Chronique Opéra
Madame Butterfly : l’amour jusqu’à la démence
Une mise en scène de Jean François Sivadier à l’Opéra de Dijon
L’opéra de Dijon a inauguré sa saison 2010-2011 en reprenant la mise en scène de « Madame Butterfly  » de Giacomo Puccini, par Jean François Sivadier. Créé à l’opéra de Lille en mars 2004, ce spectacle avait été repris en septembre de la même année à Angers Nantes Opéra, puis à l’opéra de Nancy en 2005. Interprétée par une distribution presque entièrement renouvelée, cette œuvre implacable a la puissance d’une tragédie antique.
Six années séparent la première version de « Madame Butterfly » et la récente reprise à l’opéra de Dijon. Le dénominateur commun entre ces deux visions est la capacité du metteur en scène à créer des figures théâtrales d’une grande force.
L’univers de Jean François Sivadier se caractérise avant tout par le jeu sur le plateau. Tous les interprètes de cette nouvelle troupe nous entraînent, dans un ouragan de lyrisme et de passion. Tatiana Monogarova construit une Butterfly excessive, qui a l’aveuglement d’une Electre.
On a le sentiment troublant que tous jouent cette figure sans concession, car chacun raconte la même histoire. C’est comme si chacun sur le plateau était, à sa manière, cette héroïne, en s’appropriant un peu de cette passion démesurée et écrasante. L’interprète du rôle titre accentue la folie par une tessiture incroyablement étendue, allant de sons graves et caverneux à des aigus d’une belle lumière. Fascinant !
Tatiana Monogarova a chanté à Nantes Pamina de « La flûte en chantée » en 2000 et Lisa dans « La dame de pique » de Tchaïkovski, en 2001. D’une présence intense sur le plateau, elle joue une véritable monomanie, comme Géricault en a peint. Tout le deuxième acte de l’opéra se construit autour de l’abandon de l’héroïne, qu’elle est la seule à ne pas envisager. La scène de la lettre, dans laquelle le consul Sharpless tente vainement d’annoncer la fin de l’amour à celle qui n’entend pas, est bouleversante.
Non, ne me dites rien, je pourrais peut-être tomber morte à l’instant
Armando Noguera, saisissant passeur dans « Sumidagawa » pour Angers Nantes Opéra en 2007, joue la compassion avec une vibrante humanité. Très investi scéniquement, son timbre chaleureux et riche en nuances émeut et bouleverse. Il sera Junius dans « Le viol de Lucrèce » en janvier 2011 à Nantes et à Angers. C’est un artiste qui fait de chacune de ses apparitions sur scène un évènement. Lorsque Butterfly parvient à quitter son aveuglement, c’est la chronique d’une mort annoncée : « Non, ne me dites rien, je pourrais peut-être tomber morte à l’instant ».
Soutenue par la fidèle amie Suzuki (magnifique Liliana Mattei, à la voix somptueuse, et déjà présente dans la version de 2004), elle n’a plus qu’à se laisser glisser vers un ultime sacrifice. Telle Electre, dont la vie n’a de sens que dans l’accomplissement d’une vengeance, Butterfly ne peut exister que dans l’attente du retour de l’être aimé, et la certitude de la réciprocité du sentiment amoureux. Victime d’un absolu trop grand qui l’a poussé à trahir les siens, elle entre dans la tragédie dès le premier regard échangé avec Pinkerton.
Il y a certes, dans le livret, l’opposition entre la culture japonaise et la culture américaine, mais ce sont surtout deux êtres qui n’ont pas le même rapport au temps qui nous sont racontés ici. Pinkerton vit dans l’instant. Il réagit même à la musique de l’opéra de manière immédiate, en dansant comme s’il était, l’espace de quelques mesures, en boite de nuit.
Giancarlo Monsalve (inoubliable Mario de « Tosca » à Nantes et à Angers en 2008), construit une figure désinvolte, comme s’il s’était trompé d’histoire, ou plutôt d’opéra. Car l’héroïne, ici, c’est la soprano. Ce décalage le rend extrêmement émouvant. D’une belle présence en scène, il raconte, doté d’un timbre puissant et riche, quelque chose qui a à voir avec Pirandello, le drame d’un chanteur en quête d’un rôle qui lui échappe. Il est absent durant tout le deuxième acte.
Présente pendant les trois actes, Butterfly, en revanche étire les sons qui la portent vers la mer, d’où reviendra, elle en est sure, celui qui est parti. Elle prend le temps de dire, en de somptueuses arias, ce feu incroyable qu’elle porte en elle. C’est la grande victoire de la diva qui parvient à sublimer, par son chant, les blessures du cœur.
La puissance d’une tragédie antique
Outre le fascinant travail d’acteur, ce spectacle est d’une envoûtante magie. Les tentures bleu et or donnent une impression de chaleur au plateau tout en rappelant la mer. Ce sont avant tout des éléments de jeu, qui s’animent, comme des voiles, ou que l’on arrache. Un comédien, Rachid Zanouda, fidèle des spectacles de Jean François Sivadier (On se souvient de son incroyable composition dans « La dame de chez Maxim »), prête sa très belle présence à une figure de passeur. Passeur entre les mots et le chant, le théâtre et l’opéra, le silence et la fureur, il apporte compassion et consolation.
Jean françois Sivadier est comédien, peut être Rachid en est-il ici le double, dans le regard émerveillé et presque enfantin, qu’il porte au chant. La présence d’un acteur, sur une scène d’opéra, nous rappelle que c’est avant tout de jeu qu’il s’agit ici.
Les magnifiques lumières de Philippe Berthomé participent à la sensualité du spectacle. Le sommet en est certainement le magnifique chœur à bouche fermée. La souffrance de l’héroïne s’y multiplie dans l’image de femmes restées debout, immobiles et perçues en contre jour : le miroir de détresses anonymes magnifiées par la beauté glacée des lumières.
Le prince Yamadori fait partie de ces cœurs mis à mal, c’est un double de Butterfly et pourtant, elle l’a rejeté. Il n’est pas aimé de celle qu’il aime, même si les regards se rencontrent parfois, nous rappelant que les mouvements des cœurs ne sont pas si simples. Il rejoint la galerie de ceux qui, à l’opéra, meurent d’amour (Sa mort, à la fin du chœur à bouche fermée, préfigure le suicide de Butterfly). Sa trajectoire ressemble à celle de Naraboth, dans Salomé, celui qui est entraîné, malgré lui, dans une ronde des amours impossibles.
Chaque choriste est très présent sur le plateau et l’ensemble est d’une poignante humanité. Jusqu’au sacrifice final, les mouvements ont parfois l’étrangeté de rituels venus d’ailleurs, ils ont la grandeur du théâtre antique.
Il n’y a pas de femme plus heureuse que vous ! Soyez le pour toujours
Très proches de l’héroïne jusqu’à son sacrifice final, les femmes, vêtues de blanc, sont à l’écoute de chacune de ses respirations, la regardent, l’écoutent et ils semblent porter en elles son drame de la désillusion. Lorsqu’elle aperçoit sa rivale, Butterfly dit d’une voix sourde « Ah, cette femme me fait si peur », puis, remplie de détermination : « Il n’y a pas de femme plus heureuse que vous ! Soyez le pour toujours ».
Le sublime a ses limites, Butterfly est sauvée par un chant d’une déchirante beauté, tandis que sa rivale, entrant en scène a la fin de l’opéra, n’a que quelques pauvres mesures à chanter. C’est la diva qui a le dernier mot !
Chronique : Christophe Gervot
Photos : Gilles Abegg (Opéra de Dijon)
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