre où elle aborde la question… des accidents nucléaires.
C’était un jour ordinaire et la bulle de l’art contemporain n’a finalement pas explosé.
Dans la soirée, projection de L’art s’explose (2009), documentaire de Ben Lewis, critique d’art au quotidien britannique The Guardian. Ou comment le marché de l’art contemporain, à une époque où la plupart des œuvres deviennent des objets commerciaux produits en série, échappe complètement à l’influence des forces économiques extérieures. Les prix des tableaux d’Anselm Reyles, fabriqués par ses assistants, ont ainsi été multipliés par vingt durant les trois années qui ont précédé la crise économique.
Ben Lewis part également à la rencontre des plus gros collectionneurs d’art contemporain du moment. C’est l’occasion pour l’un d’eux de regarder pour la première fois une peinture pourtant achetée 6 millions de dollars ; la toile était encore dans son carton d’emballage… Finalement, le plus lucide (et le plus cynique) restera l’artiste international Damien Hirst, qui s’est fait connaître avec sa série d’animaux immergés dans du formol. Pratiquement à l’origine de la bulle spéculative à lui tout seul, il parviendra à vendre un veau d’or (The Golden Calf, 2008), symbole de l’idolâtrie envers un dieu factice, le jour même où l’on apprenait la faillite de la banque Lehman Brothers.
C’était un jour ordinaire et la bulle de l’art contemporain n’a finalement pas explosé. Aucune anomalie n’a été détectée lors du passage du nuage radioactif au-dessus de la France. Puisqu’on vous dit que tout va bien.
Texte et photos : Alban Lecuyer
L’ Exposition 21 Min Infusion était à voir jusqu’au 3 avril 2011 à POL’n, 11 rue des Olivettes, 44 000 Nantes.
Site internet du collectif Extra Muros www.collectif-extra-muros.fr
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