
Journée Lucha Libre au festival Travelling Mexico
Blue Demon Junior, le catch au-delà du kitsch
Du 22 février au 1er mars 2011, le festival de cinéma Travelling mettait le Mexique à l’honneur. Un pays à découvrir grâce à ses classiques, mais également à travers sa culture populaire et un genre cinématographique particulier : le film de catch. Venu représenter le catch mexicain, le lutteur masqué Blue Demon Jr. est l’invité vedette de la journée Lucha Libre du festival. Rencontre avec un catcheur qui cultive l’art du décalage.
Costume sombre, foulard de soie rose et masque bleu à paillettes
La lucha en héritage
Au festival Travelling Mexico, tout le monde s’accorde sur une chose : les liens qui unissent le Mexique et la France sont indissolubles. Et, comme le révèle la journée du festival consacrée au catch mexicain, parfois insolites.
Présenter la lucha libre en France, c’est opérer un travelling historique intéressant. En effet, la lucha libre mexicaine serait en réalité un héritage français. La lutte libre est arrivée sur le nouveau continent avec les troupes françaises, durant l’empire de Maximilien de Habsbourg, installé par Napoléon III au Mexique en 1863. Les soldats amenèrent avec eux la lutte bretonne, pratiquée en France depuis plusieurs siècles, elle-même héritée de l’ancestrale lutte gréco-romaine. Une manière de rappeler que la lutte, en tant que sport de combat et spectacle cathartique dans lequel s’affrontent le Bien et le Mal, a existé de tous temps et dans toutes les cultures.
Le catcheur Blue Demon Jr. incarne un méchant sur le ring, un rudo. Pourtant, en costume sombre et foulard de soie rose, il ne semble pas avoir grand chose en commun avec la brute épaisse qui sévit sur les rings. Mis à part le masque bleu à paillettes qu’il n’enlèvera pas de toute la journée. Face à un public curieux et amusé, c’est avec sérieux qu’il commence à raconter son histoire, et avec elle l’histoire du catch mexicain.
La notion d’héritage revient souvent dans la bouche de Blue Demon Jr. L’héritage de son père adoptif tout d’abord, le catcheur Blue Demon, star de la lucha libre mexicaine, qui se fit enterrer avec le masque qu’il n’avait jamais enlevé de toute sa carrière.
Aujourd’hui, Junior porte le même masque que son héros. Un père dont il a découvert, à l’âge de 5 ans, qu’il était le catcheur Blue Demon que tous ses camarades d’école adulaient. Une légende familiale digne des histoires de super-héros, que Blue Demon Jr. continue à faire vivre aujourd’hui en présentant à l’étranger les films dans lesquels a joué son père.
Mais pour Blue Demon Jr., ce masque ne symbolise pas seulement un héritage familial. Il représente également une tradition mexicaine plus ancienne, celle des anciens masques de jade aztèques. « La ressemblance est frappante. Un jour, dans un musée archéologique, je suis tombé sur un masque aztèque. Il était en pierre, il datait de l’époque pré-hispanique et il avait les mêmes traits que Blue Demon. »
Du catch au kitsch
«Le Mexique n'est pas que mariachis et sombreros»
Blue Demon Jr. est fier de présenter à Travelling une autre image de son pays. « Le Mexique n’est pas que mariachis et sombreros. La lucha libre réunit les Mexicains et favorise un échange entre les classes sociales. C’est un bon exemple pour les enfants et pour l’ensemble de la société. »
Véritables pépites dans le genre série Z, les films de catch mexicains, qui ont rencontré un franc succès dans les années 1970-1980, témoignent de cette capacité à réunir les Mexicains autour du catch. À raison de deux ou trois films tous les ans, le cinéma mexicain s’est relancé dans les années 1970 grâce à ces films très populaires qui attiraient dans les salles obscures un public de toutes les origines sociales et de tous les âges.
Le critique de cinéma The Killer Film, qui accompagne Blue Demon Jr., porte également un masque, orné celui-ci d’une bobine de film argentée qui descend des yeux vers la bouche. Tout un symbole pour un critique de cinéma. Pour ce spécialiste des films de catch, un sujet d’étude à part entière se cache derrière les scenarii improbables de Santo dans la revanche des femmes vampires, des Momies de Guanajuato, de Santo contre les Bureaucrates, ou encore de Santo contre l’assassin de la télévision. À mi-chemin entre le film d’horreur et les super-héros américains, imprégnés de mythes mexicains, ces films sont le reflet des interrogations d’une époque : société de consommation, invasions extra-terrestres, identité mexicaine face au voisin américain... Un cocktail des préoccupations de la Guerre Froide, assaisonné à la sauce mexicaine.
Bas les masques
Blue Demon Jr., catcheur qui garde son masque en coulisse, emmène le catch là où on ne l’attend pas. À la fois démon enragé et fils respectueux, si Blue Demon est un vrai méchant sur le ring, le sérieux avec lequel, hors champ, il joue son rôle de représentant de la culture mexicaine brouille les pistes. « Je pensais que les catcheurs étaient des brutes, s’exclame une dame du public, mais vous êtes des philosophes ».
Rencontre
Blue Demon Jr., un catcheur qui veut être pris au sérieux pour autre chose que sa carrure.
Vous portez un masque. Comment puis-je être sûre que vous êtes le vrai Blue Demon Jr ?
Les gens qui me connaissent savent les cicatrices d’anciens combats que j’ai sur le corps. Tout ce que j’ai fait durant ces 25 dernières années est infalsifiable.
«Les super-héros n'existent pas. Les anti-héros, si.»
Beaucoup de catcheurs mexicains luttent masqués. Vous êtes les super-héros du Mexique ?
Les gens nous considèrent comme des super-héros, mais non sommes avant tout des êtres humains. On nous assimile à des super-héros à cause de l’impact que nous avons sur les jeunes. Mais nous ne sommes pas des super-héros. Je préfère être un anti-héros qu’un super-héros. Les super-héros n’existent pas. Les anti-héros, si.
Qu’est-ce qui distingue la lucha libre mexicaine du catch américain ?
La lucha libre respecte les catcheurs. Aux États-Unis, les catcheurs sont manipulés comme des marionnettes. Dans la lucha libre mexicaine, tu décides toi-même de l’évolution de ton personnage. Admettons que je signe chez la WWE (World Wrestling Entertainment), dans le contrat, je devrais céder tous les droits sur mon image et mon nom à la WWE, pour toujours. Je perdrais tout l’héritage que m’a laissé mon père. La lucha libre mexicaine, ce sont des prises, de la technique, de la condition physique.
Dans la lucha libre mexicaine, connaît-on l’issue du match avant le combat ?
Dans la lucha libre, personne ne sait qui va gagner. Moi même, je n’en sais rien. Si je gagne, je touche 100 % de mon salaire. Si je perds je n’en gagne que 80 % ou 75 %. Tout le monde veut la totalité de son salaire. Aux États-Unis, le scénario est écrit à l’avance, il y a même des revues qui t’annoncent ce qui va arriver. Le catch américain, ce n’est pas de la lutte, c’est un roman photo.
En Amérique du Sud, au Pérou, en Bolivie, un nouveau type de catch très populaire et symbolique s’est développé, les combats de cholitas, des femmes indiennes qui affrontent des hommes blancs. Y a-t-il une dimension politique dans la lucha libre mexicaine ?
Je ne crois pas. J’ai déjà été assimilé à un parti politique à cause des couleurs de mon masque. Personnellement, je milite et je supporte le président de la République, mais je ne fais pas de politique. Mais peut-être qu’un jour, quand je prendrai ma retraite, je me mettrais à la politique.
Et si vous faites de la politique, garderez-vous votre masque ?
Peut-être -je dis bien peut-être- que je ne le garderai pas. Écoutez, je le dis en rigolant, mais c’est aussi un rêve : j’adorerais devenir président de la République Mexicaine. Pour que les gens puissent savoir qui je suis, et qu’ils se disent : « Tiens, c’était donc lui, Blue Demon ». Mais ce n’est peut-être qu’un rêve.
Elise Canneson
Infos
Site du festival Travelling
Une histoire du film de luchadores sur Catch Online
Une sociologie du catch ? Note critique de Arnaud Lunel
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