INTERVIEW
Dominique Paquet : "Ce sont les exégètes qui prouvent que le texte n’existe pas"
Entretien avec Dominique Paquet, philosophe et comédienne (2/2)
Mardi 30 novembre : une heure est passée depuis notre première rencontre avec Dominique Paquet. Elle anime le café-philo "La punition contient-elle de la vengeance ?". Après avoir abordé la relation ténue entre philosophie et théâtre à l’occasion d’Hamlet par David Bobée au LU, on parle d’Hamlet, ce prisme qui diffracte la Vérité en hypothèses. Suite de l’entretien.
Fragil - Sur votre site personnel, vous dites porter une attention particulière « aux états de conscience altérés (la folie, la double personnalité, les états oniriques) ». Est-ce ce qui vous attire dans Hamlet ?
Dominique Paquet - Je suis en train de travailler sur un livre de Pierre Bayard qui s’appelle « Enquête sur Hamlet » [1] et que j’ai adapté pour le théâtre. C’est une enquête policière à base d’analyse littéraire, à laquelle j’ai fait subir un traitement de théâtralisation. Le spectacle va se créer le 8 mars 2011 aux Ulis (Essonne) et à Avignon 2011. Je suis donc particulièrement intéressée par le personnage. Dans son livre, Pierre Bayard démontre que le coupable désigné par Shakespeare n’est pas le vrai coupable ; il ne faut pas demander qui c’est, hein ! (rires)
Fragil - Pourquoi ne serait-ce pas le vrai coupable ?
DP -Il y a des choses assez troublantes : Hamlet fait jouer par des comédiens le meurtre de Gonzague, pièce qui montre le meurtre de son père, empoisonné par l’oreille ; ce spectacle est destiné à troubler le roi Claudius, donc à dévoiler le coupable, qui est désigné par le spectre du père comme étant Claudius. Or cette pièce est précédée par une pantomime qui raconte la même histoire (elle n’est pas toujours dans les mises en scène, d’ailleurs, je ne sais pas si Bobee l’a prise). Et Claudius ne réagit pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas coupable.
Fragil - Mais dans ce cas, pourquoi Claudius réagit-il la seconde fois, lors de la vraie représentation ?
DP - Ah ! C’est une bonne question. C’est la théorie de la deuxième dent. On a mal à une dent, on arrive à supporter, mais à la deuxième, ça fait très mal. (rires) Selon cette théorie, Claudius serait coupable. Mais il y a une autre théorie qui dit qu’il n’est pas coupable, donc qu’il n’a pas à se lever. S’il se lève, c’est parce qu’il est énervé par Hamlet, qui fait des commentaires tout le temps, engueule Ophélie, parle à sa mère. Claudius est préoccupé, il n’est pas en forme, il est tout mélancolique, il est inquiet, et puis à la longue il se lève, parce qu’il en a assez des délires d’Hamlet.
Fragil - Pensez-vous qu’Hamlet soit une pièce particulièrement philosophique ?
La pièce raconte l'introduction du protestantisme au Danemark comme l’histoire de la fin de la féodalité...
DP - Shakespeare était très féru de philosophie, il y a énormément de philosophie dans ses textes mais elle est fragmentée. Comme dit Pierre Bayard, il y a autant de livres sur Hamlet que sur la Bible. Bon c’est exagéré je crois. Cependant, certains exégètes ont trouvé que c’était une démonstration. Hamlet est une oeuvre aux entrées multiples où chacun y voit ce qu’il veut. La pièce raconte l’introduction du protestantisme au Danemark comme l’histoire de la fin de la féodalité... ou simplement une théorie de la vengeance ; ou bien que c’est la biographie de Shakespeare, Shakespeare ayant perdu son père peu de temps avant la rédaction d’Hamlet. Ce sont les exégètes qui prouvent que le texte n’existe pas.
Fragil - Le texte n’existe pas ? C’est-à-dire qu’il ne serait pas de Shakespeare ?
DP - Ah ça, ça n’est pas sûr non plus. Il y a une théorie selon laquelle ça serait d’un monsieur qui s’appelle De Vere, et ça veut dire « cinglé » en anglais. (rires) Non, je ne veux pas dire ca. Pierre Bayard assure que le texte n’existe pas, c’est-à-dire qu’on ne peut pas se mettre d’accord sur le texte d’Hamlet. D’abord, il y a plusieurs éditions ; d’autre part, chacun lit le texte à sa façon. Le texte n’est pas unique.
Fragil - A quinze ans, vous avez joué dans Les Joyeuses commères de Windsor de Shakespeare. Appréciez-vous particulièrement cet auteur ?
DP - Je trouve que parfois les pièces sont très mal faite. Hamlet n’est pas très bien fait… dans la structure j’entends. D’ailleurs, il y a beaucoup de gens qui ont dit d’Hamlet que c’était une pièce impossible, très mal écrite, très mal structurée, très mal équilibrée, totalement ratée. Ils n’avaient pas une idée très claire de ce qu’ils voulaient faire ! Peu importe ; de toute façon, ce n’est pas parce qu’une pièce n’est pas très bien structurée qu’elle est mauvaise.
C’est très dur à jouer, parce qu’il y a beaucoup d’humour, énormément de jeux de mots, sans arrêt, des jeux de mots qui devaient les faire hurler de rire. C’est à l’anglo-saxonne ! Il y a énormément d’allusions érotiques et sexuelles, des références à des courants italiens, à toute une rhétorique italienne très forte. Il y a des références aristotéliciennes partout… c’est très compliqué pour un français. C’est très riche, c’était un homme extrêmement cultivé. Ceci dit, chez Molière aussi c’est très très complexe ; parce que Molière savait le grec, connaissait la philosophie grecque... On le prend pour un amuseur, mais c’était extrêmement riche.
Fragil - Pour en revenir au café-philo de ce soir… en quoi Hamlet pose la question de la relation de la punition à la vengeance ?
DP - Parce qu’on lui demande de se venger. Le problème c’est ca, c’est que son père est mort. Le spectre apparaît dans la première scène et cherche Hamlet. Il est convoqué et le spectre lui demande : « venge moi mon fils ». Donc il faut qu’il se venge. Et il met cinq actes à le faire. Pourquoi ? (rires) C’est pas rapide au Danemark ! Y’a des glaces ! C’est d’ailleurs une des questions de Pierre Bayard : pourquoi met-il tant de temps à se venger ?
A suivre, avec Dominique Paquet au Lieu Unique :
Notre physiologie conditionne-t-elle notre façon de penser ? (en lien avec Sous le Volcan mis en scène par Guy Cassiers) : jeudi 10 février 2011 à 18h30.
En quel sens peut-on dire de l’homme qu’il est un être inachevé ? (en lien avec Big Bang mis en scène par Philippe Quesne) : mardi 17 mai 2011 à 18h30.
Propos recueillis par Alizée Remaud et Marie Aguillon. Photos : Adeline Praud (d’après l’Hamlet de David Bobee).
[1] Pierre Bayard, Enquête sur Hamlet, Le Dialogue de sourds, éditions de Minuit, 2002
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